Nikos Lyberis, après la beauté reste la beauté
Nikos Lyberis a publié plusieurs livres en Grèce. Cette édition bilingue d’Après le son est le second publié en France. Des extraits avaient été publié par les Carnets d’Eucharis en 2014. A l’ombre de Cavafis, écrit directement en français a été publié chez Terres de femmes en 2015.
C’est une Grèce éternelle dont parle Nikos Lyberis : les chemins, les pierres, le soleil, le vent, les vagues et la beauté, grecque d’essence…
Mais ce sont aussi des voyages dans le monde qu’on suppose faits, et s’ils sont imaginés, ils nourrissent le recueil de leurs paysages, de leurs noms superbes (Lerna, Mehrgrah, Larsa, Caucase, Syrie, Touring et, Kaspatyro, Kamukara…).
Et c’est aussi une Grèce contemporaine qui est passée par la guerre, la pauvreté, la dictature, (« ces corps qui ont cristallisé la terreur et l’interdit (…) ces corps responsables de la faillite de la pensée ») et d’autres qui sautent sous les bombes :
« Quand les choses se sont dérobées derrière les images
les cinq étages de la parole se sont effondrés,
laissant seulement voir le toit
les condoléances sans fin des nombres
et quelques copies de l’original perdu
Sur l’autre face du vent le rêve d’une fleur »
Les poèmes sont très beaux, qui égrènent une forme d’histoire de la Grèce, les rois, ces rois de tragédie, ces rois de théâtre, dont nous écoutons encore aujourd’hui les mythes qui fondèrent notre civilisation actuelle, pourvu qu’elle ne les oublie pas…
« D’une bouche à l’autre
une même histoire se poursuit
malgré les bavardages silence intact
parce que la vérité et son objet sont une et même chose »
Nos tragédies actuelles sont les femmes tuées à coup de marteau ou jetées par des fenêtres par des hommes pauvres de tête et de coeur, elles ne règnent plus sur le cœur des rois.
Les fleurs pauvres déposées par des passants dans des plastiques fatigués ne sont plus ces fleurs grecques, fières et qui résistaient à tout entre deux pierres :
« Les murs se retirent d’autres murs arrivent
pour laisser passer
la reine de Thulé ». Rien n’a plus de reine.
Le corps grec reste un corps glorieux, sculpté,
« sable d’or pleut sur deux corps
l’un à hauteur de l’autre
à hauteur de grâce »
Il y a ce « quelque chose » qui revient plusieurs fois, peut-être la beauté, peut-être la fameuse aletheia, vérité, dévoilement, quelque chose au-delà de la lumière, quelque chose qui dépasse le son du chant, des rires, de la voix.
Ce livre, comme une image aimée, reste longtemps derrière les paupières, une fois qu’on l’a refermé.
Isabelle Baladine Howald
Nikos Lyberis, Après le son, Ed Jacques Brémond, 2021, 63 p., 20€
Signalons, parallèlement, la belle réédition en un volume de cinq livres de Françoise Han, récemment disparue, Contre l’épuisement, accompagné d’encres de Jean Michel Marchetti 20 euros 116 p
Tambours d’eau
Six pêcheurs ont raté le sable
déplient le mur pour s’y asseoir
gestes lents comme au fond de l’eau
pour ne pas effrayer les plumes
au-dessus des toits
L’herbe des collines verdit le ciel
les flancs des choses fanées s’enchevêtrent
avant de trouver l’aspect qui leur convient
et des jeunes cherchent l’autel
Où offrir leur vie
entre deux pensées
entre deux gestes
entre
le pouls du monde
leur propre pouls
Des sons se concertent sans se compromettre
le chant du funambule aveugle
soutient la tension
Des vagues du large a l’acier
mille harmonies pour chaque syllabe
jusqu’à une terre nouvelle
le secret de la fleur
La flûte de roseau se rappelle l’eau qui coule
et pourtant
le son disparaît quand tu le touches