Plus de 4 ans après , Julia Ducournau revient par la grande porte avec Titane, en compétition pour la Sélection officielle du Festival de Cannes ! Convoquant à la fois Cronenberg et Carpenter, Ducournau va encore plus loin pour un film qui s'adresse avant tout aux tripes plutôt qu'à notre cerveau. Quoi qu'il en soit, on a la confirmation d'une auteure française sur laquelle on peut compter dans le paysage du cinéma de genre !
En 2017, avait fait sensation, jetant un gros pavé dans la mare du cinéma français. Malgré un côté assez timide dans sa subversion et son manque de panache, on tenait là un premier film carré de la part de Julia Ducournau. Désormais ambassadrice d'un cinéma de genre purement français, la réalisatrice était attendue au tournant avec Titane. Présenté en compétition à Cannes, le long-métrage se veut une expérience hybride et sensorielle comme peu de films de notre Hexagone savent le faire.
Titane s'ouvre sur un accident de voiture : la jeune Alexia est opérée et se retrouve avec une plaque de métal insérée dans le crâne. Des années plus tard, la voilà strip-teaseuse dans des salons de tuning et emprunte d'envies meurtrières. En parallèle, le spectateur sera introduit à Vincent, pompier addict aux stéroïdes et dépressif depuis la disparition de son fils 10 ans plus tôt. Par un concours de circonstances, ces 2 individus que tout oppose vont se rencontrer, au sein d'une trame scénaristique en constante mutation. Une métamorphose méta en totale adéquation avec les velléités artistiques de Julia Ducournau !
D'entrée de jeu, Titane surprend par son audace et sa maîtrise à absolument tous les niveaux. Toute la première partie (quasi parfaite) enchaîne les morceaux filmiques oscillant entre ultra-violence viscérale, slasher teinté d'humour et notes fantastico-horrifiques. Outre l'évidence Cronenberg ( est clairement cité, jusqu'à une séquence libidineuse qui ne laissera personne indifférent), on pourra noter les influences de David Lynch et John Carpenter. A ce titre, la première demi-heure de Titane se veut un vrai coup de boule des plus déstabilisants : enchaînant les scénettes de pure violence graphique, peu de choses nous sont épargnées et Ducournau n'a aucun scrupule à choper le spectateur par les bollocks !
Meurtres, rhinoplastie ou scène paraphilique : Titane se veut un film aussi insaisissable que son anti-héroïne quasi mutique. Brut de décoffrage et n'hésitant pas à secouer, le récit va rapidement prendre une tournure plus calme intimiste, au moment où Vincent Lindon entre en scène. De là, la trame ralentira sa cadence et suivra un chemin malheureusement plus balisé (voire prévisible sur certains ressorts), mais également plus touchant et délicat. L'occasion de voir que Ducournau continue d'explorer des obsessions déjà esquissées dans Grave : la question d'identité, de désir et de filiation.
Film transgenre
Là où Grave s'avérait un premier exercice de style cohérent et tenu, Titane abolit frontalement les rails ! L'irruption vers le genre se fait à dose régulière, par petites touches de bizarrerie et de body horror, jusqu'à son grand final assumant totalement sa dimension fantasque. Néanmoins, et comme soulevé précédemment, ce mariage des genres ne se fait pas de manière totalement fluide et homogène dans sa seconde partie. La faute à une envie d'explorer plusieurs terrains et d'esquisser plusieurs pistes narratives, sans toutes leur donner vraiment corps. Un constat qui ne pèse pas bien lourd dans la balance devant la générosité, l'efficacité et l'inventivité dont fait preuve la réalisatrice pour nous prendre non pas par la main ou le cerveau, mais par les tripes !
Sombre drame familial et conte queer lorgnant vers l'horrifique, Titane joue habilement avec le concept de métamorphose (autant outil narratif que thématique) et de genre. Finies les frontières, Ducournau porte un regard novateur sur la représentation des sexes et livre un objet filmique incassable. Dès le plan-séquence d'intro où les voitures sont filmées comme des femmes sexualisées jusqu'à l'univers ultra masculiniste de la caserne de pompiers, Ducournau joue des clichés pour les renverser avec malice. A la fois trash mais parfois drôle (la macarena utilisée de manière cocasse), violent mais touchant, cette réussite doit non seulement à l'œil de sa réalisatrice, et aussi au formidable duo d'acteurs principal.
C'est simple, d'un côté on a jamais vu Vincent Lindon dans ce registre, affichant une énergie virile indéniable de par sa stature imposante, mais aussi une sensibilité à fleur de peau qui sied parfaitement à l'arc du personnage. De l'autre, Agathe Rousselle (dont il s'agit de son premier rôle au cinéma) fait office de vraie révélation, imposant son intense présence magnétique et androgyne à chaque plan. Deux rôles de composition exigeants qui permettent une caractérisation nuancée autre que verbale, un minimum d'emphase de la part du spectateur à mesure que les personnages vont apprendre à se connaître, et surtout une réflexion singulière et universelle sur la question identitaire. Plus qu'à pousser plus loin le curseur vers l'émotion maintenant !
La chair et le sang
Ce n'est pas tant dans sa finalité scénaristique que Titane épate, mais dans sa propension à véhiculer des images fortes. Associé à un travail sur le son des plus immersifs, une bande-originale enivrante de Jim Williams à base de sons de cloche et une photographie néonisée de Ruben Impes, le tout converge avec la mise en scène de Ducournau vers une symbiose des plus organiques pour que Titane face office d'expérience physique. Outre le travail sur les chairs (mutilées, malmenées) c'est toute la physicalité et les douleurs encontrées dans le métrage qui sont vectrices d'émotion (promis on ne fera pas de 3e référence à Cronenberg). Pas pour les publics sensibles certes, mais on saluera cette volonté de ne pas caresser dans le sens du poil, et de proposer du radical tout simplement !
Si quelques scories d'écriture et de rythme viennent légèrement limiter la réussite et freiner l'ambition du projet, Titane se révèle une expérience viscérale de grande tenue. Touchant dans sa volonté de dépeindre un amour naissant entre deux âmes cabossées se mentant à eux-mêmes, innovant dans son renversement des représentations, percutant dans son regard tourné vers les corps, ce deuxième film n'hésite pas à aller vers l'étrange pour dynamiter la question même du cinéma de genre français, et du cinéma tout court (la comparaison avec les cinéastes corréens n'est peut-être pas loin!). Julia Ducournau transcende l'essai qu'était , confirme son talent et s'affirme désormais ni plus ni moins comme une des cinéastes les plus intéressantes, frontales, singulières et inspirées qui soient actuellement. Un film percutant qui suinte la chair, le sang, le métal et l'huile de moteur !