Kossi Komla-Ebri : Avant que tombe la nuit

Par Gangoueus @lareus

Je reprends plaisir à lire de la prose. Du coup, je m’emploie à aborder des ouvrages présents dans ma bibliothèque depuis quelques mois. En priorité, j’ai choisi de lire ce recueil de nouvelles de Kossi Komla-Ebri parce qu’il fait partie de la toute nouvelle collection Fil Bleu que Kangni Alem a initié au sein des éditions Continents de Lomé. 

Kangni Alem et moi

Comprenez que lorsqu’un texte me vient d’une maison édition africaine ou caribéenne, je m’attarde un peu sur le sujet. Kangni Alem étant un fin connaisseur du monde du livre et du métier de l’édition par le simple fait d’avoir connu les contraintes et les exigences des éditeurs parisiens à chaque manuscrit soumis, on est en droit d’attendre de bons textes de sa collection. Avec ce recueil de nouvelles, Avant que tombe la nuit, du médecin chirurgien, installé en Italie depuis plus de quarante ans et ayant produit des oeuvres littéraires en langue italienne, le lecteur que je suis n’a pas été déçu.

La beauté du livre

Je ne parle pas souvent de cet aspect des choses. Mais permettez-moi, pour une production subsaharienne, de m’arrêter sur ce sujet. Le livre papier est d’une remarquable qualité. On ne peut que saluer tous les éléments qui font la beauté d’un livre : une bonne couverture, une présentation correcte de l’ouvrage, une typographie excellente et une reliure remarquable. Bel objet. Mais, il existe aussi en format e-book. Ce qui ne le limite pas la diffusion de l'ouvrage à l'unique public togolais, mais à la galaxie entière par le biais des meilleures librairies numériques. J’exagère un peu. Mais voilà l'ouvrage idéal à mon sens produit sur le continent Africain.

Les nouvelles

Trèves de bavardages, c’est sur la critique littéraire que vous m’attendez. La beauté d’un livre, sa présence dans l’univers dématérialisé… importent peu pour beaucoup. Ici, nous avons droit à 10 nouvelles de très bonne facture. Avec un fil conducteur : l’entre-deux du migrant, de l’extra-communautaire (1), du repat (2). Ce positionnement de l’individu augmenté ou diminué par l’expérience de l’ailleurs. Ici, l’ailleurs, le lointain, c’est l’Italie. Ce qui déjà change un peu la donne, même si les expériences relatées par les écrivains africains basés se recoupent un peu, voire beaucoup. C’est aussi le profil de l’écrivain. Un médecin chirurgien qui a fait son nid en Italie avec toutes les compositions nécessaires pour trouver sa place, ne serait-ce par la relation du couple. 
Kossi Komla-Ebri est un homme plein d’humour. Il sait rire de choses douloureuses comme dans cette première nouvelle qui, sauf erreur de ma part, est la seule qui se passe en France, du côté de Barbès à Paris. Un homme fatigué par la douloureuse expérience de sa présence en France tenter de rentrer dans son pays avec le billet de voyage d’un autre. Une aberration quand l’écrivain nous livre les fanfaronnades du personnage tout heureux de repartir retrouver le soleil et la douceur d’une vie sous les Tropiques. L’acharnement d’un officier de police à empêcher notre quidam à prendre son vol interdit est rageant ou légitime. Plus sérieusement, certaines nouvelles parlent de cohabitation, de compromis, de compromissions. Je prendrai pour exemple Le mal... de, une nouvelle où un cadre africain marié à une italienne fait venir sa soeur pour s’occuper de leurs enfants. On n’est pas, sous la plume de Kossi Komla-Ebri dans un cas d’esclavage moderne. Du moins, ce n’est pas sous cet angle que le texte est abordé. C’est  plutôt sur les errements du frère, ses reniements de pans entiers de sa culture d’origine pour s’enraciner dans la terre d’accueil. La chute de cette nouvelle que je vous livrerai pour que vous ayez le désir de lire les autres, c’est l’inversion proposée lorsque la soeur au jugement sévère sur son frère rentre au bercail après avoir acquise une complète autonomie. Elle revient au bled renouvelée, « rebrandée »  avec des désirs de saveurs italiennes, déphasée des habitudes togolaises. Je trouve que l’auteur est dans le vrai, même si ce n’est pas la réalité de tous ces hommes et femmes en mouvement.

Ancrages culturels et racisme

L’écrivain évoque l’ancrage de valeurs et n’hésite pas à placer ses personnages dans le contexte de l’arrière pays togolais. Comme pour dire que partir ce n’est pas s’oublier. Mais naturellement le lecteur notera la nuance et l’ambivalence du propos en fonction des nouvelles. Il peut dire des choses différentes en fonction du positionnement de ces personnages, d’une stratégie définie en fonction des lieux. 
La nouvelle Madiba est symbolique de la méthode de Komla-Ebri. Si par le propos deux sud-africains au profil très différent, le combat de Mandela et l’oppression subie par les Noirs en Afrique du Sud pendant l’apartheid semble être le sujet principal de cette nouvelle, la chute, brutale, nous renvoie à l’absurde et au racisme qui gangrène l’Italie et frappe les extra-communautaires. 
«  Ah Italia! Dire qu’en Italie, je voulais tellement rentrer chez moi! Maintenant, je me sens comme un locataire des deux patries : parfois j’en suis heureuse, parfois je me sens écartelée, un peu déséquilibrée comme si une partie de moi était restée en Europe ! » Le mal… de

Le plus important est surement de souligner qu’au-delà de la construction de ces nouvelles et de leurs thèmes respectifs, la qualité de l’écriture de Komla-Ebri participe au bonheur du lecteur.
Kossi Komla-Ebri, Avant que tombe la nuitEditions Continents, Collection Filbleu, première parution en 2021
(1) Extra-communautaires : terme en Italie pour désigner les non-Européens souvent en proie aux campagnes de xénophobie.(2)  Repats : Membres de la diaspora Africaine procédant à un retour sur le continent Africain pour s'y installer