Régionales 2021 (7) : tous les sortants restent !

Publié le 28 juin 2021 par Sylvainrakotoarison

" Les nuages roses me montent à la tête... Bon, il faut que je file, je vais vraimet le rater ! " (Sophie Tal Men, "Les Yeux couleur de pluie", éd. Albin Michel, 2016).

Les résultats du second tour des élections régionales de ce dimanche 27 juin 2021 ont un invariant intéressant : toutes les équipes sortantes ont été réélues ! J'évoque principalement les régions en métropole hors la Corse qui est un univers politique très particulier (Gille Simeoni a même progressé avec 40,6%).
Exprimée comme ça, on résume finalement assez simplement la situation. Mais les commentateurs préfèrent dire que c'est une victoire de LR et du PS, et un échec du RN et de LREM. Voyez la différence : la conclusion sur l'extrapolation vers l'élection présidentielle est totalement différente selon ces manières. D'un côté, on dit que le futur candidat LR a une chance de l'emporter en 2022 (encore faudra-t-il le désigner et ce n'est pas une mince affaire, sur quels critères ? et doit-il être LR d'ailleurs ?). De l'autre côté, si on donnait la prime aux sortants, loin d'avoir perdu en 2021, le Président Emmanuel Macron pourrait au contraire être un grand bénéficiaire, comme je l'avais présenté avant le second tour.
Le plus drôle est cette mécanique incessante des sondages. À croire que ça peut tourner à vide en permanence. À peine a-t-on quitté un scrutin qu'on commence fort avec de nouveaux sondages. Xavier Bertrand ? Oui, il semble être le candidat LR favori de... des sympathisants LR ? des sondés ? des électeurs des Hauts-de-France ? On ne sait pas trop bien, mais en tout cas, Xavier Bertrand s'y croit : à peine réélu à la tête de sa région, le voici qui délaisse ses électeurs pour viser plus haut. Mais Valérie Pécresse n'est pas en reste avec son équipe de France, ni Laurent Wauquiez, bien réélus respectivement à 45,9% et à 55,2%.
Et si finalement Renaud Muselier était le candidat LR ? Après tout, si les régionales, c'est le critère, à ce jour, c'est le candidat LR le mieux réélu de France, non ? En fait, la mécanique des sondages est une discipline qui n'a pas peur de montrer ses défaillances. Par exemple, les sondages prédisaient un score très serré entre Renaud Muselier et Thierry Muselier en région PACA, un 51%-49% et probablement une longue soirée électorale en perspective. Eh bien, pas du tout : au moins 57% (57,3% à cette heure) des électeurs ont voté pour Renaud Muselier. Comme on dit, il n'y a pas photo, et pourtant, les sondages osent remontrer leur nez sur d'autres questions dont les réponses, sinon les questions, sont toutes aussi hors sol que ce supposé score serré.
Alors, qu'en est-il vraiment ?
D'abord, revenons sur la participation et la grande surprise, c'est qu'elle est à peine améliorée. Bref, on ne s'est pas plus déplacé. Pourtant, pas de fête des pères, et dans mon coin, pas vraiment du soleil pour une balade bucolique. On peut dire sans crainte de se tromper, après une semaine électorale particulièrement médiatique, que les abstentionnistes ne sont pas allés voter en toute conscience. Au premier tour, on pouvait ne pas savoir, oublier, ne pas comprendre, au second tour, c'est clair, on ne voulait pas. La forte abstention est donc confirmée, mais à mon sens, il ne faut pas la surinterpréter, sinon en considérant que les électeurs avaient mieux à faire que comprendre des enjeux qui ne les intéressent pas.
Dans mon bureau de vote, c'est amusant : certains assesseurs n'ont même pas voté ! Et certains électeurs qui n'avaient pas voté au premier tour sont allés voter au second tour. Mais il y a eu aussi l'inverse, certains électeurs du premier tour ne sont pas allés au second tour. Ou alors ont voté clairement avec un vote blanc (enveloppe vide) ou nul (les deux bulletins des deux candidats restants aux élections départementales : c'est vrai que par chez moi, le binôme sortant avait obtenu plus de 53% au premier tour, mais n'avait pas eu assez de voix pour être élus au premier tour, des trois candidats du premier tour, seulement les deux premiers sont restés au second tour, il manquait le binôme du RN qui a suscité ces votes blancs ou nuls, facilement décelables puisqu'un de ces bulletins était écrit à la main "rassemblement national").
Mais je m'égare car je parle des élections régionales. C'est clair qu'il y a eu compensation entre un surcroît d'électeurs voyant un enjeu politique et une démobilisation d'autres électeurs n'ayant plus la possibilité de choisir la liste choisie au premier tour.

Comme je l'ai expliqué, si les listes LREM ont fait un mauvais score, c'était très prévisible, c'est parce qu'Emmanuel Macron ne s'est jamais investi politiquement dans les élections locales. Toutes les listes LREM restées au second tour, autour de 11%, ont même perdu quelques plumes, sur l'autel du vote utile. Seule, la liste du ministre MoDem Marc Fesneau a fait un score honorable, de l'ordre de 16% et il est probable que la prochaine fois pourrait lui permettre plus d'espoir. Marc Fesneau est un élu local de longue haleine et il sera d'ailleurs probablement un excellent héritier de François Bayrou. La liste de la ministre Brigitte Klinkert a aussi amélioré sa performance en passant de 10,8% à 12,2% dans le Grand Est (où Jean Rottner est réélu avec 40,3%). Ce qu'on n'a peut-être pas vraiment compris, c'est que, par leur maintien, les listes LREM ont ainsi pu gagner des élus dans les conseils régionaux. Ils n'y étaient pas présents précédemment. C'est ainsi le germe de futures autres trajectoires politiques, plus implantées dans les territoires.
Ce score très faible de LREM n'augure évidemment rien d'un premier tour d'élection présidentielle avec Emmanuel Macron qui reste populaire. Souvent, les personnalités LREM présentes aux élections régionales étaient peu connues, tant sur le plan national que sur le plan régional. Emmanuel Macron, cela n'a rien à voir, on l'aime ou on le déteste, mais au moins, on le connaît !
Du reste, je pourrais dire la même chose de Marine Le Pen. Oui, le score de Xavier Bertrand est très beau, 52,4%... mais il ne faut pas oublier qu'il bataillait contre deux personnalités assez dérisoires de la vie politique nationale : Sébastien Chenu (25,6%) et Karima Delli (22,0%). L'adversaire, ce n'était pas Marine Le Pen qui aurait sans doute obtenu un bien meilleur score pour le RN (42,3% le 13 décembre 2015 !). On le voit aux élections départementales où elle a été élue conseillère départementale au scrutin majoritaire en binôme avec Steeve Briois à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais avec 59,7%.
Néanmoins, il est incontestable que ces élections montrent les limites de la stratégie de Marine Le Pen. Déjà, le maire de Béziers Robert Ménard, l'éditorialiste Éric Zemmour et d'autres se pressent au portillon pour envisager une autre solution "nationaliste". Je vois au moins trois échecs pour le RN.
Le premier, c'est que la volonté de vouloir être un parti comme les autres ne fonctionne pas : le RN n'a jamais bien attiré les électeurs que s'il était provocateur, transgressif. Tant qu'à replonger dans la tiédeur de la cuisine politicienne classique, autant revenir aux maîtres de cette cuisine (reprendre le vieux slogan de Jean-Marie Le Pen à son détriment : vaut mieux l'original à la copie).
Le deuxième échec qui provient du premier, c'est que mettre en avant des transfuges du LR en tête de pont RN ne fonctionne pas. En d'autres termes, les électeurs LR "durs" préfèrent quand même un candidat LR à un candidat supposé traître à sa famille politique (d'autant plus que les programmes sont diamétralement opposés, ne serait-ce que sur les retraites). Thierry Mariani (autour de 42%) et Jean-Paul Garraud (24,0%) n'ont plus qu'à aller se rhabiller. On voit mal la poursuite des transfuges de LR vers RN pour 2022 : le RN est devenu has been, ringard, loser, perdant.
Le troisième échec est en revanche bien plus problématique pour Marine Le Pen : malgré une stratégie de simple droite dure sans transgression, le RN subit quand même de plein fouet un front républicain toujours aussi efficace (à ma grande surprise). Je le pensais désuet, sans effet et il est clair que non : en région PACA, de nombreux électeurs de gauche ont voté pour Renaud Muselier pour empêcher la victoire du RN. En d'autres termes, cela signifie que les électeurs de gauche sont capables de se mobiliser encore en faveur de candidats de droite pour faire barrage à l'extrême droite. Cette perspective de front républicain intéresse évidemment Emmanuel Macron dans une optique de second tour présidentiel. Cela encourage aussi les anciens soutiens de Marine Le Pen à vouloir choisir une autre représentante qui ne subirait pas un tel front républicain, mais qui, alors que les transfuges de LR seront les premiers rejetés ?
L'échec est tellement patent pour le RN qu'en Bourgogne-Franche-Comté, par exemple, malgré la quadrangulaire, le RN (23,8%) a rétrogradé de la deuxième à la troisième place au profit de la liste LR (24,8%).
Passons maintenant à gauche. D'un point de vue national, évidemment que Julien Bayou a gagné un pari, celui d'avoir réussi à faire l'union à gauche, mais alors, pourquoi ne pas l'avoir fait dès le premier tour ? En tout cas, il a une longueur d'avance sur Anne Hidalgo qui a complètement échoué avec la candidature de la pauvre Audrey Pulvar à qui je recommanderai sincèrement d'arrêter la politique car ce n'est vraiment pas son truc. Cependant, sur le plan régional, Julien Bayou, avec 33,7%, n'a pas réussi à vraiment inquiéter Valérie Pécresse même si celle-ci a dramatisé le second tour pour mobiliser ses soutiens.
Allons plus loin à gauche. Chaque fois que la gauche a été unie (PS, FI, EELV), ce fut l'échec, en particulier dans les Pays de la Loire où la gauche réunie de Matthieu Orphelin et Guilaume Garot n'a pas atteint le total des deux listes du premier tour (34,9%) tandis que la présidente sortante Christelle Morançais a fait un bond de 34,3% à 46,5% (le RN a reculé en une semaine de 12,5% à 10,5% et François de Rugy aussi de 12,0% à 8,2%). Même chose en Normandie où la gauche n'a obtenu que 26,2% face au centriste Hervé Morin réélu ave 44,3%.
En revanche, lorsque le PS est sortant, généralement, le candidat sortant refuse de faire une alliance avec d'autres partenaires de gauche et a persévéré à se présenter seul, sur son seul bilan... et cela a fonctionné : excellemment en Occitanie (Carole Delga semble être la mieux réélue de France avec 57,8%), mais aussi, malgré des scores assez faibles mais en tête, en Nouvelle Aquitaine (Alain Rousset à 39,5%) et même en Bretagne (Loïg Chesnais-Girard à 29,8%) alors que la liste écologiste (20,2%) n'était pas loin de faire basculer la région à droite au premier tour (Isabelle de Callennec a obtenu 22,0% au second tour). Seule exception, Marie-Guite Dufay en Bourgogne-Franche-Comté qui a été réélue avec 42,2% avec une alliance écolo.
Là encore, la leçon est claire : les électeurs sont prêts à faire confiance à une social-démocratie de gestion, mais pas du tout à une sorte de retour anachronique à l'union de la gauche mâtinée de couleur écologiste. Dans ces listes d'union de la gauche, on ne contente personne. D'ailleurs, en Île-de-France, Julien Bayou n'a même pas retrouvé le total du premier tour des trois listes qu'il prétendait réunir. Il a perdu des électeurs en route, mécontents d'un des partenaires du deal. En Île-de-France, le RN (13,1% à 10,8%) et LREM (11,8% à 9,6%) ont aussi chuté entre les deux tours.
En conclusion, on voit surtout qu'il serait très imprudent d'interpréter les élections régionales comme un tour de chauffe de la prochaine élection présidentielle. Au contraire, ce sont des situations locales qui ont favorisé les sortants parce qu'ils étaient les seuls connus, et leur action au service de la région, quelle que soit l'étiquette politique arborée, s'est montrée convaincante. Il faut préciser aussi que le non cumul des mandats a favorisé ce genre de choses : le président à la tête de la région, qui n'a que ce mandat, sans mandat parlementaire ou autre, peut se consacrer totalement à sa région, ce qui, ici, est un atout pour cette collectivité.
Ceux qui voulaient du changement et du renouveau en seront pour leurs frais : en métropole, pas un conseil régional ne replacera à sa tête un autre que son président sortant. Une telle unanimité dans les réélections est à ma connaissance très rare historiquement. Un phénomène qui ne doit finalement pas tant déplaire que ça l'actuel locataire de l'Élysée...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 juin 2021)
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Pour aller plus loin :
Régionales 2021 (7) : tous les sortants restent !
Régionales 2021 (6) : Emmanuel Macron et le qui perd gagne.
Régionales 2021 (5) : vous avez dit front républicain ?
Suppression des professions de foi lors des élections (28 septembre 2016).
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Régionales et départementales 2021 (2) : les enjeux.
Marine Le Pen et l'effet majoritaire.
Les Républicains et la tentation populiste.
Rapport de Jean-Louis Debré du 13 novembre 2020 (à télécharger).
Avis du Conseil scientifique sur la tenue des élections du 29 mars 2021 (à télécharger).
Régionales et départementales 2021 (1) : à propos de leurs dates et de l'âge du capitaine.
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Vive la Cinquième République !

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