« Elle ne fait pas partie de l’humanité, mais elle parle son langage. Interdite d’agir, elle agit néanmoins, et son acte n’est guère une assimilation d’une norme existante. En agissant comme quelqu’un qui n’a pas le droit de le faire, elle jette le trouble dans le vocabulaire de la parenté qui est une précondition de l’humain, soulevant implicitement pour nous la question de ce que ces préconditions doivent réellement être. Elle parle dans le cadre d’un langage de pouvoir d’où elle est exclue, s’inscrivant de ce fait dans un langage de revendication avec lequel aucune identification n’est pour finir possible. Si elle est humaine, alors l’humain est entré en métaphore : nous ne connaissons plus son usage propre. Et dans la mesure où elle occupe le langage qui ne pourra jamais lui appartenir, elle fonctionne comme un chiasme dans le vocabulaire des normes politiques. Si la parenté est la précondition de l’humain, alors Antigone est l’occasion d’un nouveau champ de l’humain, qui ne s’accomplit qu’à travers la métaphore, celui qui survient quand les moins qu’humains parlent comme des humains, ceux dont le genre est déplacé, ceux dont la parenté est fondée sur leurs propres lois fondatrices. Elle agit, elle parle, elle devient celle par lequel l’acte de discours est un crime fatal, mais cette fatalité va plus loin que sa propre vie et pénètre dans le discours de l’intelligibilité comme dans sa propre promesse de fatalité, dans la forme sociale de son futur exceptionnel, aberrant. »
Judith Butler,Antigone : la parenté entre vie et mort, Edition EPEL
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