Premier amourest une nouvelle, écrite en français parSamuelBeckett, en 1945, mais publiée seulement en 1970. Elle présente déjà toutes les subtilités de son style, un mélange de second degré, d’absurde et de tendresse, d’angoisse de vivre aussi.
Annoncé comme une création en Avignon, au Théâtre des Halles, il a été présenté sous chapiteau à Vidy-Lausanne en novembre 1999. C’est dire combien ce texte habite le comédien et son metteur en scène depuis plus d’une décennie.
Jean-Quentin Châtelain et Jean-Michel Meyer se sont pliés dès la création aux exigences de sobriété imposées par Jérôme Lindon, alors directeur des Editions de Minuit, et exécuteur testamentaire de Beckett, et les respectent à la lettre : pas de décor, pas de musique, pas de gesticulation.Et pourtant, le cadre de la Chapelle du théâtre est un décor idéal, qui s’accorde avec le thème de la confession. La chaise de bureau, aujourd’hui vintage, et follement à la mode deviendra instrument de musique au début et à la fin. Un vieux chapeau est autant un élément vestimentaire qu’un accessoire pour masquer discrètement une pulsion.
Si cette sobriété s’impose avec propos durant les deux tiers du spectacle (encore que ce mot soit presque excessif puisque cette nouvelle était plutôt destiné à être lue ; il fallut négocier pour qu’elle soit dite) l’atmosphère devient pesante, exigeant du spectateur un effort d’attention qui ne connaît aucun répit pendant 1h30.
Au tout début, l’œil est aveuglé par un noir absolu. L’oreille est titillée par une musique étrange, harmonique, dont je préfère vous taire l’origine. Je ne veux pas rompre le charme. Car c’est bien de cela qu’il est question. De l’attraction qu’un homme sobrement vêtu de noir, coiffé du chapeau que son père lui a transmis, ressent pour une femme tout autant que pour la langue française.
Ce qui surprend, c’est qu’on a le sentiment d’être face à un homme très âgé qui confesserait un épisode de sa jeunesse. C’est partiellement exact car lorsque Beckett a écrit ce texte il n’avait que 39 ans.Samuel Beckett (1906–1989) est un romancier, poète et dramaturge irlandais originaire d’une famille bourgeoise protestante. On lui décernera le prix Nobel de littérature qu’il n’ira pas chercher. Son nom est attaché au théâtre de l’absurde et sa pièce la plus emblématique est En attendant Godot.Ici c’est Loulou (comme il convient de prononcer son nom) que Samuel guette et redoute à la fois, comme s’il y avait un énorme risque à se laisser approcher par cette femme. Il renverse le mythe de Jack en faisant du spectateur le confident de ses souvenirs, réels ou fantasmés, qu’importe, on y croit.C’est l’art de Jean-Quentin châtelain, qui est une des plus imposantes figures du théâtre romand. Et puis aussi la manière. Cet homme pour qui le texte est un sentier sur lequel on s’engage comme si on marchait dans les traces de quelqu’un nous entraine dans l’univers beckettien. Sa silhouette et sa voix évoquent aussi Léonard Cohen. Nous devenons Suzanne captivée par le questionnement, parfois très drôle, à propos de son père, désormais mort et enterré, et les conséquences en chaîne que subit le personnage précautionneux d’avoir déjà prévu son épitaphe : « Ci-gît qui y échappa tant / Qu’il n’en échappe que maintenant ».On partage ses mouvements de balance entre attraction et rejet à l’égard de la femme en même temps que se déploie un langage extrêmement travaillé. On le devine solitaire, à tendance paranoïaque ou du moins agoraphobe : Le tort qu’on a c’est d’adresser la parole aux gens.Il provoque le mouvement inverse chez le spectateur, prêt au contraire, à tout entendre, depuis son inclinaison pour des panais au goût de violette jusqu’à sa détresse à ressentir un amour qui ne se commande pas.Premier Amour de Samuel Beckett, Mise en scène Jean-Michel Meyer
Avec Jean-Quentin ChâtelainFestival d’Avignon OFF 2021
Du 7 au 30 juillet 2021 à 11h, relâches les mardis 13, 20 et 27 juillet.
Théâtre des Halles – Scènes d’Avignon – Salle Chapelle –
7 rue du Roi René - 84000 AvignonTout public à partir de 15 ans