Cameroun – Apprentissage : Enquête sur l’école coranique

Publié le 22 juin 2021 par Tonton @supprimez

Ils sont plus d’une centaine d’enfants âgés entre 4 et 16 ans à l’école coranique du lamidat de Ngaoundéré. Objectif, apprendre la lecture du coran et les principes de la religion musulmane.

Il est 14 heures. Par petits groupes, des garçons et des fillettes débarquent des différents coins du quartier du Lamidat. Chacun prend place sur les deux côtés des nattes séparés par les chaussures. L’un des côtés est réservé pour les filles et l’autre côté pour les garçons. Ici, c’est l’école coranique de Modibo Housseini située à moins de 100 mètres du lamidat de Ngaoundéré et de la grande mosquée de la ville. C’est aussi la plus grande école coranique de la ville. Pas moins de 300 enfants y apprennent le coran. Ils viennent des quartiers environnants du lamidat et d’autres quartiers de la ville. Chacun tient entre ses bras son ardoise (Aloua) pour les moins jeunes et le coran pour les adolescents ayant déjà terminé la lecture et l’apprentissage du coran. Les fillettes pour la plupart portent le voile. A haute voix chacun des apprenants lit les versions coraniques afin d’être entendu par le malloum (maitre coranique) ou l’un de ses assistants qui se faufilent entre les apprenants avec une matraque prête à punir les désordonnés ou ceux qui ne récitent pas à haute voix. Les enfants heureux crient encore plus à l’approche du surveillant ou à chaque geste de Modibo Housseini. « Je n’entends personne de ce côté » lance-t-il. Puis s’ensuivent des cris. Entre les deux groupes, le malloum fait le tour chaque 10 ou 15 minutes pour se rassurer que chacun est à la page. « Malloum, je n’arrive pas à bien comprendre le sens de ce qui est écrit là », lance Ibrahima, un jeune apprenant du coran. Il est immédiatement approché par son maitre qui lui explique. La lecture reprend aussitôt.

Entre 13 heures et 17 heures de l’après-midi, l’école coranique Modibo Housseini est prise d’assaut par les apprenants. « Aujourd’hui, nous dénombrons 294 enfants. Il y a une baisse par rapport au mois passé. Peut-être des parents ont déménagé ou changé de ville. L’effectif varie entre 250 et 400 apprenants. Les heures d’apprentissage vont de 5heures 45 à 9 heures du matin et 13 heures à 17 heures de l’après-midi et chaque jour de lundi à dimanche », explique le responsable de l’école coranique. Dans cette école, tout est gratuit. Les ardoises et le coran sont offerts sur place par le formateur. L’objectif est d’apprendre à l’enfant la lecture du coran, comment faire sa prière. Bref la formation d’un musulman accompli et un bon adorateur d’Allah. Sur les allouas (ardoises) sont écrits différents chapitres et versets du saint coran où les apprenants les mémorisent.

Chaque jour et selon l’âge et l’intelligence l’apprenant peut passer d’un chapitre à un autre ou d’un verset à un autre. Puis l’apprentissage de la formation des mots. « Pour terminer un coran il faut peut-être 5 ou 6 ans. Si l’enfant arrive ici à 5 ans entre 11 et 12 ans il aura déjà terminé la lecture de son coran. Cela peut aller au-delà. Je vous donne juste la moyenne pour celui qui est assidu. Il y a aussi la phase de mémorisation du coran. Elle peut prendre 3 ans. C’est toute une formation », explique Modibo Housseini. Les plus âgés ou ceux en voie d’achever lisent sur le coran. « Je suis déjà presqu’à la fin. Je récite sur le coran et le marabout m’explique ce que je ne comprends pas. Mon objectif est de bien mémoriser le coran avant la rentrée scolaire prochaine », confie toute joyeuse Nafissatou, une apprenante de l’école coranique du lamidat de Ngaoundéré.
Pour Modibo Housseini, c’est un travail bénévole. Rare sont les marabouts qui disposent d’un salaire. « Ceux qui font l’apprentissage dans les maisons privées sont salariés. Ici, nous faisons le bénévolat. Chaque mois de manière volontaire les apprenants viennent avec 100 FCFA chacun. Cela nous permet d’acheter du détergent, de changer les nattes. Il y a des âmes de bonne volonté qui nous aident aussi. Ce travail est bénévole », insiste-t-il.

A côté de l’apprentissage du coran, les apprenants offrent des bénédictions à qui veut. « Nous faisons la Doha pour tout le monde. Chaque jour nous prions pour le lamido. Nous demandons à Allah de lui accorder longue vie », confie Souaibou, un autre apprenant. Les vendredi et Dimanche des demandeurs de doha affluent dans cette école coranique. Rencontrée sur place, une dame et ses enfants a confié être venue chercher de la bénédiction et de la Doha. « Dieu aime les enfants. Dieu écoute les enfants. Je suis venue pour que ces enfants me font la Doha. Avec leur soutien, j’ai la conviction que le tout puissant viendra à mon secours. Ma santé est chancelante », confie-t-elle. Comme cette dame, ils sont de nombreux qui sollicitent les prières auprès des apprenants d’école coranique. Les demandes fusent. « Je suis catholique, chaque vendredi je viens ici pour le sadaka et demander la prière aux enfants. Notre seigneur jésus était toujours en compagnie des enfants. Ils sont plus écoutés que nous les adultes qui sont des pécheurs permanents », ajoute Joseph Ziebe, un chrétien catholique. La demande de prière Doha est gratuite. Le demandeur vient juste avec du sucre à distribuer aux enfants ou prépare du repas pour les enfants qui dégustent sur place le met concocté par le demandeur de la prière. Parmi les inscrits de cette école d’apprentissage du coran, le jeune Adam, 19 ans est encadré par un garçon de 8 ans. « C’est lui mon encadreur et je l’écoute comme s’il était mon maitre. Etant petit j’ai pas pu bénéficier de l’école coranique. C’est maintenant que je me suis mis à l’école. Ça fait déjà 11 mois. Tout se passe bien. La bonne ambiance avec les autres apprenant », explique cet élève de classe de 1ere dans un lycée de la ville. Et d’ajouter : « La seule différence est que je suis assis à côté du marabout. Il ne me gronde pas comme il le fait avec les moins âgés » conclu-t-il.

A un peu moins de 500 mètres de là, une autre école coranique regroupe une quarantaine d’enfants au quartier Haoussa. Ici, des jeunes adolescents en conflit avec leurs parents sont envoyés pour l’apprentissage du coran. Ils côtoient les plus jeunes mais sont là pour un objectif précis. Il s’agit d’un redressement par la lecture du coran. « Les parents pensent qu’avec la lecture du saint coran ou les prières nous pouvons récupérer un enfant délinquant. C’est possible pour ceux qui viennent avec la volonté de changer. D’autres qui se sont donnés à la drogue et l’alcool cela devient difficile. Ils rechutent facilement une fois sorti d’ici », explique Mala Nana, un encadreur d’une école coranique. Il y a quelques années ladite école coranique avait été fermée par les autorités administratives parce que décrite comme un centre d’endoctrinement et de torture. Près d’une centaine de jeunes âgés entre 14 et 26 ans avait été retrouvés enchainés dans cette maison de fortune. Certains venant des régions de l’Ouest, du Centre, de l’Extrême-Nord, du Nord et d’autres localités de la région de l’Adamaoua. Le contexte de la lutte contre la secte Boko-Haram avait été l’occasion de la fermeture de plusieurs écoles coraniques dans les régions septentrionales du pays. Aujourd’hui, certains parents nantis optent pour l’apprentissage à domicile. « J’ai recruté un marabout pour mes enfants. Il vient tous les week-end. La religion le permet aussi. J’ai appris dans les écoles coraniques du quartier et mon choix n’a aucune arrière-pensée », affirme Alhadji Souleymanou, un commerçant de la ville. Comme lui, ils sont nombreux les parents nantis qui ont choisi l’école coranique à domicile.

Dans la seule ville de Ngaoundéré, une dizaine d’école coranique fonctionne avec l’autorisation du Lamidat de Ngaoundéré. Les heures d’apprentissage varient selon les écoles coraniques et la renommée des formateurs de cette école.

Adolarc Lamissia