Petit recyclage. Je vous mets ci-dessous la version longue du papier que j'ai récemment écrit pour le site internet du Longines Global Champions Tour - Longines Paris Eiffel Jumping, épreuve de saut d'obstacles qui se déroule chaque année au pied de la Tour Eiffel (j'y travaille pour le service de presse). Alors pourquoi partager ici ce papier ? Parce que c'est une histoire comme j'aime les raconter, parce que les personnes que j'ai appelées m'ont évoqué des valeurs que j'aime et que j'ai ressenti plein de belles choses en les écoutant. Et que je trouvais dommage que ce texte ne soit partagé que pour les fans d'équitation visiteurs du site du concours.
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Le dernier tour d’honneur de Rahotep de Toscane
A la retraite depuis avril, Rahotep de Toscane, sacré champion olympique par équipe en 2016 à Rio sous la selle de Philippe Rozier, sera fêté, le samedi 26 juin, à l’occasion du Longines Paris Eiffel Jumping. L’occasion de saluer un champion et rendre hommage à cet étalon gris hors du commun. Son propriétaire Christian Baillet, son cavalier Philippe Rozier et sa groom Maud Ligouzat nous racontent leur Rahotep.
Il y a des tours d’honneur à la saveur particulière. Celui qu’effectuera Rahotep de Toscane à l’issue du Grand Prix Longines Global Champions Tour sera forcément l’un de ceux-là, l’un de ceux que l’on n’oublie pas, l’un de ceux qui mêlent des émotions aussi diverses qu’intenses. A 16 ans, le Selle Français médaillé olympique par équipe en 2016 à Rio viendra recevoir un ultime hommage au pied de la Tour Eiffel. Difficile d’imaginer plus beau cadre pour saluer l’exceptionnelle carrière de ce fils du grand Quidam de Revel et de Fanny du Murier.
Né le 6 avril 2005 dans la Marne, chez Michel Aubertin, le poulain, à deux ans, part d’abord en Belgique. C’est là, en 2010, qu’il rencontre son futur cavalier. Les histoires d’amour ne débutent pas toujours par un coup de foudre. Celle de Rahotep et de Philippe Rozier en fut même très loin. « Avec M. Baillet, nous sommes partis en Belgique pour acheter Balou chez Jos Lansink, se souvient le cavalier. Un ami belge m’avait contacté par Facebook en me disant qu’il avait vu le frère de Jadis de Toscane, cheval que je montais depuis des années, et que ça valait peut-être le coup de faire un petit détour d’une vingtaine de kilomètres. Nous étions dans le coin, alors nous y sommes allés. Au début nous avons été déçus. Il ne présentait pas bien et sur les petits sauts, il n’avait rien d’impressionnant. Je n’aimais pas trop et M. Baillet non plus. On a failli repartir mais on a quand même essayé de mettre un peu plus haut. Et là, c’était un autre cheval. Nous sommes finalement repartis avec lui dans les bagages. A trois sauts près, nous passions à côté. »
Rahotep de Toscane débarque donc à Bois-le-Roi, en Seine-et-Marne. Sans grandes promesses, sans nourrir les espoirs les plus fous. « Au début, nous y sommes allés tranquille, raconte Philippe. Il s’est qualifié pour les finales des 6 et 7 ans mais sans grand brio. Petite anecdote, quand il fait la finale des 6 ans, je suis à Rio pour une étape du Global Champions Tour. Eric Navet l’a monté et je regardais ses parcours en streaming de Rio. Aujourd’hui, je vois ça comme un petit clin d’œil de l’histoire. »Son propriétaire Christian Baillet se souvient bien : « Quand Philippe m’a dit qu’il serait à Rio et qu’il fallait trouver un autre cavalier pour monter Rahotep, je lui ai dit ce sera Eric Navet et personne d’autre. S’il ne peut pas, on ne fait pas la finale. » Une petite séance à Maisons-Laffitte pour découvrir le cheval et le champion du monde 1990 accepte. Mais Rahotep reste dans les profondeurs du classement. « Malgré tout, Eric m’a dit que le cheval avait du potentiel, que ce serait un bon cheval, confie M Baillet. C’était réconfortant. » Il faudra toutefois plusieurs années encore pour le révéler pleinement.
« Ce fut un cheval très tardif, poursuit Philippe Rozier. On ne pouvait pas imaginer son futur destin. Pendant ses 6, 7 et 8 ans, ce fut un cheval du piquet, sans plus. M. Baillet m’avait d’ailleurs dit que si un acheteur se présentait, on pouvait discuter. Mais franchement, quand tu ne le connaissais pas, il n’y avait pas de raison de l’acheter. On a choisi d’attendre, de lui laisser du temps. M. Baillet est un grand homme de cheval et il a compris ça. Je n’ai pas la prétention de dire que je savais ce qui allait se passer mais je n’avais pas non plus l’impression de perdre mon temps. J’ai choisi de le protéger et ce n’est qu’à partir de ses 9 ans qu’il a commencé à mettre le turbo. »
A ses côtés, chaque jour, Rahotep profite alors des soins et de l’attention de sa groom Maud Ligouzat. « Je suis arrivée chez Philippe le 28 août 2012, confie Maud. Je m’en souviens très bien. On m’a tout de suite demandé d’accompagner les chevaux qui partaient pour les finales Jeunes Chevaux. Et pour les 7 ans, il y avait un petit gris dans le box à gauche. C’était Rahotep. Il fut donc le premier cheval dont je me suis occupé chez Philippe. Il y a eu une rencontre, c’est évident. J’aime tous les chevaux dont je m’occupe mais je lui trouvais une personnalité à part. Après cette première rencontre, il est allé au pré chez M. Baillet et à son retour, nous sommes partis au Sunshine Tour puis à Oliva. Nous avons donc passé 8 semaines ensemble. J’étais la seule groom du voyage ce qui a encore renforcé les liens. » Idéal aussi pour découvrir la personnalité de l’étalon. « Il est très à la recherche de contact et est assez joueur, raconte Maud. C’est un très gentil cheval mais aussi très impressionnant. Il peut en jouer parfois un peu avec les personnes qu’il sent mal à l’aise. En compétition, parfois, il faisait la misère à Philippe. A la détente, il faisait ce qu’il voulait et quand il ne voulait pas, eh bien il s’arrêtait. Ce n’était pas de la rétivité, mais du caractère. Il fallait le laisser faire. Finalement, il n’y avait pas de relation de domination mais une relation équilibrée. Et puis au fil des années, ça s’est un peu atténué. Il a compris que les barres montaient et qu’il fallait donc s’échauffer un peu plus… »
Philippe Rozier confirme le caractère de son partenaire. « Tout ce qui l’intéressait c’était de partir au galop dans la forêt et de manger les branches des arbres, sourit-il. Les exercices dans la carrière, ce n’était pas son truc. Il m’est arrivé d’arrêter après seulement 5 minutes. J’ai compris qu’il n’avait pas besoin de trop d’entraînement. C’était une sorte de roi fainéant, un peu comme Quickly de Kreisker. Il fallait trouver un équilibre avec sa forte personnalité. »
« Sincèrement, après sa tendinite, la sélection pour les Jeux semblait très loin, reconnait Philippe. La France comptait beaucoup de couples très performants et je sentais que ça allait être compliqué. Avec Rahotep, on a repris tranquillement sur des 120, 125 au Portugal. Début mai, au Touquet, il sort avec deux fautes dans le Grand Prix mais je le sentais bien. Une semaine après, à La Baule il volait. Avec Jean-Maurice Bonneau qui était avec moi et Philippe Guerdat, on s’est dit qu’il y avait un coup à jouer. Nous avons donc enchainé sur les concours de Rome, et Saint-Tropez. A Knokke, nous terminons 2e du Grand Prix à 7 centièmes du vainqueur (Daniel Deusser). Il se baladait. Nous sommes enfin aller à Aix-la-Chapelle disputer la Coupe des Nations. »
Rahotep de Toscane, Philippe Rozier et Maud Ligouzat s’envolent finalement pour Rio. D’abord avec le statut de réserviste avant d’intégrer l’équipe suite au forfait de Simon Delestre et Hermès Ryan. L’histoire est en route.
« Au Brésil, il avait une concentration incroyable, confie Philippe. Ce n’était pourtant pas son genre. Rahotep était un cheval difficile à concentrer. Parfois, à 3 foulées de l’obstacle, tu avais l’impression qu’il n’était pas là, qu’il regardait ailleurs et tu te demandais ce qui allait se passer. A Rio, il était incroyablement réceptif. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Il s’est mis dans le même état que nous. » « L’atmosphère était très particulière, se souvient Maud. La tension était très spéciale. Les chevaux sont très sensibles à l’énergie corporelle. Chez les enfants, on appelle ça le langage tonico-émotionnel. Les Jeux créent quelque chose de différent chez nous. Même avec l’expérience de Philippe, il y a une gestion du stress différente. Le cheval comprend qu’il va falloir se surpasser. Par exemple, avant la finale individuelle, pendant la visite véto, la piste était déjà montée. Je n’avais jamais vu un parcours aussi énorme. Cela engendre forcément un langage corporel différent et le cheval le ressent. Je n’ai pas les mots pour exprimer ce que nous avons vécu. Il faut le vivre pour le comprendre. Le scénario fut fou mais en même temps, j’ai l’impression que c’était écrit et que ça ne pouvait pas être plus parfait. Le cheval était prêt, Philippe était prêt, tout le monde avait la volonté de bien faire au sein d’une équipe extraordinaire. »
A l’arrivée, une médaille d’or par équipe autour du cou et des souvenirs pour l’éternité. « Ma carrière est longue, confie Philippe. J’ai rencontré beaucoup de chevaux d’exception qui m’ont permis de participer à cinq éditions des Jeux olympiques (1984 à Los Angeles avec Jiva ; 1988 à Séoul avec Jiva - réserviste ; 1996 à Atlanta avec Rocco – réserviste ; 2000 à Sydney avec Barbarian ; 2000 à Rio avec Rahotep de Toscane). Ces chevaux ont un point commun : je les ai tous « fabriqués » de A à Z. Ce n’était pas des chevaux achetés « tout faits ». Cela donne une saveur particulière à ces résultats. C’est très symbolique de l’esprit de M. Baillet. »
Un propriétaire passionné de sport mais qui a toujours choisi de faire confiance à son cavalier et à son entourage. « La proximité avec nos chevaux existe forcément, explique-t-il. Nous avons besoin de ce sentiment. Mais en dehors de la compétition. Pendant un concours ou un championnat, Rahotep était entouré de sa groom, de son cavalier, du staff. Je n’ai jamais voulu interférer. Le propriétaire n’a pas à être là comme avec un animal de compagnie. Par contre, j’ai toujours trouvé le temps d’aller aux entraînements, chez Philippe, à Bois-le-Roi, pour le voir dans son box et avoir ce rapport « intime ». Désormais, nous allons pourvoir le chouchouter. »
Dans son pré du Haras de la Coudraie, à Irreville, dans l’Eure, Rahotep de Toscane profite désormais d’une douce retraite et peut entamer sa seconde vie d’étalon. A ses côtés, il a retrouvé son frère Jadis de Toscane mais aussi Lauterbach et tant d’autres champions. « Il ne pourra pas être mieux, se réjouit son cavalier. Le haras de M. Baillet en Normandie est magnifique. Il y a Christian bien sûr mais aussi son épouse Denyse complètement passionnée par les chevaux. Quand il est arrivé en Normandie, elle m’a envoyé un sms ‘’maintenant, il est à moi’’. » « Il a bien mérité sa retraite, insiste Maud qui ne manque pas une occasion de venir le voir pour lui apporter un peu de raisin, son péché mignon. Il va pouvoir galoper sous les yeux amoureux de ses propriétaires. Et ça, ça n’a pas de prix. »
Dernier intermède dans le programme de Rahotep, cet ultime hommage rendu par le public du Longines Paris Eiffel Jumping. « Je n’y avais pas pensé, témoigne Christian Baillet. Mais quand on me l’a proposé, j’ai tout de suite accepté. Le public aime beaucoup ces moments et quand c’est bien fait c’est toujours très émouvant. C’est un juste retour des choses pour ces chevaux qui donnent tellement envie. » Et qui nous ont fait tellement rêver.