Il y a tant de choses que la pandémie de la Covid a fait évoluer. Tellement de storytelling à décrypter... Le sens des mots est une de ces évolutions, une de ces histoires. Il en est ainsi du mot "préoccupant".
J'aurais pu choisir d'autres mots, car il n'est pas le seul à avoir pris une signification nouvelle, mais je le trouve exemplaire, et très actuel en plus. Oui, on le voit fleurir un peu partout dans cet "entretemps", entre chape de plomb de la pandémie et sortie timide sur fond de vaccination accélérée.
Oui, j'aurais pu parler, aussi, de la géométrie variable du sens des mots "court" et "long". Par exemple : lorsqu'il était question de durcir le régime de confinement, on nous parlait d'un confinement strict mais court : un mois, deux mois, voire plus. Dans le même temps, on nous définissait le concept de "Covid long" : les personnes qui présentaient toujours des symptômes... un à deux mois après avoir été déclarées guéries. Mais bon, passons...
Concentrons-nous sur "préoccupant", il y a déjà bien assez à en dire.
Voici quelques illustrations, titres des médias sur Google Actualités le 13/06/2021 :Un storytelling démesuré
On le voit, tout est dans la nuance, pour ainsi dire : on va du "préoccupant" vers le "très préoccupant" puis le "très très préoccupant".
Quel est le sens de cet étirement ? Et est-ce que cela a un sens ? Entre préoccupant et très très préoccupant, on peut essayer d'imaginer une différence. Mais entre très et très très ? Et si on ajoutait très très très, qu'est-ce que cela voudrait dire, hein ?
Préoccupant, si on regarde dans le dictionnaire, c'est simple : cela signifie "qui préoccupe, inquiète".
Mais là ? Qu'en est-il vraiment ? Comme pour la dilution (ou la dilatation, tout dépend de l'image que l'on préfère) des mots "court" et "long", c'est l'histoire d'une perte de toute mesure.
En fait, c'est la même chose qui se passe quand on crie au loup à tout bout de champ. Au bout du compte on n'y croit plus. A force de brandir sans cesse des niveaux de préoccupation, la préoccupation cesse d'être. Du moins sa perception : sa réalité, ça, justement, on ne sait plus trop et c'est bien tout le problème.
Quand en plus, on voit ceci :
Le titre est bien positif et juste en dessous : "très rare", et encore une fois "préoccupant". Passons sur le sens du niveau de rareté indiqué pour le variant dont on nous parle... Mais la situation, tout en allant dans le bon sens, vers du mieux +++, est tout de même préoccupante. Intéressants aussi : les guillemets qui entourent le mot préoccupant. Comme si le journaliste lui-même avait du mal à donner du sens au mot.
Ce n'est pas le variant qui est préoccupant :
Il semble bien que l'histoire que l'on a l'air de nous raconter ne soit pas celle qui se déroule réellement.
Ce n'est pas le variant qui préoccupe. Il y a un déplacement du sujet de l'histoire. Il a bon dos, le variant. Non, ce qui inquiète, préoccupe vraiment, c'est qu'on n'a aucune idée de l'impact potentiel de ce variant. On (les scientifiques) n'a aucune idée de ce qu'il peut causer, et, pire encore, de ce que nous pourrions faire face à lui. Faire d'efficace, j'entends. On n'en sait rien du tout. Ce n'est donc pas le variant qui est préoccupant, c'est notre impuissance (ou incapacité, tout dépend d'où on regarde les choses) qui l'est.
Les mots ont une histoire qui n'est pas seulement historique. Il y a aussi l'histoire, le récit qui se joue ici et maintenant. La définition du dictionnaire n'est pas forcément celle qui se joue au moment où l'on parle. Le storytelling est plus complexe et contextuel aussi. C'est comme cela que nous le concevons, chez Storytelling France. Ce n'est pas juste "un truc de pub", pas dans la manière dont nous faisons du storytelling. Cela n'a rien à voir avec de l'éthique : c'est juste parce que le storytelling coup de pub, ça ne marche pas. Ce qui marche, c'est le storytelling en profondeur.