L’évolution d’une logique intégrative vers une logique inclusive dépasse la simple alternative lexicale. Elle consiste en un changement radical à opérer afin d’adapter la société aux besoins des personnes en situation de handicap. L’analyse des univers créés dans En Avant (Pixar) et Zootopie (Disney) permet non seulement d’expliquer les tenants et aboutissants de ce changement de paradigme, mais aussi d’apporter des éléments réflexifs en réponse aux enjeux sociétaux et éducatifs actuels. L’intégration correspond au droit des personnes en situation de handicap à vivre comme tout un chacun. Elle peut se définir par opposition à la ségrégation (mise à l’écart, exclusion de certains groupes d’individus). Elle apparaît à la fin des années 60 et se concrétise par la Loi de 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées.
Le modèle intégratif est une première évolution puisqu’il repose sur l’acceptation de la présence de tout individu. Toutefois, il se heurte à la singularité de chacun. Ce frein est particulièrement visible dans le Pixar sorti en mars dernier, En Avant.
Dans ce film d’animation, un univers créé de toutes pièces met en scène des créatures fantastiques (elfes, fées, centaures, cyclopes et autres sirènes) dans une société moderne où la magie a été remplacée par la technologie. La totalité des habitations, commerces et transports ont été construits pour une taille standard d’elfes.
Bien que la présence de corps différents semble acceptée et tolérée par toutes et tous, aucun aménagement permettant une adaptation à la taille des différents citoyens n’apparaît à l’écran. Les voitures et les deux-roues ne sont adaptés ni aux gros gabarits (notamment pour le centaure policier dont l’entrée et la sortie de son véhicule de fonction sont tournées en ridicule), ni aux individus de petite taille (par exemple, les fées bikeuses qui doivent s’organiser à plusieurs afin de prendre en main leur moto).
Les habitants qui diffèrent morphologiquement des elfes sont intégrés à la société, sans pour autant être inclus en tant qu’individus à part entière. C’est là que le concept d’inclusion prend tout son sens. Depuis les années 1990, le terme d’« inclusion » remplace, du moins au sein de l’Union européenne, celui d’« intégration ». Plus qu’un changement de mot, cette évolution marque un véritable tournant dans la prise en compte de la diversité des individus.
Dans le cadre d’une logique inclusive, il ne s’agit plus de penser la personne en situation de handicap comme devant s’intégrer à la vie sociale, mais de repenser la société pour qu’elle puisse être adaptée aux besoins de l’individu. La différence n’est plus effacée, elle est reconnue et prise en compte. L’inclusion est vue comme l’évolution de l’ancien modèle intégratif.
Pourtant, c’est dans une temporalité inverse que Disney illustre ces deux sociétés. En effet, Zootopie, sorti en 2016, proposait déjà une civilisation ancrée dans une dynamique inclusive. Pour rappel, le film d’animation met en scène un univers au sein duquel les animaux vivent et se comportent comme les humains de notre époque actuelle.
À la différence de En Avant, Zootopie comporte de nombreux exemples d’aménagements adaptés aux diverses morphologies des animaux peuplant la ville. Par exemple, les transports en commun possèdent des portes miniatures pour les bêtes de petite taille et les commerces proposent plusieurs formats de plats adaptés à l’appétit de chacun.
D’autres adaptations liées à la diversité physiologique sont illustrées telles qu’un chemin fluvial accédant à la gare pour les animaux aquatiques. Les lieux ont été construits dans une démarche d’accessibilité universelle où le respect de l’autre est organisé autour de lui et non sans lui. Tout produit culturel peut être à la fois le miroir d’une réalité sociétale, mais aussi une source de représentations qui perpétue des images stéréotypées. À quel point les villes françaises sont-elles proches de la métropole de Zootopie ? Qu’a-t-on conservé des dynamiques intégratives de la banlieue de En Avant ? Dans les sociétés occidentales, les résultats du modèle intégratif se sont avérés insuffisants en matière d’accessibilité, de scolarisation et d’emploi. La volonté de normalisation de tous les individus, sans prendre en compte leur singularité, et notamment leurs besoins d’accessibilité, est inefficace.
L’intégration a participé à invisibiliser les particularités de chacun, tandis qu’il aurait été préférable d’apporter des compensations visant à rendre accessible l’environnement aux personnes en situation de handicap. L’exemple d’En Avant est édifiant ; toutes les créatures sont acceptées au-delà de leur diversité de taille. Mais rien n’est aménagé pour prendre en compte leur morphologie et leur permettre de se mouvoir avec autant d’aisance que les elfes.
On comprend aisément les freins de l’intégration scolaire. Ouvrir l’école ordinaire à tous sans proposer d’aménagements compensatoires comporte le risque d’exclure et de stigmatiser les élèves dont la situation de handicap ne satisfait pas les normes scolaires établies par les établissements. Ce n’est pas seulement l’accès à la scolarité qui doit être facilité pour tous les enfants, mais aussi l’équité pour la réussite scolaire.
La logique inclusive, dans le milieu de l’éducation, suggère alors que chaque élève a sa place à l’école et qu’il est du rôle de l’institution et de ces acteurs de trouver des adaptations aux besoins de l’enfant afin qu’il puisse apprendre et se développer sur un même plan d’égalité que ses camarades. Ce principe est porté en France depuis la loi du 11 février 2005, puis confirmé spécifiquement dans le champ scolaire par la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’école. Néanmoins, l’inclusion ne se décrète pas. Les adaptations ne consistent pas en un rafistolage de l’existant. Elles se réfléchissent au début de tout projet (comme les constructions de Zootopie qui ont été pensées pour être adaptées à tous les animaux). Des obstacles d’ordre financier, matériel, humain et administratif font obstacle aux objectifs d’inclusion actuels.
Quinze ans après la loi de 2005, des progrès notables sont à notifier, notamment dans la création de professions dédiées et d’espaces aménagés. La dimension environnementale du handicap est davantage prise en compte. Toutefois, des limites dans les pratiques et les représentations demeurent. Les difficultés de matériel et de temps posent également problème.
Sommes-nous seulement suffisamment outillés pour parvenir à l’utopie de Zootopie ? Par ailleurs, il serait utile de rappeler que l’accessibilité n’est pas seulement physique. Les dimensions psychique et sociale de la santé et du handicap (non montrées dans les deux films d’animation mentionnés dans l’article, donc non analysées ici) sont au cœur de bien d’autres problématiques inclusives. Il semblerait que nous apercevions enfin le bout du tunnel, la lumière de l’autre côté qui luit et qui nous fait espérer que la fin de la pandémie est proche.