Au quotidien, ces employés sont victimes d’abus, de violences physiques et morales.
Michèle, 32 ans, travaillait comme employée de maison chez une particulière depuis 6 ans. En ces six années de travail, la jeune femme n’a jamais eu de congés, ni même de primes. Fatiguée de faire des heures supplémentaires non rémunérées, la jeune dame a préféré démissionner.
Elle explique: « Ça en était déjà trop. J’ai été recrutée comme nounou. Mais peu à peu, j’ai commencé à faire le ménage et la cuisine pour cette famille. Malgré ces tâches supplémentaires, ils n’ont pas augmenté mon salaire de nounou qui était de 35.000fcfa par mois. Pire encore, j’étais interdite de congés. Même pour m’absenter les week-ends, il fallait que je trouve des excuses solides. Michèle n’est pas la seule à vivre ces situations. Tout comme elle, ils sont nombreux les employés de maison qui, au quotidien, sont victimes d’abus de tout genre. Ntonga Maurice, jardinier, en a également payé les frais. Accusé de vol, il a été menacé puis bastionné par son ancien employeur . Il témoigne: « une forte somme d’argent avait disparu dans la maison. Et sans même mener des enquêtes, le patron nous a emmené le gardien et moi dans un poste de police, où nous avons été copieusement tabassés. A la sortie de là, nous avons été renvoyés de nos postes respectifs, sans avoir reçu notre paye mensuelle ».
Sonia Emboumbou, cuisinière, à quitté son travail pour bon respect des clauses du contrat. Recrutée pour un travail de 8h par jour soit de 7h à 15h, elle se retrouvait à travailler jusqu’à 13h par jour. « Selon mon contrat, je devais commencer le travail à 7h et terminer à 15h, lorsque le déjeuner avait été pris. Mais au bout de deux mois après que j’ai commencé le travail, ma patronne me demandait de venir à 6h30 pour apprêter le petit déjeuner des enfants. Et, je rentrais souvent à 18 ou 19h, après le dîner. J’ai supporté ainsi pendant un an et un matin, je ne suis plus allée travailler. C’était fatiguant et je n’avais plus assez de temps pour ma famille ». Delphine, femme de ménage, à quant à elle été victime des attouchements de son ex employeur. « Tous les jours il venait à la maison à midi prétextant récupérer un dossier, et en profitait pour me toucher les parties intimes ». Sous les menaces de son patron, Delphine avait peur de le dénoncer.
Pour elle, perdre son boulot était un luxe qu’elle ne pouvait se permettre. Elle confie: « j’avoue qu’à un moment, j’ai été tentée de céder aux avances de mon boss. Il me faisait des offres très alléchantes. Mes conditions de vie étant misérables, je pensais tirer un bon profit de lui. Heureusement pour moi, je me suis vite ressaisie ». En effet, la jeune dame a parlé de cette situation à sa copine, lui demandant des conseils. « Mon amie m’a demandé de ne pas céder à ces avances. Étant passée par là, elle m’a conseillé de repousser mon patron, voir même d’en parler à sa femme », poursuit-elle. Ayant suivi les conseils de son amie, Delphine va se confier à la femme de son patron. Malheureusement pour elle, les choses ne vont pas se passer comme elle espérait. Elle raconte, la mine triste: « j’ai été traitée de tous les noms. Ma patronne ne m’a pas cru, et a pris la défense de son mari. Elle est entrée dans une colère noire, m’accusant de vouloir voler son mari. Elle m’a renvoyé sur le champ, sans même me laisser le temps de lui apporter des preuves.
Les employeurs, d’autres victimes
Un autre abus dont sont très souvent victimes les personnels de maison, c’est le manque d’affiliation à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps). « J’ai travaillé chez une dame pendant trois ans et le jour que je lui ai parlé de la Cpns, elle a fait mine de ne pas savoir de quoi il s’agit. Mais la semaine d’après, elle m’a licencié, prétextant que je lui coûtait déjà cher », raconte Aminatou, femme de ménage. Ousmane, un majordome, ajoute: « Les grands patrons que nous voyons là dehors sont des bandits. Ils ne veulent pas nous voir évoluer. Ils n’aiment même pas entendre le mot Cnps. Car ils savent qu’avec l’argent des cotisations, on pourra être autonome demain. Pour eux, on doit rester à leurs pieds ».
Si les employés de maison se plaignent des abus que commettent leurs employeurs, ces derniers ne sont pas en reste face aux multiples actes de vol, manque de respect et sévices corporels infligés à leurs enfants par les domestiques. Innocent Tchatcha, comptable, affirme: « j’ai un très mauvais souvenir des employés de maison. La première que j’ai recrutée, c’était pour garder ma fille qui avait 5 ans à l’époque. À mon absence elle faisait faire des corvées à ma fille, allant même jusqu’à la fouetter lorsqu’elle n’arrivait pas à exécuter. La deuxième a vidé ma maison. À chaque fois qu’elle rentrait, elle emportait avec elle un objet de la maison. C’est plus tard que mon épouse et moi nous nous sommes rendus compte. Nous avons installé des caméras de surveillance à la maison et c’est grâce à elles que nous avons découvert qui était notre voleur. Dominique Djomou quant à elle, ne veut plus entendre parler des femmes de ménage.
Elle a perdu son mari à cause de ces dernières. « J’avais une ménagère qui sortait avec mon mari dans mon dos. C’est une amie qui m’a alerté, car elle avait constaté que ma femme de maison me parlait avec arrogance et mépris. Lorsque je l’ai confronté, elle n’a pas nié les faits,profitant pour m’insulter. Le pire est arrivé lorsqu’elle m’a annoncé être enceinte de mon époux. Ce dernier aussi n’a pas nié les faits, me forçant par la même occasion à accepter cette femme comme coépouse. Je n’ai pas pu supporter, j’ai quitté ce mariage avec mes enfants », confie t-elle, toute triste. Pour Innoncent Tchatcha, les employés de maison sont des manipulateurs, toujours prêts à jouer aux victimes pour s’attirer les faveurs, pourtant ils sont très souvent responsables des traitements qu’ils subissent dans certaines maisons.
« La reconnaissance du travail domestique » : Claudine Lucie Mboudou Mballa
La présidente de l’Association pour le développement des assistants de maison (Asdam) revient sur les difficultés que sa structure rencontre au quotidien dans la lutte pour les droits des travailleurs.
Comment est née l’association Asdam et quels sont ses objectifs?
Après plusieurs années de service passé dans les domiciles, j’ai fait un constat d’abus de droits réciproque entre les travailleurs domestiques et les employeurs domestiques et dont les travailleurs domestiques sont majoritairement victimes. J’ai alors décidé de créer une association pour le développement des Assistantes de maison » Travailleurs domestiques », ASDAM dans le but de valoriser ce secteur de travail, à travers la formation professionnelle et la promotion des droits des travailleurs domestiques. Asdam a pour objectifs la reconnaissance du travail domestique, car certains employeurs prennent les employés de maison pour des sous hommes ; la bonne évaluation de ce travail, qui passe par un bon salaire et le payement des primes; la formation, la sensibilisation, l’information et l’éducation des employés de maison; l’impulsion de l’assurance sociale pour les travailleurs domestiques comme l’affiliation à la Cnps, et la promotion des droits des travailleurs domestiques.
Comment votre association accompagne-t-elle les employés domestiques victimes d’abus?
Chaque jour, nous rencontrons des travailleurs domestiques victimes d’abus. Asdam accompagne ces derniers à travers le dialogue tripartite, assorti d’une bonne sensibilisation et des informations. Et s’il s’avère que le manque de compétences du travailleur domestique en soit une cause, nous procédons à un recyclage ou formation continue dans le lieu de service accompagné d’un suivi constant, puis une évaluation au niveau de l’employeur.
Quels sont les types d’abus qui reviennent le plus souvent?
Les travailleurs domestiques sont très souvent victimes du non-respect des clauses du contrat verbal ou écrit (les horaires et les tâches indéfinies). Les employeurs les font travailler jusqu’à X heure, oubliant qu’eux aussi ont des familles à gérer. Le deuxième abus le plus recensé c’est le harcèlement moral et physique. Ensuite nous avons le profit abusif du travailleur. Très souvent, le travailleur domestique ignore ses droits, raison pour laquelle les employeurs profitent de lui. Le refus du congé annuel est également un abus dont sont victimes les travailleurs domestiques. Ajouté à ça, nous avons également le licenciement abusif au cas où le travailleur signale une maladie. La non affiliation à la Cnps, les violences psychologiques et physiques allant jusqu’au traumatisme, sont les abus les plus vécus par les travailleurs domestiques.
Est-ce que votre combat est facile à mener? Avez-vous un quelconque soutien?
Notre combat n’est pas facile, parce que certains employeurs qui aiment abuser trouvent que nous sommes en train de révolter les travailleurs domestiques qui pourraient se retourner contre eux. Certains pensent aussi que nous voulons ouvrir les yeux des travailleurs domestiques sur l’argent car ils craignent qu’avec notre travail, il devient difficile au Cameroun de s’offrir les services des travailleurs domestiques. Le gouvernement à travers le ministère de l’emploi et de la formation professionnelle nous accompagne déjà avec l’octroi des agréments pour mieux exister, mais cela ne suffit pas. Comme ça se fait avec les écoles primaires, secondaires et supérieures, il faut que dans les centres de formation professionnelle des travailleurs domestiques, le gouvernement camerounais subventionne la formation des travailleurs domestiques et qu’il nous accompagne davantage dans la valorisation, la reconnaissance du travail domestique au Cameroun, car c’est un secteur qui contribue fortement à la diminution du taux de chômage.