Par Jacques DEHAIRE
Le premier sommet entre l'Union européenne et l'Afrique du Sud, qui se tient aujourd'hui à Bordeaux, est aussi le premier entre les Vingt-sept et un pays tiers organisé par la présidence française de l'Union. Il est, pour les présidents Nicolas Sarkozy et Thabo Mbeki, ainsi que pour celui de la Commission européenne, José Manuel Barroso, l'occasion de faire le bilan du partenariat stratégique lancé en mai 2007. Mais l'événement appelle des réflexions plus larges. Sur la place que l'Europe peut et doit jouer dans la gouvernance d'un mode multipolaire. Sur la nature m^me que les sommets de ce type devraient et peuvent avoir.
LE CONTEXTE : Principale puissance économique africaine, l'Afrique du Sud est vue aujourd'hui par l'Élysée comme le «porte-parole naturel du continent africain», d'autant plus qu'il est actuellement membre, pour deux ans, du Conseil de sécurité de l'ONU.
Une ombre au tableau dans la «nouvelle étape» que les deux parties veulent ouvrir, la crise politique au Zimbabwe. En tant que médiateur mandaté par l'Afrique australe, le président Thabo Mbeki a été très critiqué pour n'avoir pas su enrayer la dérive autoritaire du régime de Robert Mugabe.
Après plusieurs mois de violences, le président zimbabwéen, réélu lors d'un scrutin contesté en juin, vient d'accepter d'ouvrir des négociations avec le chef de l'opposition, Morgan Tsvangirai. Les sanctions que Bruxelles vient de renforcer contre le régime de Harare ne sont sans doute pas étrangères à la nouvelle souplesse manifestée par Mugabe. La poignée de main qu'il a échangée lundi avec Tsvangirai, qu'il n'avait pas rencontré en public depuis dix ans, a été saluée comme un pas significatif.
Jeudi, selon un journal sud-africain, les deux parties étaient proches d'un accord sur la formation d'un gouvernement d'union nationale. Nicolas Sarkozy entend «faire le point» avec Thabo Mbeki à ce sujet.
Cette affaire mie à part, les discussions sur les questions de sécurité s'étendront évidemment à la situation entre le Tchad et le Soudan. Et Paris entend aussi évoquer avec ce «partenaire majeur» de l'UE les questions globales (changement climatique, migrations et sécurité alimentaire), ainsi que les questions économiques (accords de partenariat économique, libéralisation du commerce mondial et rôle du secteur privé dans le développement).
LES PERSPECTIVES : Cette réunion de Bordeaux va se terminer par des communiqués et des prises de positions riches d'espérances. C'est bien nécessaire en une saison où l'on voit bien les défauts de la « gouvernance » mondiale. Ou plutôt de la non maîtrise du désordre international.
1) Les négociation au sein de l'OMC sont au bord d'un échec qui, s'il se confirme, va entraîner bien des remises en causes et des ...désagréments. L'hypercapitalime débridé est une plaie qui accroît les inégalités, les injustices et les périls (pénuries d'eau et d'énergie, crise alimentaire, primat des rapports de forces, lois de la geo-finance spéculative, et de l'économie casino...) Mais un libre-échange intelligent en panne peut conduire à pire : réflexes protectionnistes, décroissance, chocs des intérêts antagonistes, montées des nationalismes (petits et grands)...
2) L'Onu qui n'est pas le « machin » jadis décrié doit trouver une nouvelle légitimité par des réformes structurelles. En cela, la présence du secrétaire général des nations dites Unies aux cérémonies du 14 juillet était une excellente initiative.
3) La dernière réunion du G8 (à laquelle le dirigeant sud-africain a été invité comme d'autres pour une photo et une réception plus ridicules que porteuses de progrès) a confirmé que ces sommets ont perdu l'utilité qu'ils avaient depuis leur création (sur initiative de Giscard d'Estaing). L'heure est venue, pour reprendre un constat de jacques Attali de combler le retard pris par la communauté internationales es vingt dernières années par manque de vision et de courage des « maîtres du monde », Occidentaux en têtes/
Je reprends ici des extraits d'une chronique publiée sur le blog de Jacques Attali et dans l'Express. « Il y a exactement vingt ans, François Mitterrand proposa à ses partenaires du G 7 d'élargir leur réunion aux représentants des pays du Sud ; malgré l'opposition des autres membres du club, il invita à Paris, au sommet de l'Arche de juillet 1989, les dirigeants de plus de 20 pays du Sud (seule la Chine, juste après Tienanmen, n'avait pas été invitée). Ces pays désignèrent leurs sherpas pour des réunions préparatoires et vinrent à Paris pour le sommet ; mais les dirigeants des autres pays du Nord firent tout pour éviter de rencontrer leurs homologues du Sud et refusèrent de reconduire l'expérience. Aujourd'hui, c'est encore plus d'actualité, car le G 8 a perdu tout son sens. »
Effectivement, il ne se réunit pour rien ou seulement pour faire des promesses qu'il sait ne pas pouvoir tenir... bien qu'elles ne dépendent que de lui ! Un exemple : En 2005, lors du sommet de Gleneagles, en Ecosse, de doubler son aide à l'Afrique, pour la porter à 50 milliards de dollars par an d'ici à 2010, un objectif aujourd'hui hors de portée.
Il est surtout « incapable de trouver des réponses aux sujets qui le concernent au premier chef, telles la crise financière ou les économies d'énergie » Et les Huit ne peuvent plus discuter seuls des grands sujets du monde ... « Parler du pétrole sans les pays producteurs, de la crise alimentaire sans l'Afrique, des biocarburants sans le Brésil, des émissions de gaz à effet de serre sans l'Inde et la Chine est grotesque ».
Nous rejoignons Attali dans ses conclusions Mettre en place une vraie gouvernance mondiale, aujourd'hui si nécessaire, exigerait de prendre trois décisions simultanées :
1° Elargir le G 8 à la Chine, à l'Inde, au Nigeria, à l'Egypte, au Brésil, à un représentant de l'Opep et à deux représentants des pays les plus pauvres. (Personnellement je crois que l'Afrique du Sud s'y impose naturellement...)
2° Fusionner le nouveau G 16 et le Conseil de sécurité en un « Conseil de gouvernance », regroupant puissance économique et légitimité politique.
3° Placer le Fonds monétaire, la Banque mondiale et les autres institutions financières internationales sous l'autorité de ce Conseil de gouvernance, lui donnant les moyens d'agir.
Tout cela peut être décidé en moins d'une heure.
C'est sur ce type de scénario, évidemment amendable, modifiable, perfectible, que l'Union européenne devrait travailler dans ses sommets avec les grandes parties du monde, comme celui d'aujourd'hui avec l'Afrique du sud. Nul besoin de nouveau traité pour que l'Union s'affirme ainsi plus qu'elle ne le fait comme le pivot d'une amélioration de la « gouvernance mondial ». Elle seule peut jouer ce rôle...si elle sait afficher sur ces points des positions communes. Les grands « partenariats » ainsi tissés par l'Union européenne avec d'autres continents et d'autres « grandes puissances » (l'Afrique du Sud en est une) doivent d'abord permettre de dégager des horizons d'espérance, de réfléchir au moyen et au long terme, de prévoir, d'anticiper. Les sommets de ce type doivent d'abord être des cellules de prospective. Si l'on veut que l'Histoire n'aille pas trop vite,il faut ré-apprendre à anticiper. Au sommet.
Jacques DEHAIRE
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