Critique du Bourgeois gentilhomme, de Molière, mis en scène par Valérie Lesort et Christian Hecq, par Complice de MDT
Avec V. Vella, S. Bergé, F. Gillard, L. Stocker, G. Gallienne, Ch. Hecq, N. Lormeau, C Hervieu-Léger, G. Kamilindi, Y Gasiorowski, J. Chevalier, G. Martineau, comédiens de l’académie de la Comédie-Française et musiciens. Vu le 18 juin 2021.
Ne boudons pas notre plaisir : on passe avec ce Molière une bonne soirée. La première s’est achevée sur une standing ovation, et les rires ont ponctué la représentation. Néanmoins, ce Bourgeois ne m’a pas ravie autant que celui monté par Catherine Hiegel avec François Morel naguère. Cela tient à un parti esthétique très net, qui modifie un peu les équilibres internes de la pièce ; elle est bonne fille, et s’en arrange, et le rire peut aller son train, mais moins constamment que ce pourrait être le cas.
Les rires viennent immanquablement de Christian Hecq, de sa science du rythme et de la mimique. En grand acteur burlesque, il met de la profondeur dans la bêtise du personnage. Son jeu parvient à concilier outrance, stylisation et humanité : les mimiques traduisent toujours un sentiment, vanité comblée, désir, frustration, fierté, revanche. Il est même pitoyable à la fin, donnant à M. Jourdain plusieurs couleurs.
Mais le décor, lui, n’en a pas : on est transporté dans une sorte de forteresse (image de l’univers mental du personnage ?) du noir le plus profond, au moins jusqu’au repas et à la turquerie. Et autour de Ch. Hecq rutilant dans ses costumes farfelus, les autres personnages, sauf Dorante et Dorimène, sont en noir. Livrée noire des valets, habits de quaker pour Covielle (Laurent Stocker, sous-employé), Nicole, Lucile (la toute nouvelle Géraldine Martineau, étrangement vêtue et coiffée, avec des coques style princesse Leia, mais bleues…), et même son amoureux Cléonte. Mme Jourdain, l’impériale Sylvia Bergé, est un mixte de reine de Blanche-Neige et de famille Adams. Itou pour les maîtres à danser, de musique, de philosophie (génial Guillaume Gallienne), etc. : tous en noir, comme le décor.
Pour le décor, Ch. Hecq s’en explique dans la bible : il faut que, pour les effets qui ajoutent de la féérie au spectacle, on ne voie pas les manipulateurs de marionnettes. Mais il y a peu de manipulations de cet ordre finalement, apportant à deux reprises une note de poésie qui n’est pas filée. Pourquoi appliquer aussi le noir général aux costumes ? Cela ne permet pas aux deux couples parallèles des valets et des jeunes maîtres d’exister, de se détacher du décor. Ils devraient apporter une bouffée d’air frais dans la monomanie étouffante du Bourgeois mais ils sont intégrés dans cette imagerie gothique, et leur scène de malentendu amoureux, censément comique, si drôle dans la mise en scène de Hiegel, est ici bien triste et longuette.
La stylisation absolue et le goût du gag propres au couple Lesort/Hecq, leurs références propres, entrent parfois en contradiction avec le texte même. Ils jouent beaucoup des contrastes de taille et d’une imagerie décalée : mais si Mme Jourdain fait deux fois la taille de son mari et a des airs de vraie domina, comment peut-il régner en maître et dilapider l’argent du ménage ? De même, le choix de costumes quasi de science-fiction pour M. Jourdain a conduit à couper le texte de Molière, dans la scène du maître-tailleur. L’imaginaire de Valérie Lesort et de Christian Hecq s’impose, la pièce tend à devenir une matière à propositions visuelles.
Bon, pourquoi pas ? Le Bourgeois gentilhomme n’étant pas la pièce la plus ambitieuse ni la mieux construite de Molière, et vu le plaisir qu’on a eu à retrouver Richelieu et nos bien-aimés comédiens, on ne va pas faire son puriste plus longtemps ! Allez-y ! D’autant que le spectacle a dû évoluer, depuis la première.
Hecq a taillé la pièce à sa (dé)mesure.