(Cet article a d'abord été publié dans la newsletter Africa Digest).
Vendredi de la semaine dernière, j'ai entrepris d'écouter quelques nouveaux albums sortis le jour-même et parmi eux, bien sûr, il y avait " AYA", dernier opus d' Aya Nakamura.
J'en étais à la 5ème ou 6ème chanson lorsque dans mon feed, je vois poindre un début de buzz: la chanteuse aurait annulé "à la dernière minute" sa participation à l'émission "Quotidien", un des talk-shows quotidiens les plus regardés en France. Raison invoquée ? Hé bien, ça dépend à qui l'on s'adresse.
À l'antenne, l'animateur Yann Barthès a évoqué une paresse de l'artiste (en d'autres termes, un caprice) mais la concernée elle, a parlé d'un "contretemps". Dans l'absolu, des invités qui déprogramment, ça arrive. Et cela ne crée pas de polémiques en général. Sauf que là, il s'agit d'Aya Nakamura.
Cataloguée comme "diva" dans le showbiz français, elle traîne une réputation d'artiste "compliquée", "difficile", "hautaine" et tous les adjectifs synonymes. Elle a, disons-le, des rapports tendus avec la presse française généraliste, qui d'entrée de jeu, l'a souvent méprisée (on l'a tout de même traitée de "Madonna des banlieues" sur un célèbre plateau-télé).
Quelques heures après ce passage avorté dans "Quotidien", je tombe sur une info: les chansons du nouvel album d'Aya occupent les 10 premières places du classement sur Apple Music France. Encore mieux: à échelle mondiale, le jour de la sortie du projet, elle était la 26ème artiste la plus écoutée sur les plates-formes de streaming, tout genre confondu. Le contraste entre sa perception par la presse française et l'adoubement du public (en France comme à l'international) est très parlant et bien sûr, chacun(e) est libre de l'interpréter à sa manière.
Pour ma part, suivant le phénomène Nakamura depuis un moment, je trouve qu'elle est un bel exemple du pouvoir de l'authenticité. Le succès d'Aya est tout sauf conventionnel en France: femme noire, au teint foncé, n'a pas les traits eurocentrés, qui ne fait pas de la variété, chante en argot, mélange les influences africaines et caribéennes, ne cherche pas à tout prix à s'intégrer dans l'entre-soi parisien, ne s'écrase pas (ou ne s'excuse pas d'être là).... Tout cela fait beaucoup pour une seule personne dans un pays aux normes extrêmement aseptisées.
Aya choque par sa nonchalance, là où '"on" attendrait qu'elle soit plus enthousiaste, qu'elle avale plus de couleuvres et qu'elle se plie aux règles. Et c'est exactement cela qui fait sa force et j'allais dire, qui pousse à l'adhésion de ses fans. Parce qu'elle est une anomalie pour ceux d'en haut, et un miroir puis un symbole pour ceux d'en bas.
Dans un certain sens, la percée d'Aya Nakamura cristallise l'incompréhension voire la fracture qu'il y a entre certaines franges de la population française: d'une part, l'establishment qui s'accroche désespérément à un certain modèle de réussite et d'autre part, une jeunesse (regroupée sous l'appellation "urbaine") qui, en réaction au rejet, a su contourner les voies classiques... avec internet comme médium principal.
Soyons clairs: elle n'a probablement pas cherché à incarner quoi que ce soit, elle ne m'a jamais donnée l'impression d'avoir l'ambition d'être autre chose qu'elle-même. Cependant, sa démarche et le succès qui en découle, la dépassent désormais... notamment parce que tout le monde aime une success story... surtout quand le combat ne semblait vraiment pas gagné d'avance et que le challenger a conquis la victoire sans chercher à se conformer ou à se renier. C'est pourquoi je la compare - avec un peu de nuance bien sûr - à Cardi B. Ces deux artistes ont chacune, à leur manière, envoyé paître les codes, la respectabilité associée à l'image publique (en particulier celle des femmes) et par là même, sont devenues des caisses de résonance du courant féministe actuel... en faisant écho au vécu de milliers de personnes à-travers leurs parcours individuels respectifs. Si l'on élargit le champ, je pourrais également rajouter l'exemple du nigérian Burna Boy. Allant à contre-courant de l'Afrobeats commercial pendant de nombreuses années, son succès international est en partie dû à sa volonté de ne pas avoir fait ce que l'on attendait de lui, même quand cela desservait (à première vue) le développement de sa carrière. Un pari qui a fini par payer quelques années plus tard.
C'est une des leçons majeures qu'il faudrait, je pense, tirer d'Aya Nakamura en matière de marketing, notamment sur les marchés africains : si vous avez trouvé votre niche ou formule, et que celle-ci fonctionne sur votre coeur de cible... pas besoin de vous forcer à rentrer dans les clous, ni à vouloir plaire à l'immense majorité (qui est hors de votre coeur de cible). Vous allez fournir des efforts surhumains pour tout au plus, une notoriété supplémentaire mais qui vous coûtera beaucoup en conversion derrière. L'authenticité, surtout à notre époque, reste une valeur sûre (bien qu'elle ait son lot de risques). C'est dans la nature humaine de vouloir faire consensus, de chercher à séduire le plus grand nombre. Je crois que quelque part, ça rassure, ça procure même un sentiment de légitimité. Mais dans notre monde actuel, il y a d'autres voies et moyens de dessiner son propre succès. Tout en faisant attention à ce que les normes exigent, n'hésitez pas à réécrire les règles.
Sinon, pour ce qui est de l'album, si je n'avais qu'à retenir un morceau, ce serait le titre "Mon Chéri". J'ai trouvé que le titre se démarquait très fortement du reste.