Face à un écart de rémunération entre les hommes et les femmes qui peine à diminuer sur le Vieux Continent, Bruxelles a proposé une nouvelle directive au mois de mars. Après sept ans d’une approche faisant appel au volontarisme des États, l’Union européenne (UE) met sur la table des mesures de transparence salariale et vient désormais se positionner sur le terrain juridique pour agir. La présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen, en avait d’ailleurs fait une priorité politique dans son acte de candidature.
Dans la continuité de ce qui n’avait que le statut de recommandation en 2014, l’Union demanderait notamment aux employeurs une plus grande transparence à l’égard des demandeurs d’emploi. Les employés auront, eux, le droit de demander des informations sur leur salaire individuel et sur les moyennes dans leur entreprise pour des travailleurs effectuant des tâches équivalentes. Les plus grandes entreprises devront publier des informations sur les écarts de rémunération internes et, lorsque ces écarts dépasseront 5 %, les représentants des employeurs et des employés devront en évaluer les raisons.
C’est la Suède qui peut être considérée comme le berceau des mesures de transparence salariale. Des réglementations y ont été mises en place dès le début des années 2000. Jusqu’alors, la Commission européenne encourageait, avec sa recommandation de 2014, les États membres de l’UE à donner aux employés le droit de demander des informations sur les niveaux de rémunération, à veiller à ce que les entreprises rendent régulièrement des comptes à ce sujet en réalisant des audits salariaux, et à stimuler l’inclusion de l’égalité salariale en tant que question distincte dans les négociations collectives.
Bien que certains États membres aient suivi la démarche, notamment l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, l’Allemagne ou même le Royaume-Uni, ce n’est pas le cas de beaucoup.
Or, malgré une mise en œuvre limitée, un certain impact des mesures de transparence, parfois très médiatisé, a été constaté sur l’écart de rémunération entre les sexes. Pourquoi faire ce pari face aux inégalités ? Quels en sont les avantages mais aussi les obstacles probables ?
Nous pouvons explorer ces questions à deux niveaux : le niveau juridique et réglementaire d’une part et le niveau organisationnel et du marché du travail de l’autre.
L’écart de rémunération entre les sexes est la différence en pourcentage entre le salaire horaire moyen des femmes et des hommes. Il résulte d’un certain nombre d’influences imbriquées à différentes échelles et qui contribuent à renforcer les inégalités entre les sexes.
Au niveau des ménages, la répartition inégale des tâches domestiques non rémunérées limite la participation des femmes au marché du travail et leur progression de carrière. Au niveau de l’organisation, les pratiques managériales et les divergences de rémunération semblent rarement remises en question et demeurent souvent une source de discrimination. Au niveau du marché du travail, enfin, hommes et femmes œuvrent dans des secteurs et à des niveaux d’emplois qui ne s’avèrent pas pareillement rémunérateurs.
Les premières expériences montrent que les politiques, même informelles, de transparence salariale ont un impact sur les facteurs qui contribuent à maintenir les inégalités. Une application juridiquement contraignante de ces principes pourrait doper le long processus de réduction de l’écart de rémunération entre les sexes.
C’est au niveau de l’organisation que les nouvelles mesures devraient avoir le plus d’impact. La législation ne s’appliquera en effet qu’aux écarts de rémunération au sein des entreprises et les différences nées de la répartition entre des secteurs inégalement rémunérateurs ne seront probablement pas affectées.
La transparence salariale vise surtout à faire la lumière sur les décisions managériales qui peuvent être à l’origine d’inégalités entre les travailleurs. Ces contrôles et contrepoids sur les choix des dirigeants contribuent souvent à promouvoir un sentiment de justice au niveau de l’organisation, avec des conséquences positives. Il semble même que certains employeurs considèrent le suivi des écarts de rémunération comme faisant partie d’une bonne gestion des ressources humaines, et comme représentant une procédure relativement simple avec des systèmes informatiques modernes.
D’un point de vue juridique, les mesures faciliteraient les actions en justice en matière de discrimination, intentées par des employés soupçonnant qu’ils sont indûment moins bien payés que leurs collègues. Les organisations, soucieuses de protéger leur réputation, seraient de plus incitées à procéder à un audit et à un nettoyage de leurs propres inégalités salariales.
En outre, d’autres groupes, qui peuvent également souffrir de discrimination salariale, pourraient en bénéficier puisque la directive proposée reconnaît les désavantages qui découlent de l’intersection de sources de discrimination.
Si le droit à l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes apparaît comme l’un des principes les plus anciens de l’UE, il reste toutefois difficile à mettre en œuvre car il repose largement sur l’action individuelle.
Le coût des mesures de transparence est souvent objecté. C’est pourquoi, en réponse, la Commission européenne a prévu des exceptions pour les petites entreprises (moins de 250 employés). Leurs employés ne seront ainsi pas couverts par la législation bien que les promoteurs du projet de directive estiment que les coûts annuels totaux pour les employeurs concernés seraient plutôt faibles, entre 379 et 890 euros.
La transparence fait également l’objet de controverse dans la mesure où elle est perçue comme une ingérence dans l’autonomie et la liberté des entreprises. Le pouvoir de fixer les salaires est parfois considéré comme un élément clé de la prérogative managériale. Certains dirigeants et certaines organisations considèrent l’opacité actuelle relative aux décisions salariales comme un élément important de contrôle.
Dévoiler les rémunérations est aussi parfois accusé d’enfreindre la législation sur la protection des données personnelles. En réalité, si l’on se réfère au droit proposé pour les candidats à l’emploi de recevoir des informations sur les fourchettes de salaires, sans avoir à les demander, et à l’interdiction faite aux employeurs de poser des questions sur l’historique des salaires, les mesures semblent présenter des garanties ne mettant pas en danger la protection des données personnelles.
Il est difficile de dépasser les processus informels qui maintiennent les inégalités, d’autant plus à l’heure du Covid-19 qui ne favorise pas la transparence.
Il ne s’agit donc pas là d’une solution magique, la transparence salariale devant sans doute être considérée comme un élément parmi un ensemble de mesures visant à promouvoir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
Si la directive est adoptée par le Parlement européen et par le Conseil, les États membres auront deux ans pour la transposer en droit interne et communiquer leurs textes à la Commission. Celle-ci procèdera à une évaluation des effets de cette directive au bout de huit ans.
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