1948
Editions Gallimard, "L'imaginaire"
Je continue ma découverte enthousiaste des écrivains français oubliés, tels Chauviré, Vialatte ou Hardellet grâce à cette merveilleuse collection qu'est
l'Imaginaire.
Henri Calet (1904-1956) est resté célèbre pour ses chroniques parisiennes qu'il a tenues pendant la guerre au
journal Combat. On lui doit la création d'une "littérature arrondissementière" : il se fait le chroniqueur d'un Paris d'autrefois, des années 40 et plus particulièrement le Paris du XIVe
arrondissement. Nous partons grâce à lui à la découverte des rues et des métiers d'autrefois. Il croque de beaux portraits humains, teintés de nostalgie. Il mena une vie de bourlingueur, exerça
plusieurs petits métiers et adopta son pseudonyme après avoir volé la caisse du boulot !
Le tout sur le tout est un récit inclassable, fourre-tout où sont rassemblées des chroniques qu'il a tenues à Combat. Si la première partie est autobiographique, la seconde est
davantage une promenade dans le Paris populaire d'après-guerre ; promenade teintée de nostalgie et de mélancolie. On y mesure l'écoulement du temps ; Calet, en digne mémorialiste, relate
l'autrefois ; mais il est parfois difficile de revenir sur ses pas :
"Mieux vaut je crois, cesser ces promenades dans le passé. Je n'en finirais pas. Mieux vaut rester chez soi, dans son quartier, et regarder vivre les autres.
Arpenter sa vie à reculons, c'est esquintant ; c'est si long, une vie à pied. Et puis, on peut tout aussi bien revivre à la maison. "
Du haut de ses quarante ans, l'auteur mesure le temps passé, se souvient des morts, mesure la transformation de Paris : et il marche, il marche à la rencontre de personnes pittoresques...
Il se souvient des petits métiers du Paris populaire : la grainetière, le matelassier, le marchand de charbon...Les rues commerçantes, la queue au marché noir, les faits divers tragiques...
Il nous relate une partie de son enfance tourmentée ; père anarchiste, mère flamande ; les déménagements se succèdent...
Lorsque vous aurez lu ce magnifique récit, vous aurez fait un magnifique voyage dans le temps. Vaugirard, Bellevile, Ménilmontant...Autant
de quartiers de Paris qui revivent sous la plume de ce mémorialiste des petites gens.
Calet chante la poésie du quotidien entre petits bonheurs et grands malheurs. Du tourisme avec un petit t, une douce mélancolie qui nous émeut :
"Paris des douze mois de l'année, Paris changeant, Paris des quatre saisons, Paris de poche, Paris de tous les jours, Paris à vol d'oiseau, Paris dans un
rectangle de verre à vitre, Paris du matin, Paris la nuit, Paris à la lune, Paris en chanson, Paris à l'arc-en- ciel, Paris aux cent milles pipes, Paris bleu de gel, Paris en rose, Paris
transparent, Paris qui sue, Paris à la neige, Paris en voile d'épousée, Paris en toilette du soir, Paris paré de ses étoiles, Paris en petite robe de semaine, Paris emmitouflé dans ses écharpes
de brume, Paris pauvre, abandonné, inhabité, obscurci, bombardé, Paris riche, Paris bannières au vent...
Je me suis coiffé de cette ville, elle me botte parfaitement, elle est à ma taille. Je l'ai vue sous toutes les coutures. C'est une intimité sans plus aucun secret. Paris en chemise, Paris à
poil. Je m'en fais un tour de cou. C'entre nous à la vie à la mort (la vie pour elle, la mort pour moi")