Magazine Bien-être
« Les prestiges de notre société moderne, les prouesses techniques, l’abondance matérielle, les exploits en tous genres – communiquer à distance par le téléphone, franchir dix mille kilomètres en quelques heures avec un Boeing, envoyer des hommes sur la Lune – tout ceci nous aveugle à notre pauvreté spirituelle. Et j’affirme que les peuples sous-développés nous étaient, à bien des égards, supérieurs. Durant mes années de voyages, j’ai abondamment connu professionnellement la veulerie, la corruption et l’inefficacité de l’Asie dans certains domaines. Mais je sais aussi combien ces peuples étaient, dans leur pauvreté, favorisés par rapport à nous sur le plan de l’être. Je pense notamment aux musulmans dans la mesure où les sociétés musulmanes étaient encore non politisées (par exemple l’Afghanistan très à l’écart de la politique internationale jusqu’à l’occupation par les troupes russes), au monde de l’Himalaya (Sikkim, Bhoutan), aux réfugiés tibétains ou aux hindous appartenant à certaines couches sociales encore protégées.Vous comme moi, nous avons grandi dans une société qui, sur le plan de l’avoir, est unique dans l’histoire de l’humanité mais qui, sur le plan de la décadence de l’être, est unique aussi. Nous sommes allés déjà beaucoup plus loin dans la décadence que les Romains ne l’ont été à l’époque où leur fameuse devise «panem et circences» («du pain et des jeux du cirque») paraissait les éloigner vraiment de toute spiritualité. C’est donc devenu un fait courant que des hommes et des femmes à la fois rêvent de samadhi, de satori, d’états supérieurs de conscience, et soient pourtant très défavorisés sur le plan de l’être.
Le premier enseignement avec lequel j’ai été en contact et que je n’ai jamais renié, l’enseignement Gurdjieff, était éloquent à cet égard. On nous rapportait les paroles de Gurdjieff : « L’homme doit d’abord découvrir sa totale nullité, sa complète “ merdité ”. » Il est difficile pour un Français moderne de prendre vraiment conscience de sa complète nullité. Nous avons trop de raisons universitaires, professionnelles (chacun trouvera les siennes) de considérer que nous ne sommes pas aussi nuls que Gurdjieff osait l’affirmer. Même si ces paroles vous semblent abusives – alors que mon expérience pendant des années m’a confirmé combien elles me concernaient – soyez conscients du divorce entre cette faiblesse de l’être, même si vous êtes bourrés de diplômes ou si vous gagnez énormément d’argent, et la hauteur des ambitions spirituelles.»
(Approche de la méditation, chap. 5)******