Raclette est une comédie satyrique et dramatique dans laquelle deux histoires s'entrecroisent le temps d'un dîner qui va faire fondre toutes les certitudes.
Une table, 4 chaises, un appareil à raclette, 2 dîners. Deux scènes qui se jouent alternativement sous nos yeux dans un même décor, et qui semblent n'avoir aucun lien entre elles. C'est sous une nouvelle forme et avec une nouvelle mise en scène que La Compagnie du Velours nous propose cette pièce de Santiago Cortegoso multiprimée en Espagne. Une savoureuse découverte en cette saison de renaissance théâtrale !
Une raclette peut en cacher une autre
L'un des deux repas auxquels nous assistons est teinté d'humour tandis que l'autre nous plonge dans un drame dont nous comprenons progressivement la teneur. D'un côté, on aime le ping-pong verbal sarcastique entre Paula, assistante de production d'une série télé, et son compagnon Léo, comédien de théâtre alternatif et contestataire. Et on aime aussi la confrontation entre les convictions personnelles opposées de différents personnages, qui donne lieu à des répliques incisives et parfois drôles.
De l'autre, on met un peu de temps à être touchés par le drame qu'affrontent Jérôme et Julie. L'atmosphère est plus lourde, plus pesante. Et on se languit parfois de revenir à l'autre dîner pour retrouver l'humour et le rythme qui l'habitent. Les enchaînements entre les deux se font d'ailleurs avec fluidité. Tandis que l'un des deux repas est mis en lumière, on ne s'absente pour autant jamais complètement de l'autre puisque les personnages demeurent sur scène, toujours incarnés mais silencieux.
Une construction intelligente
L'intrigue est habilement tissée, si bien que la fin parvient à nous surprendre. Un dénouement qui donne à la pièce une toute autre dimension, et rend le choix de mise en scène de Marie Moriette totalement pertinent. Les indices distillés ça et là depuis le début nous apparaissent alors clairement et... on préfère ne pas vous en dire plus pour vous laisser profiter aussi de l'effet de surprise !
À cette mise en scène bien pensée s'ajoute l'interprétation efficace des quatre comédiens qui investissent tous pleinement leurs rôles respectifs. Avec une mention spéciale pour Silvia Rodriguez Abal, qui nous fait totalement oublier son statut de comédienne par un jeu parfaitement naturel ; et Camille Moingeon, qui interprète avec finesse et une juste dose de caricature le rôle de cette bourgeoise écolo et végétarienne un peu coincée. Son personnage apporte une vraie touche de légèreté à l'ensemble - qui s'apparente finalement assez peu à une comédie.
" La société, elle a que des problèmes ! "
Cette pièce est aussi prétexte à une critique tranchée de notre société. L'individualisme et les difficultés à communiquer et à se comprendre qui en émanent ; la place du travail et le sens de l'existence ; la politique et ses jeux de pouvoir ; le consumérisme compulsif et son impact sur l' environnement ; la nourriture transformée et ses dangers sur la santé ; l'éducation et la surprotection de l'enfant ; le couple et le deuil... À peu près tous les thèmes y passent !
Mais, si certains de ces questionnements sont posés par la manière dont les personnages interagissent entre eux, d'autres arrivent parfois un peu comme un cheveu sur la soupe dans les dialogues. On sent que l'auteur avait envie de faire passer un certain nombre de messages, quitte à risquer de se déconnecter parfois un peu de l'histoire. Bon, c'est pour la bonne cause car le propos est toujours pertinent. Alors on ne va pas en faire un fromage !
Une raclette presque parfaite
S'il fallait trouver quelques pistes d'amélioration à cette pièce déjà très réussie, la musique en serait une. Ou plutôt, la manière dont elle s'éclipse après s'être invitée, qui gagnerait à être moins abrupte, plus progressive et subtile, pour éviter de nous faire décrocher et de nous ramener à notre statut de spectateur dans un théâtre. On s'est fait la remarque à chaque fois, c'est donc que ce petit détail a tout de même son importance.
Et puis, on est passés totalement à côté d'une scène de séduction entre deux des personnages, qui nous a semblé hors sujet, tant dans sa teneur - peu crédible - que dans sa mise en scène. Son sens et son intérêt nous ont en tous cas échappé. Pas de quoi pour autant gâcher cette Raclette, que des températures estivales n'ont pas rendue moins appréciable. Et les spectateurs du premier rang profiteront d'ailleurs aussi d'une immersion olfactive !
Quel bonheur de retourner (enfin !) au théâtre ! D'applaudir sur scène ces artistes qui nous ont tant manqué ; de nous laisser embarquer par ces vagues d'émotions imprévisibles ; de nous laisser surprendre par la beauté et la richesse de la création ; de vibrer, frissonner, rire, réfléchir autour d'œuvres en tous genres... Allez, nombreux, célébrer cet art aussi vivant qu'inspirant. Et allez voir Raclette !
Raclette, de Santiago Cortegoso, par La Compagnie du Velours, adaptée et mise en scène par Marie Moriette, se joue à La Comédie Nation, à Paris, du 16 juin au 01er juillet 2021, à 21h.
Puis du 13 au 18 juillet, à 16h, au Pixel Avignon.
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