Florence BEN SADOUN
Faux veuvage et vrai chagrin
Présentation du livre : Aujourd'hui je suis plus vieille que toi alors que j'avais neuf ans de moins que vous...» Ainsi commence La Fausse Veuve. Tutoyant et vouvoyant dans la même phrase son amant disparu, l'héroïne lui raconte, et nous raconte, dix ans après, l'histoire qui leur a été volée. Ce que furent leur amour, leurs moments de bonheur, et aussi le désespoir, leurs muets tête-à-tête à l'hôpital quand, victime d'un grave accident cérébral, il s'écroule, et se réveille paralysé et privé de parole. Face au drame du «locked-in syndrome», face à la destinée légendaire d'un personnage que les médias se sont approprié, une femme n'oublie pas qu'il était un homme. Comment se parler d'un souffle ? Comment s'aimer sans se toucher ? Comment lire les battements d'un cœur au rythme d'un battement de paupières ? C'est ce chemin escarpé, compliqué, et parfois très éloigné du deuil, qu'on suit dans ce roman en s'arrêtant sur les cases de l'enfance, en reculant sur celles de l'amour et de la religion, et en sautant à pieds joints sur celle de la mort comme au jeu de la marelle.
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J'ai beaucoup aimé ce petit livre, lu en un après-midi. J'ai été particulièrement touchée par la tristesse, la colère parfois de cette femme à qui le sort et les convenances sociales ont volé son amour, son amant, et qui reste seule face à son chagrin, puisque, femme de l'ombre, elle ne peut prétendre au statut de veuve officielle de celui qui l'aimait, même s'il avait quitté pour elle sa femme et ses enfants.
J'ai compati à sa souffrance, doublée par le fait de ne pas pouvoir la vivre au grand jour. J'ai aimé, et compris sa révolte face au sort, face également à cet homme qui l'abandonne doublement, puisque non seulement il l'a quitte, mais qu'en plus lui est retiré la compassion générale du fait de son statut de maîtresse.
J'ai adoré aussi les passages du tutoiement au voussoiement, qui m'ont tout particulièrement émue, étant moi-même une aficionado du "vous". De même, j'ai souri plusieurs fois, car s'il est très triste, ce livre est également rempli d'humour, de traits souvent noirs, mais qui allègent la pesanteur de la situation : les voyages à Vomi (Berck sur Mer ?) pour rendre visite à l'homme sorti du coma, mais cependant légume, ne communiquant que par clignement du seul oeil qui lui reste, la solitude et la façon qu'à cette femme malheureuse de s'en sortir, ses souvenirs...
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Une très jolie lecture, donc, bien que le thème ne soit pas gai du tout.
Merci aux Editions Denoel et à Chez les filles de m'avoir offert ce livre en avant-première (parution le 25 août) !
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Extraits : "De notre histoire d'amour qui a commencé dans les affres de l'interdit, sur notre lieu de travail, où nous nous parlions avec des noms de code, où chacun des gestes et des rencontres était balisé, où tu nous avais imposé un vous professionnel pour ne pas éveiller les soupçons et aussi parce que ton Vous avait une connotation érotique indécelable pendant les réunions de travail après nos déjeuners coquins. Comment passe-t-on du secret à l'universel sinon en disant Tu à son amant devenu fiancé ? Mais toi c'est comme si un Tu pouvait te tuer. Hier pourtant c'est vous qui me demandiez en me faisant de l'oeil :
- Dites-moiDites-moi TU !"
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"Alors, la place d'une veuve est-elle proportionnelle au nombre d'années partagées avec le mort ?
Sûrement.
Est-ce qu'une maîtresse qui a passé plus de temps avec son amant dans un lit sans parler souffre moins qu'une femme dont l'amour s'est tristement usé au fil des années entre les infos, les couches, les impôts, les dîners de famille, les engueulades pour un rien et les tromperies pour un tout ?
Pas sûr.
Trois ans contre dix ? Qui gagne.
Je perds. Je suis la fausse veuve."
Florence Ben Sadoun est directrice de la rédaction de Première, journaliste à ELLE et chroniqueuse cinéma à France Culture.