La période des vacances est le moment propice où ces hommes aux esprits retors déploient leurs stratégies en longueur de journée.
La toile est en émoi depuis quelques jours. Sur la place publique, les photos et vidéo d’une jeune fille en plein ébat sexuel ont été publiées. Les internautes s’indignent. Les personnes de toutes les couches sociales condamnent. Les abus et violences subis par les jeunes filles sont dénoncés. Ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Hors des réseaux sociaux, d’autres formes d’abus sont infligés à ces adolescentes. La période des vacances est propice aux prédateurs. En quête d’argent pour aider leurs parents pour le paiement de leurs frais de scolarité, les jeunes de tous les âges envahissent les rues. Tout y passe : arachides, maïs, bonbons…Des jeunes filles en occurrence qui exercent le petit commerce font face au quotidien aux clients mal intentionnés.
La scène se déroule au quartier Fouda à Yaoundé. Des éclats de voix alertent les passants. Une jeune fille, la quinzaine d’âge et vendeuse d’arachides, réclame son plateau. Ses interlocuteurs, des employés d’une structure de la place, s’opposent à sa requête. Face à son insistance, un passant vient s’enquérir de la situation. « Ils ont confisqué mon plateau et refusent de me le remettre », explique-t-elle. Et de poursuivre : « ils ont acheté toute ma marchandise et demandent que je leur tienne compagnie toute la journée, le temps équivalent à celui de la vente habituelle de ma marchandise », fait-elle savoir. « Elle se balade parfois jusque dans la nuit sans vendre la totalité de ses arachides. Nous avons tout acheté alors, elle doit passer ce temps avec nous », tentent de justifier ces employés. Face à l’étonnement des passagers, la jeune fille révèle : « je ne veux pas restée avec eux. Certains clients veulent profiter de nous parce qu’ils ont acheté notre marchandise. Ils nous touchent bizarrement et si tu refuses, ils nous demandent de ne plus passer par là. » Ceux-ci consentent à la laisser partir à la suite des menaces d’un autre passager. « Pauvre petite fille ! ces pervers profitent de la naïveté des petites filles pour les tromper. C’est vraiment regrettable. Toutes n’ont pas la chance d’être secourues et d’autres cèdent et nous connaissons le résultat », déplore une dame, l’air dépité.
Carole déclare être régulièrement victime des propositions indécentes. Elle raconte : « Pas plus tard que samedi dernier, un monsieur m’a interpellée. Il voulait les arachides de 100 Fcfa. Je me suis rapprochée pour le servir. Il me dit qu’il me trouve jolie, il veut mon numéro. J’ai refusé et il m’a chassée en disant que je rate la chance de ma vie ». Elle poursuit : « Depuis cinq ans je vends pendant les vacances pour acheter mes fournitures. Je suis confrontée à des harcèlements. Je préfère me balader pour pouvoir écouler mon plateau d’arachides. J’entre partout où il y a du monde. Et certains n’hésitent pas de te faire des compliments, ensuite se permettent de vous toucher. »
Difficile de faire parler les concernées. « On le fait aux plus jeunes qui sont encore naïves », se défend la jeune fille. D’autres se contentent de rappeler qu’elles n’ont pas assez de temps.
Cet état des choses se rencontre aussi dans les lieux de stage. Rosalie est allée solliciter un stage dans une entreprise. La suite, elle explique : « J’étais allée déposer le dossier dans une entreprise au quartier Messassi. Le patron m’a donnée le contact d’un monsieur à Nlongkak qui a une librairie. Je l’ai appelé et il a souhaité me rencontrer. Rendue à la librairie, il me fait comprendre que ma voix sonnait comme celle d’une grande personne. Par la suite, il me posait des questions sur ma vie privée. As-tu un petit ami ? Que fait-il ? Va-t-il t’épouser ? J’étais gênée. Il me dit que j’ai un corps de rêve. Il pourrait arriver que mon patron tombe amoureux. Un homme de plus de 50 ans ». Elle respire un grand coup et ajoute : « Il me dit : Tu as mis dans tes loisirs que tu aimes jouer. J’espère que tu joueras avec moi. Au moment de m’en aller, il me demande de lui faire une bise sur la bouche. Il s’est dirigé vers moi et je me suis précipitée vers la porte. Aux environs de 20 h, il m’appelle et me demande de le retrouver à Etoudi. Je l’ai bloqué et mon entourage m’a conseillé de débloquer et d’enregistrer nos conversations ».
Paul Njike décrie cette situation mais impute une part de responsabilité aux jeunes filles. « Je ne justifie pas ce que font ces hommes. Toutefois, l’habillement de ces adolescentes peut dans une certaine mesure susciter ces comportements. On a l’impression qu’elles se vêtissent ainsi à dessein », commente l’homme.
Pour faire face à ce phénomène, le législatif camerounais en son article 302 alinéa du code pénal a prévu des sanctions : « Quiconque usant de l’autorité que lui confère sa position harcèle autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à un an et d’une amende de cent mille à un million, la peine d’emprisonnement de trois à cinq ans si la victime est une personne mineure ; la peine est un emprisonnement de trois à cinq ans si l’auteur des faits est préposé à l’éducation de la victime ».
« Mettre un mécanisme adapté de répression des déviants » : Thaddée Xavier Owona Bidi.
Le sociologue analyse la montée de la perversité dans la société camerounaise et propose des mesures urgentes à prendre pour y remédier.
L’actualité est fortement marquée par la recrudescence des pratiques perverses. Comment expliquez-vous cet état des choses ?
En effet, le sujet qui nous interpelle, en rapport avec le contexte actuel, celui de la récente diffusion des images et vidéos à caractère pornographique d’une jeune fille, illustre à suffisance la situation de crise multiforme qui frappe notre société : crise de valeurs, crise de repères, crise de différentes manières de faire qui régissent le fonctionnement et l’organisation d’une société. Si ces crises sont une évidence et une réalité sociale, plusieurs facteurs contribuent à favoriser leur récurrence. On peut sans être exhaustif, par exemple mettre en exergue, la forte pénétration d’internet, des réseaux sociaux et autres outils de télécommunications qui, corrélée au recul du contrôle parental et sociétal, a fini par s’imposer comme une nouvelle instance de socialisation. Mais, il s’agit ici d’une socialisation qui échappe à toute normalisation. Et la conséquence immédiate de ce processus est la multiplication des pratiques peu orthodoxes, notamment en termes de déviance sexuelle. Au-delà de ce facteur et du renoncement des parents dans l’encadrement de leurs enfants, il semble également congru de relever le contexte de précarité ambiant et par ricochet, de conception de la sexualité comme unité de production informelle. Une telle conception, participe de la banalisation de l’acte sexuel, de la chosification du sexe et de la nudité devenue une marchandise qu’on peut troquer contre de l’alcool, de l’argent, des notes. On peut également relever ce qui s’apparente à une absorption de la culture locale par celle des réseaux sociaux …. Voilà à mon sens quelques causes de l’intensification des pratiques perverses qui ont pignon sur rue actuellement dans notre société.
Qu’est ce qui peut justifier un tel délitement de la société camerounaise ?
Ce que vous appelez « la situation camerounaise » en termes de perversité, se trouve être là résultante d’un ensemble de facteurs dont quelques-uns ont pu être évoqués ici. Et le délitement dont vous faites allusion ne saurait être compris sans évoquer les causes profondes dans la mesure où, la diffusion des images et autres vidéos n’est que la conséquence d’une société où les parents, les éducateurs et autres instances de socialisation ont abandonné leur rôle de socialisation aux réseaux sociaux, à internet, aux médias, bref, à tous les outils modernes qui ont pour caractéristiques communes, l’absence de contrôle et de coercition. La jeune génération excelle donc dans la reproduction des pratiques à caractère déviant, assistée ou encouragée par des adultes aux manières de faire peu éthiques et sans cesse en quête de nouvelles expériences, y compris celles de natures peu orthodoxes.
Comment y remédier ?
Votre dernière question nous invite à trouver des pistes de solution pour essayer de sortir de cette crise qui secoue la société camerounaise. Et à ce niveau, il est primordial que les différentes instances de socialisation puissent de nouveau jouer leur partition. Au niveau micro, la famille doit redevenir l’instance de socialisation par excellence. Au niveau intermédiaire, l’école doit de nouveau contribuer à la construction d’une société où les normes et les valeurs partagées sont acceptables sur le plan éthique. Et au niveau macro, la société dans son ensemble, et l’Etat doivent à la fois encadrer l’utilisation des nouveaux outils de socialisation médiatique, tout en mettant un mécanisme adapté de répression des déviants.