Cosmétique d’Amélie Nothomb

Publié le 09 juillet 2021 par Sylvainrakotoarison

" On ne sait rien de soi. On croit s'habituer à être soi, c'est le contraire. Plus les années passent et moins on comprend qui est cette personne au nom de laquelle on dit et fait les choses. Ce n'est pas un problème. Où est l'inconvénient de vivre la vie d'un inconnu ? Cela vaut peut-être mieux : sachez qui vous êtes et vous vous prendrez en grippe. " (1995).

Ces quelques phrases commencent "Les Catilinaires", l'un des nombreux romans de la célèbre romancière belge Amélie Nothomb, sorti en 1995 chez son éditeur Albin Michel. Amélie Nothomb fête son 55 e anniversaire ce vendredi 9 juillet 2021, bien qu'elle indique dans la notice de ce même roman qu'elle est née en 1967. En tout cas, par prudence, évitez donc de lui souhaiter son anniversaire !
J'ai découvert Amélie Nothomb peu après le début de son aventure éditoriale. Avec "Hygiène de l'assassin", sorti en 1992 chez Albin Michel. J'ai tout de suite apprécié l'ouvrage. Et au début, je ne ratais pas un seul des suivants pendant les premières années. Les titres eux-mêmes sont merveilleux, pleins d'originalité, parfois sans vraie signification mais qui collent juste, qui se lit harmonieusement, comme si c'était déjà des classiques, et oui, en fait, maintenant, après près de trente ans, oui trente ans ! de carrière littéraire, les "Amélie Nothomb" sont devenus des classiques de la littérature française, disons francophone.
Parmi les titres moins "tordus", cet excellent roman "Mercure", sorti en 1998 chez Albin Michel, dont j'ai adoré l'originalité de l'histoire. Impossible d'en dire plus qu'une jeune fille enfermée et blessée qui n'a pas le droit de se regarder dans un miroir mais qui réussit quand même à trouver un moyen pour voir son visage (le titre apporte ainsi un indice déterminant).
Quand j'écris "excellent", je ne me sens pas du tout "juge", les lecteurs ont décidé très largement de donner leurs sentiments, ils sont plusieurs dizaines voire centaines de milliers au rendez-vous de chaque nouveau roman. Selon son éditeur, en vingt ans (en été 2012), elle... enfin il, l'éditeur, aurait vendu déjà au moins 15 millions d'exemplaires de ses livres, traduits dans quarante-six langues. On peut dire qu'Amélie Nothomb est une "valeur sûre", et il faut bien se décider à comprendre que nombre et qualité ne sont pas nécessairement incompatibles dans la littérature française.
Enfin, elle n'est pas française ; elle est belge, fille de diplomate belge, sœur d'une autre romancière (Juliette), mais la France se "l'approprierait" sans hésitation ! Enfin, ceux qui croient que les apports extérieurs enrichissent le génie national, bien sûr. Pour l'heure, ce sont les académiciens belges qui l'ont accueillie (en 2015, au fauteuil numéro 26 de l'Académie royale de langue et de littérature française, le fauteuil de Georges Simenon), et l'on imagine encore mal les nôtres, les académiciens de l'Académie française, se proposer de la coopter. C'est peut-être péremptoire ce que j'écris, mais en tout cas, ils y auraient tout à y gagner : féminisation et rajeunissement (parce qu'à 55 ans, c'est encore "jeune" pour l'Académie !).

Probablement que le roman le plus connu et qui restera longtemps le plus connu d'Amélie Nothomb est "Stupeur et tremblements", sorti en 1999 chez Albin Michel qui, au-delà du style incisif, est le témoignage autobiographique assez préoccupant du choc des cultures entre l'Europe et le Japon. Ce roman a été récompensé notamment par le Grand Prix du roman de l'Académie française et a eu sa consécration par son adaptation cinématographique, réalisée par Alain Corneau (sortie le 12 mars 2003), avec pour le rôle de l'héroïne (et écrivaine) la très performante Sylvie Testud qui a très largement mérité son César de la meilleure actrice 2004. Une adaptation réussie au point de vue que c'était exactement ainsi que moi, lecteur, j'aurais envisagé le film si j'avais eu les qualités d'un réalisateur.
Le succès ne trompe jamais. Il me semble que la dernière fois que je l'ai aperçue était le 17 mars 20218 à la Porte de Versailles de Paris, c'était le Salon du Livre de Paris (dont les éditions 2020 et 2021 ont été annulées pour cause de pandémie), et comme à chaque Salon, une queue monstrueusement longue, mais patiente, calme, attendait un autographe de la romancière qui, bon enfant, se prêtait gentiment au jeu des selfies et autres petits gestes affectueux et personnels. Toujours vêtue de son grand chapeau de sorcière et autres considérations gothiques.
Admiratrice de Céline, Amélie Nothomb s'est beaucoup distinguée dans les médias français. Elle a été trois fois l'invitée de la prestigieuse et regrettée émission littéraire "Bouillon de culture" (suite de "Apostrophes") présentée par Bernard Pivot, en particulier la dernière émission diffusée le 29 juin 2001.
Pour remercier le présentateur vedette par ailleurs membre de l'Académie Goncourt (et même son président de 2014 à 2019), Amélie Nothomb a raconté l'un de ses rêves : " Il y a deux nuits, j'ai fait ce rêve que je certifie authentique : je passais à l'émission de Bernard Pivot et ce dernier annonçait aux téléspectateurs, en direct, qu'au terme de chaque temps de parole, chaque invité serait tenu de sauter en parachute, le studio d'enregistrement étant situé dans un zeppelin, cela s'y prêtait. Pivot a ajouté : "Un auteur qui refuserait le saut serait disqualifié. Car que penser d'un écrivain qui ne serait pas prêt à sacrifier sa vie pour son livre ?". Je me suis réveillée terrifiée. Ce rêve signifie probablement quelque chose, mais je ne sais pas quoi. ".

Comme je l'indiquais au début, j'adore lire Amélie Nothomb. Je crois que cette rencontre entre un auteur et son lecteur, qui se fait à l'intérieur d'un livre, est toujours très intime. Ses livres sont parfois égocentrés mais il y a beaucoup de trouvailles jubilatoires et le style est clair et limpide. L'auteure est probablement un peu excentrique, mais j'ai la conviction qu'elle est reconnaissante de ses lecteurs et les respecte.
Le soir du 10 mars 2015, sur France Culture (avant la grande grève), Amélie Nothomb était l'invitée de Laure Adler dans l'émission "Hors-Champs" (on peut la réécouter ici). Des entretiens toujours intéressants parce qu'ils n'ont aucun objectif de sensationnalisme et ils ont du temps.
Justement, l'écrivaine a expliqué qu'elle avait déjà rédigé quatre-vingt-un romans. Quatre-vingt-un ? me disais-je. Il me semblait qu'il y en avait beaucoup moins. Eh oui, j'avais bien raison, beaucoup moins ont été publiés. Mais là, elle parlait de romans rédigés, pas de romans publiés : " Écrire, c'est comme une technique de ralentissement sensoriel extrême. ". Pour elle, la publication serait comme accoucher d'un enfant, mettre en vie un ouvrage.
Elle écrit beaucoup plus qu'elle ne publie. Chaque année, vers la fin de l'hiver, elle choisit celui des trois ou quatre romans écrits durant l'année qui sera publié, celui qu'elle estime le meilleur, et les autres romans qu'elle a rédigés durant l'année, elle les glisse dans une boîte de chaussures (qui est peut-être aussi grande qu'une boîte de chapeau), avec la ferme volonté qu'ils ne seront jamais lus ni publiés : à sa mort, elle veut que tous ses manuscrits non publiés soient coulés dans la résine.
Comme on le voit, elle a donc un besoin vital d'écrire mais pas forcément d'être lue. Quand elle commence un roman, elle ne sait jamais où elle ira. Elle se laisse guider par sa main, par son fil au jour le jour. C'était le cas notamment de "La Métaphysique des tubes". Ses titres sont d'ailleurs très riches et originaux, j'imagine qu'elle les a imaginés et adoptés avant la fin de l'écriture.
Par ailleurs, elle a fait deux tentatives de suicide sérieuses dont une à l'âge de 3 ans (l'autre à l'âge de 19 ans). Ce sujet n'est pas tabou : " Le désir quotidien de suicide est un désir cathartique (...). Penser : j'ai envie de me pendre, on ne le pense pas du tout, mais ça fait du bien et ça permet de ne pas assassiner son voisin de métro. ". Et elle est assez convaincue qu'elle n'en refera plus car c'est assez désagréable. Elle sait qu'elle mourra vieille, toute seule, sans son intervention, qu'elle goûtera un jour la mort, alors autant laisser faire la nature.
Quatre-vingt-un romans, et une bonne proportion noyée définitivement dans les vapeurs de l'inédit. Dans une autre interview, cette fois-ci dans l'émission "Le Grand Atelier" présenté par Vincent Josse, diffusée le 2 septembre 2018 sur France Inter (on peut la réécouter ici), elle précise qu'elle n'écrit pas pour un objectif thérapeutique. Vincent Josse l'évoque : " C'est une travailleuse de l'aube, qui, avec sa plume, joue avec les mots, les idées, les images, le moi mêlé à de la fiction. Amélie Nothomb (...) vient, une fois encore, expliquer à quel point elle n'est "bonne qu'à ça" (selon la formule de Beckett) : écrire. ".
Alors, servons-lui silencieusement un verre de champagne frais, comme elle les aime, et repartons discrètement pour la laisser continuer à écrire...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 juillet 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Interview d'Amélie Nothomb par Vincent Josse dans l'émission "Le Grand Atelier" le 2 septembre 2018 sur France Inter (à télécharger).
Interview d'Amélie Nothomb par Laure Adler dans l'émission "Hors-Champs" le 10 mars 2015 sur France Culture (à télécharger).
Amélie Nothomb.
Jean de La Fontaine.
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Frédéric Dard.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
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Jean d'Ormesson.
Les 90 ans de Jean d'O.

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