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En 2007, lorsque le site Internet www.medici.tv lançait une première salve de concerts transmis en direct sur le Web depuis le Festival de Verbier, station alpine du Valais, en Suisse, l'affaire avait suscité de l'intérêt mais sans plus. Un an plus tard, les progrès du streaming (diffusion sans téléchargement) et de la vidéo à la demande (VOD) annoncent une petite révolution : proposer des concerts dans une qualité visuelle proche de celle d'un DVD et dans un son excellent : il faut pour cela connecter des enceintes ou un casque à son ordinateur.
Pour la deuxième année, les équipes de medici.tv (webmaîtresse, rédacteurs, journalistes, cadreurs, réalisateurs, conseillers musicaux, producteurs, etc.) ont envahi le festival montagnard, qui allie habilement la présence de stars (les pianistes Martha Argerich et Hélène Grimaud, le chef d'orchestre Valery Gergiev), de jeunes musiciens prometteurs et d'un orchestre école.
Dans un gros camion, neuf personnes travaillent à la production : le producteur, un responsable du relais-son, un réalisateur, secondé par une conseillère musicale qui annonce par des "tops" ce qu'il faut filmer et quand, deux cadreurs qui manipulent à distance jusqu'à six caméras automatisées en très haute définition. Trois autres techniciens assurent le relais vers Internet et effectuent montages et corrections après le direct afin de livrer sur la Toile un produit fini.
C'est donc bien un film, avec mouvements, gros plans, vues d'ensemble, et même à-côtés du spectacle qui est proposé à l'internaute, et pas simplement une captation d'un concert. Et medici.tv propose, outre des directs, la consultation gratuite de ces transmissions pendant deux mois. Ensuite, il faut s'abonner : contre 5, 25 ou 50 euros (pour 24 heures, un ou six mois), l'accès à des centaines d'heures de programmes est illimité.
Entre les deux éditions du Festival de Verbier, medici.tv s'était illustrée par des directs prestigieux : un concert de l'Orchestre philharmonique de New York lors de son voyage historique en Corée du Nord, en février, et, en juin, des soirées des Festivals d'Aspen, aux Etats-Unis, et d'Aix-en-Provence (Le Monde du 30 juin).
Ce sont parfois des concerts moins huppés : " 21 540 internautes ont vu en direct ou en différé le concert unique du pianiste russe Boris Berezovsky à Verbier, le 19 juillet, dans une salle qui n'accueillait que 400 personnes. Formidable, non ?", explique Hervé Boissière, directeur de medici.tv. A cela il faut ajouter les spectateurs du site Internet d'Arte, www.arte.fr, ou de la télévision suisse qui diffusent aussi certains programmes coproduits avec Medici.tv : "Nous sommes sur la voie d'une nouvelle économie de la diffusion de films musicaux, assure Pierre-Olivier Bardet, le fondateur et directeur de Idéale Audience, filiale de Medici. Les financements sont encore difficiles, et le concours des chaînes de télévision, celui de notre partenaire Arte en particulier, est essentiel. Cependant, nous avons diffusé les concerts d'Aspen sans l'aide d'une chaîne."
VOIR ARGERICH FUMER
Le risque n'est-il pas que ces sites deviennent les fossoyeurs du DVD et de la musique classique à la télévision ? "Nous n'en sommes pas là, répond M. Bardet. Parlons plutôt de complémentarité. Le DVD va devoir se spécialiser, apporter une plus-value éditoriale. Pour la télévision, le risque est qu'elle fasse du "grand public" pour un petit territoire, alors qu'Internet permet de hausser l'exigence au profit de plus grands territoires."
Medici.tv est une filiale de la société américaine Medici Arts, qui possède un vaste catalogue de DVD, disques et programmes d'archives. Ce soutien, et celui de nombreux autres concours, permet de financer de gros investissements et de rétribuer les artistes : "Pour la diffusion initiale, le cachet réglé par le festival englobe les droits de diffusion gratuite, précise M. Boissière. Si l'artiste accepte de nous laisser commercialiser le document, nous établissons alors un nouveau contrat de royalties."
Les artistes aiment-ils ce nouveau média ? "La plupart sont très enthousiastes et apprécient la discrétion des caméras, répond Hervé Boissière. D'autres ne veulent pas de diffusion en direct mais donnent leur accord après visionnage, comme l'a fait l'an passé le pianiste Evgueni Kissin. Parfois, nous aménageons un léger différé, afin d'éviter de mettre sous pression des artistes plus fragiles."
L'un des réalisateurs de ces programmes, Sébastien Glas, précise : "Certains sont très à l'aise. Ainsi, Boris Berezovsky jouait vraiment avec l'une des caméras, ce qui a mis en joie l'équipe..." On a aussi vu Martha Argerich se laisser filmer en train de griller une cigarette au milieu du public, à l'entracte, avant de remonter sur la scène, le 22 juillet...
A défaut de la revoir fumer, on peut la réentendre jouer, ainsi que tant d'autres, sur la Toile. Ce sont 32 concerts qui auront été diffusés, en direct ou en différé, depuis Verbier, du 18 juillet au 3 août.
Renaud Machart
lemonde.fr