Célébration : Johnny et Manu unis à la Madeleine

Publié le 25 juin 2021 par Tonton @supprimez

L’hommage religieux au saxophoniste s’est déroulé dans la même église que celui rendu au rocker français.

La cérémonie d’hommage à Manu Dibango initiée par le Chef de l’Etat camerounais, M. Biya, s’est achevée le 22 juin dernier par une célébration interreligieuse. C’était dans la splendide église de la Madeleine, située dans le 8ème arrondissement de Paris. De Frédéric Chopin à Charles Trenet, de Henri Salvador à Joséphine Baker, d’Edith Piaf à Johnny Hallyday, le lieu mythique situé à proximité de l’Opéra de Paris et de l’Olympia a vu se succéder les obsèques de nombreuses personnalités du monde. Mercredi dernier, c’était au tour du grand saxophoniste camerounais décédé le 24 mars 2020 d’y être célébré.

C’est sous la pluie que le public venu nombreux converge vers l’église de la Madeleine. La sécurité assure le protocole. A l’entrée, des hôtesses distribuent des masques de couleur noire, en signe de deuil et bien entendu pour respecter les règles d’hygiène liées à la pandémie du Coronavirus. La distanciation physique est de vigueur. De grands portraits rappellent notre grand Manu, la star du jour. Celui avec M. Biya rappelle également l’attachement de l’illustre disparu au Cameroun. De jolies et grosses roses blanches et roses claires rajoutent au charme de cette immense bâtisse au style architectural néoclassique dont la construction s’est achevée en 1842. « Une cérémonie élégante et simple comme l’aurait souhaité Manu », dit Géorgie, sa fille de cœur précise-t-elle.

Sur une table disposée devant l’autel, se trouvent un portrait de Manu (le dernier réalisé avant sa disparition), son saxophone doré, des fleurs et un coussin rouge. C’est dessus que l’ambassadeur du Cameroun en France, André-Magnus Ekoumou, dépose la médaille de Grand Cordon du mérite camerounais que le chef de l’Etat lui a décerné à titre posthume. De son vivant, Manu a eu une vingtaine de distinctions. Commandeur de l’Ordre et de la Valeur au Cameroun (2016), commandeur de l’Ordre national de Côte d’Ivoire (2016), Médaille Grand vermeil de la ville de Paris (2013), Grand prix de la Sacem pour l’ensemble de sa carrière (2009), pour ne citer que celles-là.

Les chefs Sawa accompagnent l’âme de Manu

Pour ce grand monument de la culture africaine, la cérémonie s’ouvre peu après 14 h, par un hommage traditionnel des chefs Deido et Yabassi (ethnie du disparu). Il est mené par Pierre Njoh Njoh. Sous les battements du Tam-tam, ses hommes et lui entonnent le Djengoue, un chant traditionnel. « Paa Manu vient de Douala. Vu la dimension de l’homme, il a fallu qu’on lui fasse cet hommage pour accompagner son âme et qu’il puisse revenir à la vie et se manifester dans un autre domaine. Car, dans la tradition Sawa, l’homme ne meurt pas. S’il a pu faire des œuvres aussi grandes, il pourra se manifester en homme et poursuivre d’autres missions », explique Pierre Njoh Njoh. « Manu était très attaché à la culture Sawa. Le Ngondo l’avait élevé au grade d’Eyoum’a moto en reconnaissance à son immense œuvre qui valorisait son peuple. C’était quelqu’un d’attaché à la tradition. Chaque fois qu’il y avait des manifestations traditionnelles, Manu était toujours là », poursuit-il.

Célébration interreligieuse

La cérémonie religieuse se poursuit avec la procession des officiants : l’Abbé Louis Nsémé Nkolo, le Révérend Pasteur Ernest Ewele et l’Imam Nsangou Abdou. Leurs lectures tirées de Romains et de Matthieu font référence au bien et à la bonne semence. Leur intervention est ponctuée par le chant choral exécuté par la Chorale d’hommes de Paris. Le répertoire n’est pas choisi au hasard. « Quel ami fidèle et tendre, reste avec nous, j’ai l’assurance de mon salut… Quelques prestations libres rappellent qu’il est bien question d’hommage à un musicien et pas des moindres : Manu Dibango qui, depuis 60 ans, fait vibrer nos cœurs. Multi-instrumentaliste (saxophoniste, pianiste, vibraphoniste), auteur, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre. « Soir au village/Mboa » interprété par Lady Ponce accompagnée par Valérie Belinga, Isabel Gonzalez, Patrick Marie-Magdelaine fait pleurer l’assistance venue nombreuse rendre hommage à Papy Groove. « Je me retrouve là grâce à la famille de papa Manu qui a voulu que j’interprète cette chanson aujourd’hui pour honorer la mémoire de ce grand homme. C’est aller très vite. L’orchestre de papa Manu et moi n’avions vraiment pas répété ensemble. Nous nous sommes fait confiance. Mais c’est comme si Manu lui-même était là pour nous guider», confie la chanteuse. Le magnifique duo du sopraniste Fabrice Di Falc qui a chanté pour plusieurs dirigeants européens, dont Emmanuel Macron ;et le contrebassiste Julien Leleu interprètent « Summer Time ». Ce classique de la chanson composée par Georges Gershwin, avec des paroles de DuBose Heyward est extrait de l’opéra Porgy and Bess. L’action se situe dans les années 1930, une période difficile aux États-Unis, particulièrement pour les Noirs, qui souffrent de racisme et de ségrégation. Le son du Saxophone de Manu Dibango est le seul absent à cette méga Jam

Florent Mbia, Baryton de l’opéra de Paris, Etienne Mbappé et Arbogaste Mbella Ntonè étalent également tours à tours leur talent devant le prestigieux public composé de la famille de Manu, de ses amis, des artistes camerounais et étrangers, du corps diplomatique, des représentants des maires de Paris et de bordeaux (Pierre de Gaétan Njikam ), de Mme Mushikiwabo Louise (la Secrétaire Générale de la Francophonie), des artistes, de la presse camerounaise et internationale… Tous gardent le souvenir d’un grand artiste, d’un rassembleur, d’un ambassadeur et d’un papa aimant. « Papa est parti très vite. Nous n’avons pas pu faire notre deuil. Nous vous remercions beaucoup pour cette chaleur. Papa pensait qu’il n’avait pas été à la hauteur en tant que père, mais je tiens à dire devant tout le monde que je n’avais jamais rêvé d’avoir un autre père que lui. Je suis fière d’être sa fille », mentionne sa fille Marva, à côté de son frère ainé Michel Dibango, en larmes.
Dans sa sépulture (Allée 2, division 44) au cimetière La Père-Lachaise, l’un des plus grands cimetières parisiens intra-muros et l’un des plus célèbres au monde. Dans sa noull le grand Manu a dû applaudir ce vibrant hommage en compagnie de ses voisins : Michel Legrand, Sarah Bernard, Simone Signoret.

« Que la diaspora soit aussi authentique que Manu » : André-Magnus Ekoumou

Rappelant ce vœu du président Paul Biya, l’ambassadeur du Cameroun en France a également reprécisé que le saxophoniste disparu avait gardé sa nationalité camerounaise.
Le président de la République, Son Excellence Paul Biya, a instruit la tenue d’un hommage à Manu Dibango…
La cérémonie de ce 22 juin 2021 se tient en effet -il faut le rappeler- sur hautes instructions du Président de la République, qui m’a chargé, et j’en mesure tout l’honneur, de le représenter personnellement à cette célébration destinée à honorer, avec tous les amis de Manu Dibango et du Cameroun, la mémoire de l’un des visages les plus représentatifs de notre pays à l’étranger.
Cette cérémonie interreligieuse est l’aboutissement d’une série d’activités commémoratives organisées par l’Ambassade dès l’année dernière pour rendre hommage, de diverses manières, à Manu, malgré le contexte difficile de la crise sanitaire qui a bouleversé le monde et, emporté dans son sillage, celui que nous célébrons aujourd’hui. Au rang de ces activités, figure la projection en exclusivité mondiale du film documentaire « Tonton Manu » en mars dernier, ou encore la cérémonie d’hommage préalable à celle d’aujourd’hui tenue le vendredi 18 juin, sur la cour de l’Ambassade, en présence de nombreux compatriotes

Aviez-vous un lien particulier avec Manu Dibango et que représentait-il pour vous ?

Je suis un fan de la première heure du grand Manu. (Pour nous, l’ambassadeur chante le refrain de Soul Makossa en battant le rythme). C’était un compatriote très apprécié dont tout le monde se sentait proche. Il y a 15 mois, la nouvelle de sa disparition nous a fendus le cœur, ici comme au Cameroun où je me trouvais à cette période. Manu était, en effet, un artiste surdoué et aux qualités humaines exceptionnelles. Apprécié de tous, sa longévité remarquable dans son métier faisait de lui une référence. Sa bonhomie peu commune et son charisme imposant lui conféraient cette stature d’être increvable, immortel, doublé d’une dimension atemporelle qui en faisait un monument national.

Vous avez présenté Manu comme un authentique camerounais ?

Le chef de l’Etat a voulu témoigner la reconnaissance du Cameroun à l’endroit de Manu, cet authentique camerounais. Vous avez entendu qu’il a gardé sa nationalité camerounaise. Il n’est pas venu demander la double nationalité comme beaucoup le font en ce moment. Le président Paul Biya voudrait que la diaspora que représentait Manu Dibango soit aussi authentique que l’était notre patriarche Manu.

Il se disait pourtant un citoyen du monde…

Tout à fait. Manu était aussi un humaniste engagé. Dès ses débuts, le saxophoniste a pris fait et cause pour l’humain. Militant des luttes anti-racistes de première heure, il aimait rappeler qu’on ne peut pas peindre du blanc sur du blanc ou du noir sur du noir. Car disait-il, chacun a besoin de l’autre pour se révéler. Il développait alors avec une philosophie enrobée de gravité et d’éloquence, la problématique de ce qu’il appelait « la diversité décomplexée avec la nécessité d’un vivre-ensemble un peu apaisée ». En 2004, il est nommé artiste de l’Unesco pour la paix. En 2016, il a été le grand témoin de la Francophonie aux Jeux Olympiques de Rio. Bien avant ces nominations, on se souvient de son engagement humanitaire en 1985 avec le projet « Tam-Tam pour l’Ethiopie ». Avec ce projet musical d’anthologie, Manu Dibango rassemble, pendant trois jours et trois nuits, tous les meilleurs talents africains de l’époque, Touré Kunda, Salif Keita, Ray Lema, Mory Kanté… Pour contribuer à l’éradication de la famine en Ethiopie, après « We are the world » exécuté par une cuvée de stars américaines de légende.
En 2015, le maire de Paris d’alors, M. Bertrand Delanoé, lui remettant la Grande médaille de Vermeille de la Ville de Paris, dira qu’il voit en lui, une autorité morale, fidèle au Cameroun, au monde et porté sur les valeurs de l’universalité.

Cathy Yogo