Indéniablement, ce double séisme a marqué, voire transformé, l’épreuve. Peut-on alors caresser l’espoir d’un bac « post-Covid », retrouvant le lustre d’antan, dont les Français ont la nostalgie ? Un bac de même intérêt et de même valeur que l’examen de fin d’études secondaires qui a été si longtemps le fleuron de notre enseignement secondaire ? Rien n’est moins sûr. Car, avant même ces séismes, le bac n’était déjà plus vraiment le bac ! Tout d’abord, quand le bac a-t-il vraiment été « le » bac, celui qu’il faudrait retrouver, pour ne pas dire restaurer, après les séismes ? Cet examen est depuis de nombreuses années comme transformé de l’intérieur par deux mouvements concomitants, et de grande ampleur, qui se sont rejoints dans un troisième : l’augmentation du nombre de bacheliers : 31 en 1808, 723.000 en 2020… Le premier mouvement de fond est l’augmentation du taux de réussite. De 1960 à 2012, elle se chiffre à 24,5 %. Ce taux passe de 49,8 % en 1967, à 79,5 en 2000, pour atteindre 88,1 % en 2019, puis 95,7 % en 2020. Ce qui offre deux conclusions en apparence contradictoires. Conclusion 1 : Est-ce vraiment encore un examen ? Conclusion 2 : bravo, le projet d’instruire a été quasi parfaitement réalisé !
De même, l’augmentation du pourcentage d’une classe d’âge obtenant le bac est-il impressionnant. On est passé 3 % en 1945, à 25 % en 1975, pour atteindre 79,9 % en 2018, 80 % en 2019 et plus de 86 % en 2020. Quand une telle proportion de jeunes obtiennent leur bac, que représente ce diplôme ? N’a-t-il pas changé de nature ? Et a-t-on encore besoin d’un examen ? Le contrôle continu simple (évaluations scolaires de l’année) ne suffirait-il pas amplement, comme tendent à le démontrer les deux derniers « bac-Covid » ? Mais précisément, qu’est-ce que le bac ? Parle-t-on toujours de la même chose ? Déjà la création du bac technologique (en 1968), puis du bac professionnel (en 1985), ont profondément transformé le public touché, en contribuant significativement à l’augmentation du nombre de lauréats, et en soulevant la question de l’unité de l’examen. Faut-il se laisser prendre au mythe du bac unique ? Ne postule-t-on pas, par idéologie, l’unité d’un examen en réalité pluriel ?
Par ailleurs, les filières, les séries, les épreuves évoluent constamment. Au sein même du « bac général », des divisions s’estompent, d’autres apparaissent. Si bien que, finalement, seule est pérenne la marque « bac », qui, sous l’unité d’un nom prestigieux, renvoie à une réalité à la fois profondément diverse, et particulièrement changeante. Y a-t-il alors quelque chose qui puisse justifier le maintien d’un nom unique, et légitimer la survie du bac ?
Si quelque chose, par-delà tous les changements, caractérise de manière intemporelle le bac comme modalité institutionnelle spécifique d’évaluation scolaire, c’est une triple dimension. Le bac est un examen, qui permet de contrôler les connaissances et compétences des lycéens. Il est aussi un rite de passage institutionnel et social, marquant l’entrée dans la vie adulte et le monde des citoyens. Il est enfin un rituel festif, temps fort dans une vie individuelle d’élève. Faut-il sauvegarder ces trois dimensions ? On peut en discuter. Le minimum est d’assurer la pérennité de la première. Cela exige alors que soient poursuivies deux finalités.
- La première est celle d’une évaluation « sommative » : il faut pouvoir contrôler de la façon la moins discutable possible l’appropriation effective par les lycéens des objectifs d’un « curriculum » défini nationalement.
- La seconde est celle d’une évaluation « certificative » : le bac constitue un « pass » d’accès aux études supérieures dont la validité est garantie par l’éducation nationale.
Pour mériter d’avoir un avenir, le bac, sauf décision contraire du législateur, doit répondre à ce double cahier des charges. Nous sommes, in fine, ramenés à la secousse provoquée par l’instauration du « nouveau bac ». Celui-ci reposait, entre autres, sur trois bonnes intentions. Par souci d’équité, lutter contre l’effet couperet des épreuves terminales, en introduisant une dose raisonnable de contrôle continu. Pour enrichir les possibilités de développement personnel, introduire de la diversité et de la flexibilité, à la fois dans la formation et dans son évaluation. Enfin, pour moderniser le curriculum, redonner à l’expression orale la place qu’elle doit avoir à l’école.
La mise en place de cette nouvelle formule, dans des conditions rendues presque impossibles par la pandémie, a fait naître trois grands reproches. Celui de réintroduire paradoxalement de la pression certificative en cours d’apprentissage, avec les « épreuves communes ». Celui de rendre les parcours plus difficilement lisibles, en faisant par ailleurs éclater les classes. Celui, enfin, d’introduire, avec le « grand oral », une épreuve pouvant s’avérer socialement discriminante. Mais, s’il était possible, post-Covid, de corriger ces défauts, tout en revenant à un équilibre raisonnable entre contrôle terminal et contrôle continu, le nouveau bac ne mériterait-il pas qu’on lui donne sa chance ? La chance de pérenniser la marque « bac », et d’avoir une fonction utile, grâce à un dispositif d’évaluation permettant à la Nation de faire ce qu’elle souhaite : certifier, en confiance, la maîtrise des connaissances et compétences nécessaires pour poursuivre des études supérieures réussies. Nous savons tous que le droit de vote est à la base de notre système démocratique auquel d’ailleurs, beaucoup aiment ajouter l’adjectif «républicain». Nous savons tous aussi que bon nombre de nos aïeux ont accepté de mourir pour l’établir et le... LES BRÈVES