Tahé Antoine Boblahe : Le petit Blihi

Par Gangoueus @lareus

On peut parler d'un roman testimonial ou d'un récit. L’auteur a juste masqué les identités de certaines personnes pour ne pas les gêner et peut être pour mieux s’exprimer sur son parcours. Celui d’un migrant qui a réussi son intégration en Europe et, après des temps de vaches maigres, profite de la vie et de ses passions. Tahé Antoine Boblahe dit le Petit Blihi.


Je ne sais pas qui est Petit Blihi en commençant cette lecture. Encore moins le salséro Tony Tahé quand ma jumelle Hyova la Slameuse me propose cette lecture. Un sacré parcours de vie.  Tout part du pays guéré, pour cet homme qui nous raconte son enfance, sa scolarisation tardive, sa vie dans l’arrière-pays ivoirien. Peu disposé pour les travaux champêtres alors que son père est revenu sur ses terres après avoir vécu à Abidjan à l’orée des indépendances africaines, Petit Blihi avance par l'école. Le parcours est fait d’embûches, de manipulations sur les données parfois qu’il aborde avec honnêteté dans ce livre comme sur la question de son identité par exemple et de son âge altéré. Tahé Antoine Boblahe explique les pratiques d’échange d’identité au sein d’un clan ou même au coeur d’un groupe de villages pour permettre à un élément du groupe de pouvoir aller le plus loin possible. Je fais une pause sur ce point. Ayant vécu en Côte d’Ivoire durant mes années fac dans les années 90, je me souviens combien la question de l’identité et de suspicion de falsification étaient au coeur du concept d’ivoirité que Bédié manipulait à des fins politiques. Je comprends mieux la problématique de l’état civil raconté qui est un mal plus ancien que les heurts des années troubles en Côte d'Ivoire.
Petit Blihi raconte son enfance, la vie au village, la place des masques dans ces sociétés Guéré, les transgressions à ne pas commettre. Il évoque aussi une dimension culturelle, je dirai même cultuelle, très intéressante et très influente pour lui au travers de la question de certaines pratiques occultes et de la sorcellerie. Avec cette tension chez un individu partagé entre l’amour des siens et la peur d’un lieu, d’un milieu, d’un groupe plus large en raison d’un système de croyances et d’expériences inexpliquées, restées comme un traumatisme non traité. D’une certaine manière, Petit Blihi part pour ne pas revenir ou quand il revient, c’est « accompagné » d'un garde d'esprit. Cela paraîtra drôle pour certains, mais la réalité qu’il décrit touche beaucoup d’ «  Africains » , puisque des histoires comme la sienne, on peut en raconter des tonnes au Congo, par exemple. Une relation peu apaisée avec certains héritages ou des choses non expliquées peuvent conduire à des formes d'exil.
C’est un parcours fait d’endurance et de résilience. Il fait partie de ces personnes qui n’ont jamais rien lâché. Sur le plan des études, c’est un modèle de persévérance. Infirmier de son état, il travaille dans plusieurs régions de la Côte d’Ivoire avant de vouloir émigrer. L’Allemagne puis la France seront les destinations de son mouvement vers l'ailleurs, loin de ses bases. Sur le parcours du migrant, nous sommes dans les années 90, il arrive avec un visa touriste en Allemagne et y travaille dur, sous des noms d'emprunt pendant plus de six ans avant de régulariser sa situation en France. Surtout, à force de travail et de formation, il finit par faire valoir ses acquis obtenus en Côte d’Ivoire et par son parcours migratoire. Il nous donne de saisir la situation du sans papier. La peur, l’inquiétude, la hargne pour surmonter l’absence de situation administrative, les variations de cette condition en fonction du fait d’être en Allemagne ou en France.
Ce texte est correctement écrit. Il comprend peu de coquilles. Il n’est pas une apologie de l’immigration clandestine. Mais c’est le parcours d’un homme qui s’est cherché. Les traumatismes que certains fuient ne sont pas forcément ceux qui satisferont l’OFPRA, mais quand on observe la finalité de ce parcours, on se dit, pourquoi tant d’entraves pour un homme qui ne demande qu'à s'épanouir ? Dansons la salsa et associons-nous à la joie de vivre de l’infirmier artiste, Tony Tahé, anciennement le Petit Blihi.
Le petit Blihi, Tahé Antoine BoblahéEditions Les Fantômes, première parution 2020