Né en 1932, Éric Fuchs a passé une grande partie de son enfance à Plainpalais, un quartier très animé de Genève. Il y est arrivé à l'âge de six ans et ne s'y serait pas intégré s'il n'y avait pas eu le football, qui autorise la lutte, la compétition, les échecs, les complicités, surtout les amitiés si fortes durant cette période scolaire.
Garçons et filles ne jouent pas ensemble, sont séparés à l'école, mais se rencontrent à la paroisse protestante, où sont rappelées de fortes exigences morales . C'est pour lui une ère d'insouciance où se trouvent réunies les conditions d'une grande liberté personnelle que sont aussi une famille solide et une bande de copains.
À l'âge de dix ans, son père tombe gravement malade. S'en est fini de l'insouciance. Il se doit de faire de bonnes études et devient un jeune homme sérieux dont les résultats à l'école primaire permettent d'accéder au collège Calvin, ce lieu privilégié des grandes familles genevoises , où il s'intègre par l'excellence.
Né pourtant dans une famille agnostique, la rencontre avec le pasteur Redalié le conduit à faire deux ans d'études à la Faculté de Théologie de Genève, puis à poursuivre ses études à la Faculté libre de Montpellier. Là, Georges Crespy, professeur émérite, lui permet de découvrir l'intérêt de la théologie morale, de l'éthique.
Un maître-mot, reconnaissance , à comprendre dans les deux acceptions de connaissance et de re-connaissance , exprime la gratitude qu'il éprouve envers ceux qui lui ont permis non seulement de surmonter ses difficultés d'intégration mais aussi, librement, de choisir ses orientations et de développer son goût des autres.
Devenu pasteur, plutôt que d'exercer confortablement dans une paroisse, il prend en charge le Centre protestant d'études, fondé et financé par Jacques de Sernaclens, où il s'agit de pratiquer une théologie plus exigeante intellectuellement, ouverte aux préoccupations sociales et morales de publics professionnellement divers :
Le Centre protestant d'études se veut à l'écoute des connaissances de son époque et de leur confrontation avec les valeurs chrétiennes.Au Centre Protestant d'études, en vingt années d'animation de groupes et de cours, une accumulation d'expériences et de connaissances permet à Éric Fuchs de faire le choix d'une carrière universitaire avec une thèse de doctorat . Dans cette thèse, Le Désir et la Tendresse, il prône une éthique chrétienne de la sexualité:
Sans limite, sans interdit, le désir peut alors se révéler d'une violence inimaginable.[...]
À la vision hiérarchisée de la morale catholique s'oppose une morale protestante du scrupule, une conscience scrupuleuse.En 1973, il fonde avec des amis catholiques l'Atelier oecuménique de théologie. Ce fut un grand moment de sa vie: c'était formidable, dit-il lors de la fête de la 19 e volée en 2020, de se faire des amis, de continuer à être amis, la découverte des uns et des autres dans nos différences, découverte mutuelle, enrichissement mutuel.
Il étend sa réflexion éthique à d'autres domaines que la sexualité, notamment à celui de la médecine où les croyances scientifiques minimisent et occultent les droits de la personne malade ou mourante. Cela le préparera à être professeur d'éthique à Lausanne pendant six ans, puis titulaire de la chaire d'éthique à Genève:
À des normes morales toujours contraignantes, la perspective éthique impose une réflexion ouverte, tolérante, sincère sur les enjeux et les valeurs sous-jacentes.
Éric Fuchs est un éveilleur. À ce titre, il insiste sur la fidélité à la longue chaîne générationnelle qui construit l'histoire personnelle et la cohérence du sentiment d'identité. C'est ce qui explique sa reconnaissance et ses gratitudes envers ceux qui l'ont éveillé à la foi, au goût des études, gratitudes pour les amitiés fortes et solides:
Le mythe d'être créateur de soi-même, d'être sa propre origine, a conduit à toutes les impasses actuelles de pathologie de l'individu, égoïsme, rejet du malheur sur des facteurs extérieurs, négation des limites et des interdits.Pour lui, il est crucial, avec l'âge, pour son propre sentiment d'identité, d'être capable de rendre compte de ses actes et d'en assumer la responsabilité. Des échanges réciproques et des relations de confiance avec les autres le permettent en apprenant soi-même, c'est-à-dire en favorisant un travail lucide et exigeant sur soi-même:
Toutefois son parcours est resté éclairé par la foi chrétienne, foi parsemée de doutes, mais foi extrême au sein d'une vie spirituelle intense - foi chrétienne d'unité interreligieuse, foi porteuse d'une immense espérance.
Francis Richard
Éric Fuchs l'éveilleur, Maryvonne Nicolet-Gognalons, 104 pages, Slatkine