Scandale bolivien : l’enquête commence [Actu]

Publié le 10 juillet 2021 par Jyj9icx6

"L'aide qui est arrivée d'un coup", dit le gros titre
avec le jeu de mot traditionnel sur cette une

Au surlendemain des révélations fracassantes du gouvernement bolivien concernant l’initiative bizarre attribuée à Mauricio Macri dans ses derniers jours à la Casa Rosada pour aider au triomphe du coup d’État parlementaire qui a installé Jeanine Añez au pouvoir en Bolivie en novembre 2019, les réactions en Argentine continuent à laisser l’observateur perplexe.

Les personnes impliquées au premier niveau ont fait savoir qu’elles ne reconnaissaient pas la pièce centrale sur laquelle se fonde le ministre des Affaires étrangères bolivien pour formuler ses accusations. Le chef d’état-major bolivien a fait savoir par le biais de son avocat que sa signature avait été contrefaite au bas du document et il a fourni des arguments qui pourraient aller dans ce sens. En effet, le courrier est daté du 13 novembre, or il avait été remplacé dans ses fonctions militaires dès le 12 et n’avait pas été en mesure d’utiliser encore ce papier à en-tête le lendemain (sauf à ce qu’il en ait emporté avec lui quelques feuilles). Par ailleurs, l’avocat fait valoir que l’étiquette militaire interdisait à un officier général de s’adresser à un ambassadeur et lui faisait obligation d’échanger avec son homologue, en l’occurrence l’attaché militaire le plus gradé à l’ambassade en question. Cet officier a été écroué aussitôt l’affaire connue du gouvernement bolivien, qui en profite peut-être pour régler quelques comptes avec une partie de son armée encore en délicatesse avec certains principes démocratiques.

Quant à l’ambassadeur argentin en poste à l’époque, il est issu du parti radical. Ce n’était donc pas un diplomate de carrière mais un homme politique engagé à droite. Aujourd’hui, il est ministre du travail dans le gouvernement provincial (très à droite) de Jujuy, à la frontière avec la Bolivie. Il a démenti formellement avoir jamais reçu ce courrier. Par ailleurs, il assure avoir porté assistance à des personnes menacées pendant les événements : plusieurs journalistes argentins et deux hautes personnalités du gouvernement de Evo Morales, qu’il a accueillis dans sa résidence diplomatique afin de les exfiltrer par la suite.

De leur côté, les ex-ministres qui auraient dû être impliqués dans ces opérations douteuses (si elles ont existé) ont tous nié en avoir eu connaissance : Patricia Bullrich, alors ministre de l’Intérieur, Oscar Aguad, alors ministre de la Défense et lui aussi issu du parti radical, actuellement en difficulté dans le dossier de la disparition accidentelle du sous-marin ARA San Juan, et Jorge Faurie, alors ministre des Affaires étrangères (de tendance radicale certes mais diplomate de carrière). Des trois, c’est Aguad qui s’avance le plus loin pour tenter de démontrer l’absurdité de toute l’histoire. Avec vigueur, il a rappelé que Mauricio Macri avait toujours travaillé en parfaite coopération avec Evo Morales tant que celui-ci s’est trouvé dans son mandat constitutionnel (1). Bien entendu, s’ils n’ont rien su, ils ne peuvent pas le prouver. Ce serait à leurs accusateurs d’apporter la preuve qu’ils étaient au courant mais pour l’heure, personne ne les accuse clairement.

Le gros titre porte sur la manifestation du patronat agraire
La photo centrale représente la manifestation d'hier à Tucumán
L'affaire bolivienne est annoncée tout en bas à droite
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Depuis l’Espagne, où il se repose et entretient son réseau personnel à droite, Mauricio Macri reste muet. Un silence plutôt curieux. Face à une accusation aussi grave, quand on est innocent et que son nom est mêlé à une manipulation internationale de cette magnitude, il semble qu’on le dit et qu’on rentre dare-dare au pays pour se justifier. Or l’ancien président, qui ne s’est pas précipité à l’aéroport, s’est contenté hier d’un tweet creux, une phrase de San Martín décontextualisée et vidée de son sens, Seamos libres (soyons libres), dont les manifestants de droite d’hier avaient fait l’un de leurs slogans.

En attendant, pendant que la presse de droite ne se hâte pas pour dénoncer le mensonge ni pour enquêter sur les faits, Página/12 ne laisse pas passer si belle occasion de répéter que Macri est un suppôt de la tyrannie et la rédaction s’embarque dans une enquête tous azimuts qu’elle étale à la une, ce qui est de bonne guerre en année électorale : les journalistes creusent donc les déclarations des ministres, de l’ancien ambassadeur et du général détenu en y voyant des contradictions ; ils examinent les rapports de la police bolivienne et les comparent avec ceux de la Gendarmerie argentine (le corps qui aurait conduit le vol pour livrer à La Paz les munitions) et enfin, ils s’efforcent d’éclaircir le rôle tenu par les agents de renseignement argentins alors en poste en Bolivie.

La presse de droite se contente d’annoncer que tantôt la justice bolivienne tantôt la justice argentine pourraient bien d’ici peu demander des comptes à l’ancien chef de l’État. Sans vraiment crier au complot ni apporter grand-chose de neuf par rapport à ce qu’on a appris hier de source officielle. Il n’est pas impossible que cette presse qui l’a longtemps soutenu soit en train de lâcher Mauricio Macri.

Par ailleurs, le scandale touche également le président équatorien, Lenin Moreno (de droite lui aussi, malgré son étrange prénom), selon des révélations faites par le ministre des Affaires étrangères bolivien à une agence de presse… russe ! Les putschistes auraient donc également reçu des secours en provenance du nord.

© Denise Anne Clavilier www.barrio-de-tango.blogspot.com

Pour aller plus loin :

lire l’article principal de Página/12lire l’article de La Prensalire l’article de Clarínlire l’article de La Nación

(1) Il est vrai que si Evo Morales a pu être renversé par un coup d’État parlementaire, c’est parce qu’il s’était représenté pour un quatrième mandat, ce qu’un référendum ad hoc, qu’il avait perdu, lui avait défendu de tenter. Il a d’ailleurs depuis reconnu qu’il n’aurait pas du s’entêter ainsi à rester au pouvoir.