De hautes personnalités propriétaires de cheptels de bœufs qui dévastent les plantations font mine de ne pas voir s’agréger les ingrédients d’un conflit inter communautaire et intimident les chefs traditionnels mobilisés contre ces destructions porteuses de famine. Enquête.
Etoa Tsala, chef du village Ebometende situé à une vingtaine de km de Nkoteng dans le département de la Haute Sanaga, région du Centre ne se montre pas impressionné par la plainte déposée contre lui. D’abord au parquet du tribunal de Yaoundé centre administratif, puis transférée au tribunal de Nanga-Eboko, où suit son cours la procédure judiciaire qui le vise pour « empoisonnement » des eaux dans lesquelles s’abreuvent les bœufs. Libéré sous caution de 500000 Fcfa, il peut à nouveau respirer l’air de la liberté après avoir été arrêté par des gendarmes dans sa plantation et conduit manu militari au Sed à Yaoundé. Ce jeudi midi, sous un soleil de plomb, il parcourt du regard sa plantation transformée en champs de ruine par des bœufs : « Mon cœur peut arrêter de battre », souffle-t-il au reporter, le visage couvert de sueur. La promesse d’une abondante récolte de manioc, de maïs, de plantain est ainsi compromise par la faute des assauts répétés de troupeaux de bœufs en recherche de pâturage.
Le chef de village Etoa Tsala n’en revient pas de passer pour le bourreau avec la menace d’une condamnation par le tribunal de Nanga Eboko, pour une accusation qu’il juge montée de toute pièce pour l’intimider et l’empêcher de mener son combat contre les troupeaux de bœufs dévastateurs : « Comment laisser penser que j’ai pu empoisonner une rivière qui procure de l’eau aux populations de mon village ? Les habitants qui s’y abreuvent chaque jours seraient tous empoisonnés », souligne-t-il, entre deux gorgées d’eau puisées dans ledit ruisseau.
Nos mamans ont quitté le village
Après une première attaque des bêtes subie à son tour dimanche 20 juin, Jean de Dieu Meyobeme, dont la plantation a été dévastée lundi 21 juin dernier compte lui aussi ses pertes : » Dimanche matin, j’ai vu que les bœufs ont cassé les tiges de maïs et de canne à sucre dans le champ derrière ma maison. Lundi, ils sont revenus et ont fait d’énormes dégâts « , regrette ce paysan d’Ebometende, une pointe de colère dans les yeux rougis par la peine. « Ils ont cassé les épis, brouté et arraché toutes les petites plantes de maïs, j’ai appelé les bergers ils étaient dépassés. L’un s’est proposé de me remettre en réparation une somme de 15.000 Fcfa puis plus tard 30 000 Fcfa, que j’ai trouvé méprisant », s’énerve Jean de Dieu Meyobeme.
Plus loin, à Ngamba, au lieu-dit Nkoteng village, les troupeaux de bœufs laissent des traces visibles de leurs multiples va et vient dans les plantations défigurées, le sol damé et finalement rendu aride. Les complaintes de Cyriaque Bekop Adama originaire de Ngamba insistent sur le désarroi des mamans : « Nous les jeunes voulons investir dans l’agriculture, mais ces bœufs détruisent tout. Actuellement, les bœufs sont dans mon champ depuis quatre jours et lorsqu’on demande à ces bergers de venir les retirer, ils ne viennent pas. Si tu touches à un bœuf, tu vas en prison. La situation est telle que nous n’arrivons plus à cultiver, nos mamans ont quitté le village. On s’est plaint devant les autorités mais même les requêtes que nous déposons sont rejetées. »
Le Jour a pu consulter une plainte déposée contre le chef du village Ebometende au procureur de la République près le tribunal de première instance de Yaoundé centre administratif pour « destruction par empoisonnement, trouble de jouissance et menaces ». Le plaignant y indique qu’il fait dans l’élevage des bœufs : « Ainsi, nous louons les espaces de savane pour élever nos bêtes. Nous avions à cet effet établi un contrat avec le mis en cause pour une durée d’un an renouvelable. De ce contrat, il ressort que nous devons donner aux propriétaires de ces espaces un bœuf d’une valeur de 500 000 Fcfa, une enveloppe de 50 000 Fcfa, 3 sacs de riz de 50kg et 2 sacs d’oignons. Pour être en toute quiétude avec ces bœufs pendant une année, ce contrat interdit à quiconque de s’introduire dans les parcelles en location pour effectuer les champs. »
Machination
A Ebometende, le chef de village nie avoir signé un tel contrat et demande qu’on le sorte. Ses administrés eux, sont convaincus qu’il s’agit d’une machination dont les commanditaires sont des « hautes personnalités » qui veulent harceler puis déloger les paysans déjà cernés par les plantations de canne à sucre de la Sosucam afin de libérer des pâturages pour leurs de bovins. Au village Zilli, le patriarche Ferdinand Mbeng regrette l’époque lointaine où les bergers et leurs troupeaux ne faisaient que de brèves escales : « Le président de la République prône le vivre ensemble mais un poisson ne peut pas vivre dans l’eau chaude. Avant ils étaient de passage maintenant ils construisent déjà des cases dans la brousse. Il faut qu’ils partent. » Le chef du village Zilli, rencontré vendredi dernier partage la même conviction : « La cohabitation n’est pas bonne entre les troupeaux de bœufs et les paysans, lorsqu’il y a des dégâts et que je me présente devant les bergers, ils rétorquent qu’ils n’ont rien à gérer avec moi, que je me plaigne plus haut. Lorsque je m’adresse à mon supérieur hiérarchique, le sous-préfet, il me renvoit au village. Je constate juste qu’il s’agit d’un refus délibéré car il s’agit des troupeaux des hauts cadres de l’Etat. »
Le Jour a approché le sous-préfet de Nkoteng vendredi matin dans le cadre de son enquête. Celui-ci a fait dire à sa secrétaire qu’il n’était pas informé d’une enquête et qu’il était occupé par un dossier urgent. En fait, la question est de savoir si les bergers qui sillonnent cette vaste savane ont des autorisations de pâturage dûment délivrées par l’autorité administrative ? Mais aussi, cette savane est-elle une zone de pâturage au sens de la loi sur les zones de pâturage ?
Toujours est-il que la possibilité est donnée aux victimes de faire constater les destructions par l’autorité administrative conformément au décret du Premier ministre du 25 février 2013 fixant les tarifs des indemnités à allouer aux propriétaires victimes de destructions pour cause d’utilité publique des cultures et d’arbres cultivés. Les frais de descente de la commission compétente pour constat et évaluation des dégâts (jusqu’à 100 000 Fcfa) sont prohibitifs pour des populations rurales pauvres. Pire, les indemnités allouées aux victimes des destructions sont rarement payées par les auteurs de ces destructions visiblement placés sous le manteau protecteur des riches propriétaires des troupeaux de bœufs. A Nkoteng, face à l’impuissance des autorités administratives, l’idée de se faire justice gagne du terrain. « Nous n’avons plus rien à manger ici, le manioc notre aliment de base devient rare, la famine s’installe, nous n’avons que la savane, les bœufs dévastent tout. Il est mieux qu’ils partent du village », s’emporte Chantal Ngandongo épouse Koundi.