Lettre ouverte à Bruno Le Maire pour exiger plus de justice fiscale

Publié le 01 juillet 2021 par Albert @albertRicchi
A moins d’un an de la prochaine élection présidentielle, peu de responsables politiques évoquent la nécessité d'une vraie réforme fiscale qu’aucun gouvernement n’a osé faire à ce jour.
Pourtant, cette réforme est essentielle car l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 nous rappelle que chaque citoyen doit participer, en fonction de ses revenus, à la mutualisation des moyens financiers de l'Etat, ce qui est loin d'être le cas...

 

Bruno Lemaire Ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance 139 Rue de Bercy 75012 Paris

 

Monsieur le Ministre,

Comme chaque année, j'ai rempli ma déclaration de revenus. Je paye l'impôt sur le revenu et suis satisfait de contribuer à financer la solidarité et les services publics de mon pays comme la santé, l'éducation, la protection sociale, la justice...

Je sais qu'un certain nombre de contribuables ne sont pas soumis à cet impôt en raison de la faiblesse de leur revenu. Cependant ils payent largement leur part via les impôts indirects et les taxes comme la TVA ou la taxe sur le carburant (TICPE) dont les recettes sont plus de 2 fois supérieures à celles de l'impôt sur le revenu !

Ces taxes représentent une part importante du revenu des personnes aux ressources modestes alors qu'elles ne pèsent que très peu sur celui des plus riches. Alors que votre gouvernement prétend qu'il existe un ras-le-bol fiscal en France et refuse tout nouvel impôt, je pense qu'il y a surtout un sentiment d'injustice fiscale lié au fait que ceux qui peuvent le plus contribuer à l'impôt ne payent pas leur juste part.

A titre personnel, je trouve inacceptable que des milliardaires comme Bernard Arnault, François Pinault ou Françoise Bettencourt Meyers aient vu leurs fortunes exploser pendant la crise sanitaire en tirant bénéfice des milliards d'aides publiques injectés dans l'économie.

Pourtant, des solutions existent pour rétablir une vraie justice fiscale :

- Augmenter la progressivité de l’impôt sur le revenu (IR)

L’Impôt sur le revenu (IR) souffre d'un manque cruel de progressivité avec seulement 5 tranches d’imposition. Le taux marginal supérieur est bien passé de 41% à 45 % sous le quinquennat de François Hollande mais cela n’a rien changé à un système qui demeure dégressif pour les plus hauts revenus et n’est plus calculé en fonction des « facultés » de chacun. On reste très loin d'un taux marginal élevé tel qu'on l'a connu par exemple aux Etats-Unis entre 1932 et 1980 qui était de 81% en moyenne !

De plus, les nombreux dispositifs dérogatoires existants aggravent encore ce manque de progressivité comme ceux qui permettent une déduction du revenu imposable, un crédit d’impôt ou encore ceux qui relèvent d’une imposition différenciée comme le prélèvement forfaitaire unique qui impose les revenus financiers comme les dividendes et les plus-values financières à un taux proportionnel.

La simple diminution de ces dispositifs dérogatoires, un taux marginal au moins égal à 50% et le rétablissement des quatorze tranches d'imposition, supprimées par Laurent Fabius, ministre des finances en 2000, permettraient de rétablir une réelle progressivité de l'IR et de dégager des recettes nettement supérieures à celles rapportées aujourd'hui.  

- Supprimer les niches fiscales inutiles, injustes ou anti-écologiques

Plus de 450 niches fiscales représentent, d'après le Trésor, un montant dépassant les 100 milliards € alors que dans le même temps l'IR rapporte moins de 90 milliards €. Une situation fiscale et comptable unique au monde !

Si quelques niches répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement utiles, la plupart d'entre elles sont complètement inutiles et permettent surtout à une minorité de personnes de réduire fortement leur imposition tout en se constituant un patrimoine important. 

Ces niches se sont tellement accumulées au fil du temps qu’un plafonnement intégrant plusieurs d’entre elles a été instauré en 2009. Mais ce plafonnement ne concerne pas les anciennes niches qui échappent toujours à la législation actuelle. En clair, les contribuables qui bénéficiaient des plafonds antérieurs ont conservé leurs " acquis fiscaux " !

Vous n’imaginez pas un instant qu’avec une récupération même partielle de ces recettes perdues, on réglerait pour une bonne part les intérêts annuels de la dette publique… 

- Lutter réellement contre la fraude et l'optimisation fiscale

La fraude fiscale, par son ampleur et ses caractéristiques, réduit considérablement les rentrées fiscales et accentue les inégalités. Le dernier rapport du principal syndicat des Finances publiques (Solidaires-Finances), indique que celle-ci aurait grimpé à 100 milliards € annuels, et ce sans comptabiliser les fraudes aux prélèvements sociaux.

Quant à l’optimisation fiscale, elle fait le bonheur des avocats d'affaires (20 milliards € de manque à gagner fiscal dus aux jongleries d'optimisation). Ce sont essentiellement les grosses entreprises et les riches particuliers qui en bénéficient car ils peuvent faire de gros investissements déductibles de l’impôt ou user de l’existence des paradis fiscaux. 

L’Europe compte en effet en son sein de nombreux paradis fiscaux : Andorre, Campione, Chypre, Gibraltar, Guernesey, Ile de Man, Irlande, Jersey, Liechtenstein, Luxembourg, Madère, Malte, Monaco, Sercq, Suisse.

Et la France particulièrement ne s’honore pas à « fermer les yeux » sur certains mouvements de capitaux notamment dans deux micros états, dénoncés par l’ONU, l’Andorre et Monaco qui ont la particularité de se trouver pratiquement sur le territoire français et de compter pour l’un deux à sa tête, un co-prince en la personne d'Emmanuel Macron !

Dans son livre (Enquête au cœur de l'évasion fiscale), le journaliste Antoine Peillon a croisé différentes sources pour estimer à 590 milliards € l'ensemble des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux, dont 220 milliards € appartenant aux Français les plus riches (le reste étant le fait d'entreprises). Environ la moitié de ce total serait dissimulée en Suisse, la dernière décennie voyant fuir environ 2,5 milliards € d'avoirs par an. 

Comme l’administration fiscale a perdu plus de 25 000 emplois depuis le début des années 2000 sur l'ensemble de ses missions, notamment le service de contrôle sur pièces et de programmation des contrôles fiscaux, non seulement la fraude perdure mais son montant annuel est supérieur à ce que rapporte l'impôt sur le revenu ! 

Un signal fort devrait être donné par la création de plusieurs milliers de postes dans les administrations chargés de lutter contre les fraudes.

- Changer les modalités de calcul du quotient familial 

L’IR est calculé en fonction du quotient familial (QF) qui est un mécanisme qui prend en compte la taille de la famille mais qui a pour défaut de subventionner davantage les familles riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt étant proportionnelle au revenu dans la limite d'un plafond. Ce plafonnement a été baissé de 2 336 € à 2 000 € par demi-part puis à 1 500 € mais le système reste toujours aussi injuste.

Que la France abandonne le QF, qui n’est plus appliqué en Europe que par le Luxembourg et la Suisse et qu’elle adopte une déduction d'impôt uniforme pour chaque enfant comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.

- Supprimer le quotient conjugal

L’IR est modulé aussi en fonction du quotient conjugal (QC) qui consiste à diviser la somme des revenus d'un couple par deux avant de lui appliquer le barème progressif. La conséquence de ce système est double : il réduit fortement l'impôt des couples aisés dont l'un des membres - le plus souvent la femme - ne travaille pas ou très peu, avec une réduction d'impôt d'autant plus élevée que le revenu principal est important. Pour un même revenu, ces couples sont ainsi avantagés au détriment des célibataires, des personnes séparées, des veufs et veuves ou encore des familles monoparentales qui doivent pourtant faire face à des dépenses de vie courante plus élevées qu'un couple. 

Le coût de ce dernier avantage fiscal accordé chaque année aux couples aisés oscille entre 5,5 milliards € d'après le Trésor à 24 milliards € selon la Cour des comptes ! Cette somme est énorme, d’autant plus que l'avantage retiré du QC n'est pas plafonné, contrairement au QF. Pour corriger ce système, la meilleure solution serait sa suppression pure et simple, les capacités contributives étant dès lors appréciées en fonction des revenus réels des couples. 

- Intégrer la CSG et la CRDS à l'impôt sur le revenu  

Créée en 1991 et désormais omniprésente dans le paysage fiscal, la CSG (contribution sociale généralisée) sur les salaires et revenus d'activité, est devenue un impôt tentaculaire auquel rien n’échappe. Comble de l'aberration du système, la CSG n'est pas déductible de l'impôt sur le revenu (sauf pour une petite part), c'est à dire que l'on paie de l'impôt sur de l'impôt !

Quant à la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale), créée en 1996 pour pallier les problèmes de dette de la Sécurité sociale, elle s'applique aussi avec un taux identique pour tous.

La CSG et la CRDS actuelles rapportent plus que les recettes totales de l’IR mais elles s’appliquent avec un taux proportionnel. Or, un taux progressif est celui qui est le plus juste et qui répond le mieux à l’esprit de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (un impôt en fonction des « facultés » de chacun). 

Fusionner les contributions CSG et CRDS avec l'IR, pour en faire un large impôt progressif acquitté par tous, serait donc une mesure très importante et plus juste car outre les bienfaits de la progressivité, la nouvelle assiette de la CSG et CRDS reposerait sur le revenu fiscal des personnes physiques au lieu et place principalement des salaires. Et un point de prélèvement assis sur tous les revenus tels que déclarés à l'administration fiscale rapporte sensiblement plus que le même taux appliqué sur les seuls salaires.

-  Instaurer un prélèvement exceptionnel sur le patrimoine des ultra-riches,   

- Rétablir et rénover l’ISF, en l’asseyant sur l’ensemble des actifs d’un contribuable (immobiliers, mobiliers et financiers) et en instaurant un barème progressif, 

- Rétablir également la progressivité de l’imposition des revenus du capital,

- Taxer l'ensemble des transactions financières,

- Supprimer la taxe allégée mis en place sur les revenus financiers, 

- Rétablir l'exit taxe qui était destinée à dissuader les Français d'installer leur foyer fiscal à l'étranger, 

- Etc.

En adoptant ces mesures, vous auriez Monsieur le Ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, l'opportunité de redonner confiance dans un système fiscal plus juste, d'œuvrer pour des jours meilleurs et de nous prémunir face aux crises à venir, qu'elles soient sanitaires, écologiques ou financières...

Albert Ricchi, blogmestre

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