Ce soir, les télévisions publiques argentine et bolivienne diffusent en même temps le même film historique : Juana Azurduy, guerrillera de la patria grande.
C’est en effet l’anniversaire de la naissance de cette grande combattante de l’indépendance qui s’est fait connaître jusqu’en Europe grâce à un commando d’une trentaine de redoutables amazones qu’elle avait fondé et qu’elle commandait jusqu’au moment où elle dut prendre la tête de l’ensemble des opérations militaires dans sa région natale, après l’exécution de son mari. En Bolivie, elle a été élevée au maréchalat. En Argentine, Cristina Kirchner l’a faite générale de l’armée argentine à titre posthume. Pleine d’admiration pour Juana, qu’elle a une fâcheuse tendance à argentiniser, Cristina avait même fait remplacer le monument à Christophe Colomb qui se dressait derrière la Casa Rosada (et qui a été depuis installé sur le front du Río de la Plata) par une statue pédestre et hommasse de Juana, d’une laideur si repoussante que Mauricio Macri s’était hâté de la faire enlever dès son arrivée au pouvoir, au grand soulagement de beaucoup de Portègnes, même de certains sympathisants péronistes.
Juana Azurduy de Padilla (1780-1862) est une figure singulière dans l’histoire des indépendances sud-américaines. Une authentique cheffe militaire, comme le fut aussi, dans une moindre ampleur, María Remedios del Valle, que la Chambre des Députés argentine vient d’honorer en accrochant son portrait dans l’une de ses salles de commission. A l’inverse de cette dernière, d’origine africaine, Juana Azurduy était issue de l’élite blanche de la capitale historique du Haut-Pérou colonial, La Plata, devenue Chuquisaca lorsque la région bascula sous l’autorité de Buenos Aires (1776). Par la suite, la révolution, dès 1809, et la guerre, qui lui a d’abord arraché son mari, l’ont ruinée, comme ce fut le cas pour de très nombreuses grandes familles patriotes un peu partout dans le continent.
Nous ne disposons d’aucun portrait exécuté de son vivant. Malgré sa mort à un âge avancé et l’invention du daguerréotype bien avant sa disparition, nous ne savons pas à quoi elle ressemblait. La photographie n’est jamais arrivée jusqu’à elle.
Le film, produit et tourné en Bolivie, où il est sorti en 2016, est construit comme un flash-back où Juana elle-même raconte sa vie aux deux libérateurs du pays, les généraux Simón Bolívar et Antonio Sucre, qui viennent lui rendre leur visite historique du printemps 1825, alors qu’après la fin des combats, elle est tombée dans une misère noire et que la Bolivie accède enfin à l’indépendance après 15 ans de lutte acharnée. Il est très probable que ce long métrage soit terriblement marqué par l’idéologie "plurinationale" développée par Evo Morales et ses partisans et donne une image très éloignée de la réalité historique. C’est du cinéma, du cinéma engagé et militant qui ne recule devant aucune torsion pour faire d’une réalité socio-historique complexe une lecture simpliste et manichéenne, comme toujours ! Quelques bons points toutefois et non des moindres : les costumes, les magnifiques paysages et les Amérindiens qui s’expriment dans leur langue (avec sous-titres en espagnol). Les peuples autochtones ont en effet beaucoup lutté pour l’indépendance, notamment sous la conduite de Manuel Padilla puis, après son exécution aux mains des partisans de l’Ancien Régime, sous celle de Juana, veuve et mère de famille nombreuse. Malheureusement sitôt l’indépendance acquise, les descendants des Européens leur ont à nouveau confisqué l’accès au pouvoir et au développement économique et culturel.
Figure historique de l’actuelle Bolivie, Juana Azurduy n’en combattit pas moins mais brièvement aux côtés du général argentin Manuel Belgrano 1770-1820) pendant l’année qu’il passa dans le Haut-Pérou qui appartenait encore aux Provinces-Unies du Sud, la future Argentine. Juana Azurduy fut aussi l’alliée du général Martin Güemes (1783-1821), le légendaire gouverneur de Salta, dont on vient de commémorer le bicentenaire de la mort, en juin dernier. Juana, qui a l’avantage symbolique de porter le même prénom que la Pucelle d’Orléans, est donc un personnage que les deux pays se partagent et que les gauches de l’un et l’autre revendiquent (en revanche, les droites aimeraient bien oublier cette femme un peu trop transgressive).
Ce soir à 22h30, il est prévu que les deux présidents (tous deux de gauche), Alberto Fernández et Luis Arce, fassent un duplex pour présenter le film ensemble après le scandale qui vient d’éclabousser leurs deux pays (affaire des munitions envoyées par l’Argentine, alors de droite, aux putschistes qui renversèrent Evo Morales après une quatrième élection très contestable).
Le film est accessible en version intégrale sur la plateforme Vimeo en VOD.
© Denise Anne Clavilier www.barrio-de-tango.blogspot.com
Pour aller plus loin :
lire l’entrefilet de Página/12 dans l’édition de Rosario
voir la présentation du film sur le site Internet bolivien Aullidos de la calle
voir la présentation du film sur le site Internet de TV Pública (Argentine)
consulter la chaîne Youtube consacrée au film