Comme c’est souvent le cas à Cannes, nous arrivons au moment où la notion de temps est toute relative. Les jours se comptent désormais en films au programme et aux rendez-vous qui nous attendent. Nous sommes donc le jour du retour de Kirill Serebrennikov en compétition et de Bergman Island. Deux de nos grosses attentes du festival.
Et la journée commence donc en Suède, sur l’île de Faro. Lieu de prédilection dur réalisateur Bergman devenu un passage obligé pour tous ses fans. C’est le cas de Tomy et Amy, réalisateurs qui vouent un culte au réalisateur suédois. Ils viennent pour écrire. Se ressourcer. Et cette île sera le lieu parfait pour se dire certaines choses jusque-là non dites. Le film de Mia Hansen-Love est un enchantement. Une parenthèse hors du temps dans un décor magnifique. Nos deux héros vont évoluer. Parfois ensemble. Parfois séparés. Et se retrouver pour raconter leurs idées de film. Idée de film d’Amy qui s’avère être en réalité une situation qu’elle a vécue. À la limite d’une aventure avec un technicien sur un précédent tournage. La projection dans ce souvenir est d’une grâce et d’une imagination incroyable. La bascule entre réel et fiction est d’une subtilité folle si bien qu’on ne sait plus ce qui est vraiment arrivé ou ce qui est de l’ordre du fantasme. Une manière romanesque et tellement cinématographique d’avouer une infidélité ou sa possibilité. On est face à un film dans un film. Le casting est incroyable. Des vrais personnages (Vicky Krieps et Tim Roth) aux fictifs (Mia Wasikowska et Joel Spira). Bergman Island pose la question du couple. Des choix de vie. Et de la force de la famille. Un vrai coup de cœur.
Il faut sortir de cette bulle pour pénétrer dans un cauchemar. Celui de Petrov dans le nouveau film du russe Kirill Serebrennikov (le réalisateur du brillant Léto). Il aura fallu à peu près 10 minutes pour réaliser que la magie de Léto s’était envolée. La fièvre de Petrov est âpre, violente et tellement hallucinée qu’il est impossible de comprendre le propos du film. Les hallucinations de Petrov, ouvrent les portes d’un monde parallèle. Monde parallèle qui n’en finit plus de s’étendre avec des histoires et des histoires qui se multiplient sans aucun lien avec la réalité. Après la violence et la fureur, le film bascule dans le passé à la recherche de fantômes. Quel est le lien entre ces histoires ? Quel est le message du film ? Entre la première partie et la seconde beaucoup plus intime ? Impossible d’y voir clair tant Serebrennikov ne laisse aucune clef. Le film tourne à un exercice de style (très réussi) mais ne va pas plus loin. Vraiment le sentiment d’être resté en dehors. Première grosse déception de ce Cannes.
Après cette vision sous acide, direction la Semaine de la Critique pour un film bien plus intime et bien ancré dans l’histoire : Bruno Reidal. Ce premier film français raconte l’histoire vraie de Bruno Reidal, un jeune homme au début du XXème siècle, séminariste qui a depuis l’enfance des envies de meurtre sur ses camarades. De l’école au séminaire, le film croise en permanence les pulsions sexuelles et les envies de meurtre. Jusqu’au passage à l’acte. Raconté en flashback (Bruno Reidal se fait prisonnier et va raconter dans un carnet face à des experts médicaux ce qui l’a amené à tuer), le film est passionnant à suivre pour mieux comprendre l’origine du mal. Parce que le point de vue est subjectif, le personnage de Bruno Reidal est attachant même si la froideur de son meurtre ne l’excuse jamais. Le parallèle avec la religion et les inégalités sociales rendent le film singulier et profondément moderne. Bruno Reidal est en réalité un film qui traite de l’homosexualité et de l’impossibilité à cette époque de l’imaginer, même pour son héros qui préfèrera tuer plutôt que succomber à ses envies. Dimitri Doré est impressionnant dans la peau de ce jeune paysan. Vincent Le Port, le réalisateur, encore plus lorsque l’on sait qu’il s’agit de son premier film. Un choc d’une grande intelligence.
Il nous faut quitter le Cantal pour un rendez-vous avec Louis Garrel qui présente dans une catégorie dédiée aux enjeux climatiques, La Croisade où il interprète avec Laetitia Casta, un couple parisien dont l’enfant est bien décidé à agir pour le climat. Parce qu’il nous faut préserver l’idée originale du début de film, nous vous en diront pas plus. Le film est un film concept qui s’étend sur une petite heure seulement. Après cette ouverture jouissive, La Croisade s’avère être un peu léger pour finalement marquer les esprits. En tout cas, un film vraiment sympathique à regarder en famille pour sensibiliser les grands et les petits aux enjeux climatiques.
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