L’attention est aussi un défi RH !

Nous prenons de plus en plus conscience de nos difficultés à gérer nos capacités d’attention : interruptions fréquentes par des notifications, tentation de « juste jeter un coup d’œil » sur ses fils de réseaux sociaux pour y trouver quelque chose de nouveau et stimulant,… la liste est longue et nous avons du mal à rester concentrer longtemps sur une même tâche. Ce que nous ressentons à titre individuel affecte aussi les organisations, et notamment la fonction RH ! Elle peine à se faire entendre alors que la crise sanitaire la sollicite fortement. Dans son ouvrage « DRH mission ou démission », Thomas Chardin voit l’attention comme un enjeu et un défi majeur pour la fonction RH. Et ce, à plusieurs titres, tant pour capter l’attention des candidats et des collaborateurs que pour leur porter attention. Il s’en explique ainsi :

« L’attention, la nouvelle donne

Sur chacun des trois fronts (attractivité, rétention, engagement), on retrouve un même enjeu celui de l’attention. Pour la fonction RH, il s’agit en effet de susciter l’intérêt des candidats détenant les compétences recherchées, de maintenir celui des collaborateurs sur le long terme et de susciter leur attention au quotidien pour leur donner envie de faire un bout de chemin professionnel ensemble. 

Se faire entendre dans le bruit

Le problème est qu’il ne suffit pas de vouloir capter l’attention de ses « cibles » pour y parvenir tant elles sont sollicitées par ailleurs C’est là le troisième vent contraire que la DRH affronte. Avant d’être un candidat ou un collaborateur, toute personne est aussi un consommateur dont les marques, les médias et surtout les réseaux sociaux s’efforcent de capter le « temps de cerveau disponible ». Le Smartphone a par ailleurs une efficacité décuplée par rapport à la télévision dans cette captation de notre attention.

Nous avons tous désormais accès à une quantité d’informations, pertinentes ou pas, bien supérieure aux capacités attentionnelles dont nous disposons pour en prendre connaissance. Dans un monde d’infobésité, il convient donc de mettre au premier plan une nouvelle rareté et sans doute une nouvelle source de valeur : l’attention.

Le monde s’est transformé. Il a fortement changé en très peu de temps. La fonction RH doit prendre en compte de changement de paradigme de la communication si elle souhaite encore remplir sa mission. Pour être transformatrice et porter la dimension humaine des organisations, elle doit, elle aussi, se transformer.

D’abord, elle se doit d’appréhender cette nouvelle donne pour intéresser son audience, pour en être entendue et pour construire avec elle une relation sur le long terme.

 Susciter l’intérêt

Heureusement, il ne s’agit pas, dans le domaine des ressources humaines, de capter cette disponibilité cérébrale et souvent émotionnelle : le service RH n’est pas et ne sera jamais une régie publicitaire. Mais la DRH doit s’efforcer d’être intéressante pour les candidats, les collaborateurs et les managers. Pour y parvenir, elle doit mieux comprendre leurs habitudes, leurs attentes, leurs besoins et leurs souhaits.

Ensuite, elle doit mettre en place les garde-fous de cette servitude numérique et de cette économie de l’attention pour les canaliser et en diminuer l’influence au sein de l’entreprise. Elle doit le faire tout en accompagnant les victimes de l’illectronisme[1], ceux qui sont en difficulté vis-à-vis du digital, voire dans l’incapacité d’utiliser les appareils numériques et les outils informatiques. Elle doit assurer que tout le monde monte à bord du train digital, certains dans la voiture de tête, d’autres dans voiture de queue, mais personne ne doit rester sur le quai.

 Être un repère dans le chaos numérique

Comme l’analyse très bien Bruno Patino dans La Civilisation du poisson rouge[2], l’économie de l’attention consiste à augmenter la productivité du temps pour en extraire encore plus de valeur. Après avoir réduit l’espace, il s’agit d’étendre le temps tout en le comprimant, et de créer un « instantané infini ». L’accélération générale a remplacé l’habitude par l’attention, et la satisfaction pour l’addiction.(…)

Savoir prendre soin

Par ailleurs, le salarié n’a pas envie d’être réduit à un animal économique. Il a besoin de donner et d’être reconnu, pas uniquement pour ce qu’il fait, mais aussi pour ce qu’il est. C’est surtout cela l’attention : une marque d’intérêt, d’affection, un égard particulier, un soin aux personnes. Il convient de sortir de la vision utilitariste du salarié et de porter attention à l’autre. L’entreprise doit aller au-delà de son rôle économique et être porteuse de sens. L’attention sincère aux personnes en est la clé.

Les confinements et l’épidémie de Covid-19 ont été l’occasion de revaloriser, au moins symboliquement, tous ces métiers du soin et de l’attention, dont l’utilité évidente éclipsait soudainement celle de nos activités professionnelles moins essentielles, devenues presque dérisoires. Et si les DRH, à leur manière, rejoignaient en partie des métiers d’attention et de solidarité caractéristiques de la société du care[3] ? N’y a-t-il pas quelque chose d’éminemment caractéristique des RH dans la définition qu’en donne Cynthia Fleury[4] : « un société du « prendre soin » où on comprend que nos interdépendances sont des forces qui nous permettent de transformer le monde de la façon la plus créative et solidaire possible » ?

La fonction RH est bousculée, mais la crise actuelle lui offre une opportunité de se réinventer et de se concentrer sur le domaine où sa valeur ajoutée est clé : l’humain.

[1] L’illectronisme touche 17% de la population selon l’INSEE.

[2] Bruno Patino, La Civilisation du poisson rouge : petit traité sur le marché de l’attention, Grasset, 2019.

[3] Le care, la « capacité à prendre soin d’autrui », a été mis en évidence par Carol Gilligan en 1982. Une voix différente : pour une éthique du care, Flammarion, 2008.

[4] « Penser demain : la société du « care » selon Cynthia Fleury », Brut, 15 avril 2020.