Le corps est Mantra

Publié le 23 juin 2021 par Anargala

 La pratique principale du Tantra est l'initiation (dîkshâ). Elle n'est pas seulement un commencement ou une autorisation de pratiquer ; elle détruit les liens et unit l'âme au divin, yoga.

Contrairement à d'autre tradition, le Shaiva Dharma (le Tantra) ne prône pas la disparition de l'individu. L'âme délivrée des liens et de la souffrance n'est pas une âme disparue ou fondue dans l'absolu, mais une âme pleinement accomplie, douée de toutes ses puissances : connaissance et action. L'action n'est pas une illusion destinée à disparaître, mais un pouvoir divin. 

Autrement dit, la délivrance spirituelle (moksha) est à la fois négative et positive. Il n'est comme question, comme dans le Vaisheshika, de tout perdre, jusqu'à la conscience, afin de perdre toute souffrance. Il ne s'agit pas non plus de perdre tout pouvoir d'agir, comme dans le Sâmkhya et le Vedânta. La délivrance est omniscience et omnipotence, au moins dans le sens d'une participation à l'activité divine. Mais l'action, l'activité, l'acte, sont au cœur de la vie intérieure selon le Tantra.

Et l'instrument de cette vie nouvelle est le Mantra.

Shiva explique :

"Tous les niveaux de conscience et les éléments du réel

reposent dans la lettre 'a', ô toi qui es pleine de gloire !

Elle unit et brûle : elle est le Seigneur suprême.

Toutes les lettres sont dans la lettre 'a',

et la lettre 'a' est présente en chacune.

C'est ainsi que toutes les lettres

sont tenues pour être capables de brûler les liens." 

Nishvâsatattvasamhitâ, Nayasûtra, I, 3-4

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Les Mantras sont faits de lettres, ou de phonèmes (a-kshara, "ce qui ne meurt pas"). Or, aucun phonème ne peut exister sans 'a', la première lettre dans l'alphabet sanskrit, comme dans notre alphabet latin. Tous les son dérivent de 'a', le son primordial, le moins différencié, le plus proche du cœur, de la poitrine d'où s'élève le souffle, support des phonèmes. De même que la Conscience est d'abord indifférenciée, puis semble se différencier peu à peu selon les objets qu'elle manifeste, de même le souffle-parole est d'abord indifférencié, puis il se différencie en venant "frapper" les différents points d'articulation dans la poitrine, la gorge, la bouche...

Shiva explique ensuite que l'âme (jîva), l'individu, n'est pas détruit quand ses liens sont détruits par le Mantra. Le poisson, par exemple, est capturé dans le filet, mais l'eau reste libre. L'orfèvre détruit les impureté de l'or, mais pas l'or. Le choses se décomposent, mais pas l'espace (Id. I, 7-10).

La lettre 'a' est l'Impérissable, toutes les lettres de l'alphabet sont en elle. Elle est donc le Mantra primordial, l'être (tattva) de tous les Mantras et de toutes choses. L'adepte est appelé à contempler que tous les mots existent en 'a', de même que tous les corps physiques sont dans l'espace et que tout est dans la Conscience. 

Et aussi, tous les états de conscience sont dans le corps, de même que les différents phonèmes sont différentes manières pour le corps de faire vibrer le son primordial 'a'. L'adepte prend ainsi la 'posture de la lettre a', posture 'incarnation du sans-forme', simplement debout, le corps droit, les bras le long des jambes, comme dans la célèbre posture samasthiti ou wuji. 

Ensuite, le yogi réalise une série de postures qui incarnent les lettres de l'alphabet, le Corps de tous les Mantras. Le corps est présent dans tous les Mantras, tout Mantra est une vibration du corps, et le Mantra est présent dans tous les corps, il est la chair elle-même. L'aspect visuel des Mantra est important, leur forme incarnée est cruciale. Le corps est tous les sons. La tête incarne la résonance nasale, anusvara, que l'on retrouve par exemple à la fin de 'om'. Le visarga, écrit avec deux points et symbole très important, s'incarne dans le deux testicules... Et ainsi de suite. Le corps est vibration et Mantra, car le Mantra est vibration au corps de conscience. Le Mantra, dans ce cas, ne désigne pas une formule ou même un poème (comme dans le cas de la Gâyatrî), mais un "phonème-germe" (bîja), une syllabe unique avec laquelle on va jouer à l'infini, un peu comme avec un bol tibétain :

"Qui trouve la forme des lettres

dans son corps, comme la lettre A,

est délivré du cycle des renaissance,

(tout en restant) en ce monde." (Id. I, 75-76)