Chaque Mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une des mes trois immenses passions: Le cinéma.
Je vous parle généralement d'un film qui peuple ma collection de films. D'un film que j'ai aimé pour ses thèmes explorés, son audace, ses trouvailles, ses dialogues, sa réalisation, son histoire, ses interprètes, son ton, sa cinématographie, sa trame sonore, souvent tout ça en même temps. Bref, je vous parle d'un film que j'ai aimé pour la majorité de ses choix.
Le cinéma, je l'ai étudié, surconsommé, y ait travaillé, en fût récompensé tout jeune, et je continue de la surconsommer au possible. Si je suis sorti du milieu, le cinéma n'est jamais sorti de moi.
Pourquoi parler d'autre chose que de cinéma? disait Jean-Luc. avec le cinéma on parle de tout. On arrive à tout.
THE ROYAL TENENBAUMS de WES ANDERSON.
La famille Tenenbaum co-habite dans une immense maison dans une sorte de New York rêvée. La maison comprend suffisamment de pièces pour que chaque individus y habitant puisse y cultiver une personnalité bien à elle, incompatible avec celle de toutes les autres. Royal Tenenbaum, le patriach, a quitté promptement la famille il y a plusieurs années, et vit à crédit dans un hôtel depuis. Il n'a jamais divorcé d'Etheline, toujours femme au foyer, même si les trois enfants sont grands, majeurs, et dont l'un a même une famille de 3 enfants lui-même.
Les trois enfants de Royal et Etheline ont tous déjà été de enfants prodiges et sont tous devenus des adultes névrosés. Il y a Chas, un prodige mathématique devenu wizz des affaires. Margot, fille adoptée, qui s'est mérité un prix pour avoir écrit une pièce de théâtre à succès lorsqu'elle était pré-adolescente. Puis, Richie, ancien champion de tennis.
Les trois se présentent avec différents partenaires et amis. Les plus mémorables sont Raleigh St-Clair, intellectuel beaucoup plus âgé que Margot, ancien époux de cette dernière. Il ne semble pas la connaître ni d'Adam, ni d'Ève. Bill Murray est toujours formidablement déstabilisant. Eli Cash est le voisin d'en face, il est presqu'un membre de la famille. Il écrit de livre western qui obtiennent des critiques terribles mais qui vendent énormément. Henry Sherman est le comptable pendant 10 ans de la famille, avant de découvrir qu'il est amoureux d'Etheline et vice-versa. Il y a aussi deux intéressant satellittes qui survolent tout ce monde, Pagoda, un serviteur indien qui a déjà tenté d'assassiner Royal, en Inde, avant de le sauver du suicide, et le commis réceptionniste Dusty, qui incarne parfois un faux docteur quand Royal feint d'être atteint d'une fausse maladie mortelle. Ce qui lui arrive souvent et lui sert d'outil de chantage.
Bien entendu, il s'agit d'une comédie. Les excentricités de la famille cachent de profonde solitudes. Tous les Tenenbaums sont des îles pleines d'eux-mêmes. Margot fume en cachette depuis ses 12 ans. Mais à quoi bon? personne dans sa famille ne s'en soucie. Quand elle s'en désole, peu remarque sa déception. Son secret était une stratégie afin d'avoir quelque chose qui ne lui aurait appartenu qu'à elle.
Un des plaisirs du film, et du cinéma d'Anderson en général, est qu'on nous place souvent dans des inconforts sur la manière dont on devrait réagir face à une scène. C'est un peu comme un gars qui vous niaiserait, jusqu'à ce qu'il se révèle finalement sincère. Vous laissant finalement avec le demi-sourire innaproprié. Dans la plupart des rôles de Owen Wilson (Eli Cash), ce feeling est perpétuel. Est-il sérieux? oh! il l'était! Anderson nous pousse au plus loin qu'il le peu dans le grotesque. Avec succès.
Ça fonctionne principalement dans le dialogue. Une brillante scène familiale autour d'une table nous présente Royal annonçant qu'il aurait le cancer et qu'il voudrait apprendre à connaître davantage son entourage avant de quitter le monde. Ce à quoi Chas se dit automatiquement inintéressé. Chas accuse son père depuis longtemps de lui avoir volé de l'argent. Royal propose que les enfants aillent visiter leur grand-mère. Chas et Richie s'insurgent prétextant qu'ils ne l'on pas vue depuis leur petite enfance. Margot pense qu'elle ne l'a jamais rencontrée. Royal répond alors du tac-o-tac "ELLE N'ÉTAIT PAS TA VRAIE GRAND-MÈRE DE TOUTE MANIÈRE!". Il présente d'ailleurs brutalement sa fille à tout le monde comme étant "my adopted daughter". Poussée vers l'île.
Dans le cinéma d'Anderson cruauté et humour font 1 et 1 bien souvent. Et il travaille souvent avec les frères Wilson, qu'il a connu à l'Université du Texas où ils ont tricoté leurs premiers films avec des bouts de ficelle. Owen co-scénarise cette délicieuse comédie. Pour ajouter de la crédibilité à ses maladies imaginaires, Royal se présente à la maison, toujours entubé à un lit d'hôpital. Les enfants de Chas ont tous la même motte de cheveux frisés et sont presque toujours habillés d'un kit sportif agencé, comme papa. Quand Royal veut que montrer à ses petits enfants comment prendre des risques, il leur fait défier le trafic dans les rues achalandées de voiture, leur fait harceler des taxis en leur tirant tout ce qu'ils ont sous la main et leur apprend à voler. Voyez, le ton. Comique.
C'est aussi ridicule que tendre. Avec un casting de rêve comprenant Gene Hackman dans le rôle titre, Angelica Huston dans la peau de son ex-femme, Danny Glover comme comptable amoureux, Ben Stiller, Gwyneth Paltrow et Luke Wilson qui sont les trois enfant Tenenbaum, Bill Murray, Seymour Cassel et Kumar Pagoda. Je pense n'avoir jamais trouvé Paltrow plus attirante que dans ce film.
La famille dysfonctionnelle devient touchante principalement parce qu'on sent que tout le monde tient à creuser un petit espace afin d'y glisser un peu d'amour. Et tente d'en recevoir en retour. Anderson, toujours très intelligent, ne se moque pas de leurs efforts, il le comprend, et sympathise.
J'ai aussi Rushmore de Wes Anderson dans ma besace à films. Tout aussi brillant.