Alors que ce principe doit s’appliquer pour tout citoyen en conflit avec la loi, certaines personnes interrogées dans le cadre d’enquêtes préliminaires sont exposées dans les médias comme étant les coupables d’actes de terrorisme, de crimes, d’assassinats ou de vols aggravés par l’Etat.
Ce 14 juin 2021, les journalistes sont invités à une cérémonie prévue à la légion de gendarmerie du Centre à Yaoundé. Les responsables de cette unité ont interpellé quatre personnes à la suite du cambriolage survenu quelques jours plus tôt à la direction générale des Impôts à Yaoundé. L’identité de ces jeunes gens ainsi que leurs visages sont dévoilés devant les objectifs des caméras. Ces citoyens qui attendent leur déferrement devant le procureur de la République sont présentés comme étant les auteurs du cambriolage, survenu dans la nuit du 7 au 8 juin 2021 dans les locaux de la direction générale des Impôts (Dgi).
Ces présentations de présumés coupables par les forces de sécurité sont devenues courantes avec la crise sécuritaire qui sévit notamment dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis octobre 2016. Les revendications corporatistes des enseignants et des avocats y ont cédé place à une violence et à une barbarie des groupes armés. Les deux régions font régulièrement l’objet de coups de feu tant du côté des militaires que de celui des séparatistes armés. Des militaires, des fonctionnaires de l’administration, des femmes, des jeunes et d’autres innocents sont tués dans des conditions inhumaines.
Ainsi, le 29 septembre 2019, Florence Ayafor, gardienne de prison en service à Bamenda a été froidement assassinée par des hommes armés. La vidéo de cet acte macabre a fait le tour du monde, provoquant colère et indignation des associations de défense des droits de l’Homme et des organisations internationales qui demandent au gouvernement camerounais de faire la lumière sur cette affaire. En réponse, lors d’une émission télévisée de la chaîne de télévision Equinoxe de mars 2020, le chef de la Division du ministère de la Défense donne l’identité de deux individus qu’il présente comme les auteurs de l’assassinat de Florence Ayafor. Selon le porte-parole du ministère de la Défense, Niba Innocent et Edmond Ngang ont été mis aux arrêts par les forces de défense et de sécurité dans le cadre de l’assassinat de la gardienne de prison.
Accusés d’« intelligence » avec les séparatistes
Dans la même émission diffusée à Equinoxe Tv, le journaliste Kingsley Ndjocka, interpellé en août 2020 et mis à la disposition du tribunal militaire de Yaoundé pour information judiciaire avait été présenté comme étant « un logiciel » pour les séparatistes dans le Nord-Ouest et Sud-Ouest. Le porte-parole du ministère de la Défense justifiait ses déclarations sur la base des objets récupérés entre les mains du journaliste pendant son interpellation. Le 5 juin 2020, le ministère de la Défense confirme le décès en détention du journaliste Samuel Wazizi. Cette information a été donnée alors que plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme avaient déjà annoncé la mort du journaliste. Ce jeune homme de 33 ans était accusé « d’intelligence et de complicité avec les terroristes ».
Cette attitude affichée par certains agents de l’Etat chargés de mener les enquêtes préliminaires va à l’encontre des dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui précisent en son article 11 que : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. »
La bataille des Ong
Les associations de défense des droits de l’Homme dénoncent ce traitement infligé aux personnes soupçonnées de faits de terrorisme alors que leur culpabilité n’a pas encore été établie. « Lorsque nous dénonçons cette manière de faire, le gouvernement estime que nous soutenons les terroristes. Ce n’est pas le même traitement qui est réservé aux militaires indexés dans les rapports des Ong. Ces militaires sont toujours présentés comme les professionnels qui ont agi selon les règles », explique Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de Nouveaux Droits de l’homme.
« La présomption d’innocence est un principe cardinal. Ce principe est violé au Cameroun notamment dans le cas des personnes accusées de terrorisme. Dans notre plaidoyer pour la révision de la loi antiterroriste, nous avons démontré que cette loi inversait la règle en établissant de fait le principe de culpabilité ce qui est tout à fait terrible étant donné qu’on assiste à des procès de parodie. Le procès équitable n’a pas de sens dans le contexte camerounais, raison pour laquelle il est nécessaire de maintenir la veille sur ces questions de protection des droits de l’homme », ajoute Cyrille Rolande Bechon.
Se référant au code de procédure pénal camerounais, l’avocate, Me Solange Tchamba, rappelle que la violation de la présomption d’innocence va contre les dispositions de l’article 8 qui dispose que : « Toute personne suspectée d’avoir commis une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie ou cours d’un procès où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui seront assurées ». L’avocate précise que cette pratique porte gravement atteinte au respect des droits des personnes poursuivies devant la justice. « Les personnes présentées pendant l’enquête préliminaire comme étant les coupables lors d’une enquête préliminaire peuvent saisir la justice pour demander réparation du préjudice lorsque ces personnes sont finalement déclarées non coupables pendant la procédure devant la justice », explique Me Solange Tchamba.
Une source au secrétariat d’Etat à la défense affirme que cette pratique consistant à présenter les individus devant les médias se justifie sur la
base des aveux obtenus de certains suspects lors de l’enquête préliminaire.