Le chiffre est saisissant. Il est issu d'une enquête de la Dares publiée fin mai 2021. En parallèle, 11 % de personnes interrogées s'estiment en proie à de multiples conflits de valeurs : impossibilité de réaliser un travail de qualité ; obligation de faire des choses qu'elles désapprouvent ; prise de risque en termes de santé mentale ou physique (pour elles-mêmes ou pour des patients et usagers) ; inutilité de leur travail - on y revient.
Le baromètre de la santé psychologique des salariés en période de crise du cabinet Empreinte Humaine[1] révèle quant à lui des Français " prêts à quitter leur entreprise si le décalage est trop important entre leurs propres valeurs et celles de l'organisation ".
Par ailleurs, les contraintes liées au travail sur site découragent de nombreux collaborateurs. 74 % en effet refusent de " revenir à la situation d'avant ". Du temps perdu dans les transports à la promiscuité qui y règne, des nuisances sonores en open space au contrôle spatio-temporel des managers en passant par les manies des collègues, le retour au bureau - y compris quand il s'inscrit dans un mode de travail hybride - ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices.
S'il semble indispensable de réengager les salariés, reste donc à connaître les ingrédients de cette remobilisation - qui va au-delà d'un simple " coup de boost " - et à découvrir comment œuvrer en faveur de ce projet vital pour les organisations. Car la fidélisation de leurs effectifs ainsi que leur performance globale en dépendent.
Parler d'engagement des collaborateurs, c'est bien souvent évoquer les leviers de motivation ou les sources de bien-être au travail. Or, si les uns et les autres contribuent au premier, ils n'en sont pas synonymes ! Rappelons d'ailleurs que le concept d'engagement fait écho au Digital Engagement, dont l'objectif est de créer de la proximité alors même que les relations s'établissent de plus en plus à distance.
Au niveau individuel, l'engagement se traduit par un effort " en plus " consenti par un salarié pour son entreprise. Il comporte une dimension émotionnelle et affective, avec une " appropriation " de l'intérêt de l'organisation, perçu comme indissociable de celui du collaborateur. L'engagement se construit aussi autour de l'adhésion aux valeurs de l'organisation et d'une bonne compréhension de ses enjeux. On comprend dès lors que l'engagement se distingue de la satisfaction des collaborateurs ou du bien-être au travail, bien que ces derniers puissent y participer.
Pour Bernard Coulaty, ex-DRH international[3] spécialiste de l'engagement durable et de la transformation RH, il s'agit " d'une ligne de crête entre la pénibilité et les risques psychosociaux d'un côté, le bonheur au travail de l'autre ". D'où l'échec de nombreuses politiques RH et managériales visant à " engager les collaborateurs ". S'il est possible de les motiver via une transaction - en leur garantissant certaines choses pour qu'ils en effectuent d'autres - et de s'assurer que l'environnement de travail ainsi que le mode de management en vigueur favorisent l'engagement individuel comme collectif, chaque individu est ensuite libre de s'engager... ou non.
Par conséquent, le " réengagement des salariés " qui préoccupe les managers et DRH en ce début d'été 2021 suit la même logique.
Pour espérer voir les salariés accorder ce " petit plus " à leur entreprise, il est fondamental de créer une dynamique positive. Les managers et DRH ont des idées quant aux outils ou leviers à mobiliser à cette fin. Selon l' enquête Sortie de crise, Emploi et Dialogue social de l'ANDRH (Association Nationale des DRH), 75 % de ces professionnels envisagent de programmer des moments de convivialité communs, 35 % du teambuilding et 34 %, des séminaires. Le maintien de journées de télétravail est également à l'agenda, avec une diminution graduée envisagée dans de nombreuses organisations.
Or, après plus d'un an vécu professionnellement à distance ou en partie, dans des configurations personnelles et familiales très distinctes, toute projection de solutions RH ou managériales n'est-elle pas aléatoire ? Peut-être convient-il de " commencer par le début ", à savoir : dialoguer avec les collaborateurs, cerner leurs besoins (immédiats ou à moyen terme), recueillir leurs attentes.
En voici un aperçu, issu du baromètre des Préférences salariés de JLL[4] : l'équilibre personnel / professionnel arrive en tête des priorités des collaborateurs (66 % des répondants), devant le salaire (49 %) et la garantie du bien-être ainsi que de la santé physique et mentale (46 %). En " creusant " un peu les résultats, on constate que 89 % des salariés aimeraient choisir leurs horaires de travail. 84 % des répondants pourraient même envisager de passer à une semaine de 4 jours de travail.
Qu'elle ait été formalisée ou non, l'évolution de l'organisation du travail induite par les confinements s'est inscrite dans le mode de fonctionnement des équipes et collaborateurs. Dès lors, il semble difficile de " revenir " sur l'autonomie accordée à distance en termes d' organisation personnelle ou de prise de décision parfois, ou encore sur la flexibilité des horaires de travail. Pour concilier les impératifs ou attentes des uns et des autres, " un accord d'entreprise pourrait spécifier les horaires de disponibilité des salariés travaillant à distance, en instaurant des plages horaires plus restreintes durant lesquelles ils peuvent être joints par téléphone ", selon la proposition de l'avocat Yann-Maël Lahrer.
L'engagement ou le réengagement des salariés dépendent de la volonté des organisations d'une part, des équipes (pour l'aspect collectif) et des collaborateurs (pour l'aspect individuel) de l'autre. Tous deux naissent d'une coproduction.
Pour œuvrer en ce sens, les organisations ont plusieurs axes à explorer. Du côté de l'organisation du travail, chaque collaborateur doit être en mesure de gérer le " volume " qui lui est confié sans que cela n'empiète sur sa vie personnelle. Il faut savoir que la question de la charge mentale, liée à la vie professionnelle et à la vie personnelle, s'invite dans le scope des problématiques RH suite à la crise sanitaire. Une charge mentale - professionnelle - que la juxtaposition de procédures et de reportings accentue encore, tout en entravant le niveau d'autonomie et de responsabilisation des collaborateurs.
En parallèle, les espaces de travail doivent à la fois permettre la socialisation et l'isolement, le calme. Côté management, une nouvelle figure a vocation à se développer : celle du manager-coach, comme en témoigne l'étude Le manager de demain[5]. Accompagner, être à l'écoute, guider, former, telles sont désormais les principales missions managériales, qui visent à instaurer un climat de confiance réciproque. Cela passe notamment par le développement d'une culture soft skills, avec 4 soft skills identifiées comme prioritaires : la gestion du temps, la culture du feedback, l'intelligence relationnelle et la prise de décision.
Soulignons que ces différents leviers s'actionneront d'autant mieux qu'ils s'inscriront dans une redéfinition de la relation d'emploi. Comme l'exprime Marie-Pierre Fleury, directrice associée du cabinet de conseil CANDEN People Success et ancienne DRH, enrichir la relation d'emploi implique de tenir compte des enjeux des individus " en matière de contenu et de sens du travail, de développement, de trajectoire professionnelle, et de nouvelles formes de sécurité ". Une bonne expérience de travail ne suffit pas ! Dès lors, il est capital de donner aux salariés la possibilité de " concevoir " davantage leur travail, en accentuant la communication sur le projet de l'entreprise tout en contextualisant mieux le travail à réaliser. Ainsi responsabilisés dans leur environnement professionnel, avec le soutien de l'organisation, les collaborateurs (re)deviennent des acteurs à part entière de leur travail. N'est-ce pas l'une des principales clés du réengagement des salariés tant espéré ?