Dans le prolongement de la récente exposition Paysages-Portraits, le photographe Jean- Baptiste Barret évoque sa pratique photographique.
Le Nord de la Martinique sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ?
Comment mieux faire connaître et valoriser ce vaste territoire de forêts, de montagnes et de littoral escarpé de l’extrémité nord de la Martinique, de la montagne Pelée aux Pitons du
Carbet, désormais candidat à l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO ?
Vous le découvrirez sur l’Esplanade du Mémorial de la catastrophe de 1902 | Musée Frank A. Perret dans une exposition hors les murs et gratuite.
D’immenses photographies de Jean Baptiste Barret, accompagnées de créations sonores de Fabienne Pélage révèlent et mettent en valeur la beauté de ces paysages et l’histoire des hommes et femmes qui les ont habités, entretenus et protégés. Ces portraits ont été réalisés entre 2010 et 2016 dans les communes du Prêcheur et de Grand’Rivière dans le cadre d’une étude pluridisciplinaire de la DEAL.
Les nouvelles modalités de visites d’expositions
Si vous téléchargez l’application gratuite Smartify sur votre téléphone et si vous scannez chaque photographie à l’aide de l’application, vous entendrez les témoignages de chacun de ces aînés. Une manière simple et agréable de parcourir l’exposition en autonomie et d’en emporter les traces à la maison pour revoir et entendre de nouveau à volonté les créations croisées de Jean- Baptiste Barret et Fabienne Pélage.
Jean- Baptiste Barret et Fabienne Pelage
Jean- Baptiste Barret a choisi de faire de la photographie son métier après des études d’histoire de l’art et d’archéologie. Il mène depuis plusieurs années des recherches personnelles autour de sa perception des lieux et des paysages, il interroge par l’image le rapport de l’homme et de l’espace. Il a travaillé notamment pour l’Observatoire Photographique du Paysage de Martinique (DEAL), et les Monuments Historiques (DAC ).
Il a exposé à plusieurs reprises en France ou dans la Caraïbe : 2017 Photaumnales de Beauvais ; 2016 Tropiques Atrium, Fondation Clément ; 2015 Mémorial Acte (Guadeloupe) ; 2014 Rencontres photographiques d’Arles, DAC Martinique;2013 Archives Départementales de Martinique pour ne citer que les plus récentes expositions.
Fabienne Pélage, exploratrice sonore, s’attache à dessiner des portraits d’individus, ancrés dans un ici ou un ailleurs, au rythme des timbres de voix, des mises en relief ou en suspension. Sa recherche s’articule notamment autour de l’expression de soi et de nos mémoires. Elle révèle dans ses montages la poésie des paysage sonores, qu’ils soient urbains ou naturels.
L’interview de Jean- Baptiste Barret
Entre le cliché à la sauvette, le portrait dérobé à la manière d’Henri Cartier Bresson et l’immersion de Marc Pataut qui pouvait prendre trois ans pour faire un portrait et disait « Je ne peux pas envisager la photographie comme une simple captation. La photographie est nécessairement du côté de la relation », où situes – tu le curseur pour la réalisation de ces portraits dans le cadre d’une enquête sociologique sur la mémoire d’un territoire ?
Dans le cas de cette série le curseur se positionnerait à mi-chemin de ces deux extrêmes. Bien sûr il ne s’agit pas de photo prise à la sauvette et je n’ai pas mis trois ans à faire chaque photo… mais oui, je crois la photo se trouve du coté de la relation, je le pense pour les portraits mais aussi pour tout autre sujet. J’ai envie de dire que c’est une recherche de compréhension des formes qui voudrait ouvrir le chemin vers l’âme de l’objet/sujet à photographier. Pourtant il y a dans le fait de vouloir mettre un objet/sujet à plat, sur un tirage papier (ou un écran), quelque chose qui nous rapproche de la prédation. Je m’empresse de dire que c’est pour la « bonne cause », celle du savoir, de la réflexion et de la poésie… en fait je rêve, avec un peu trop de prétention peut-être, que quelques spectateurs/regardeurs sentiront leur humanité personnelle s’expanser en regardant des photos… Et cela malgré le flot d’images de toutes sortes qui inonde sans arrêt nos rétines… Sans doute est-ce possible de temps en temps…
Ces portraits ont été réalisés dans le cadre d’une enquête anthropologique qui elle même s’inscrivait dans un ensemble d’études plus vastes commandé par la DEAL et bien accueilli par les élus locaux. Une petite équipe de chercheurs a donc régulièrement parcouru la région pendant plusieurs mois.
Participer à ces enquêtes était pour moi une opportunité à plusieurs titre photographique. Chaque personne a été interviewée sur sa relation à son environnement. Et à chaque fois une part de son récit personnel, son histoire, nous a été conté. Après ces longs moments d’échanges oraux enregistrés, la réalisation du portrait photographique apparaissait comme l’aboutissement de ces narrations. Parfois les échanges verbaux avaient été si riches que l’instant photographique nous paraissait d’une intensité très modeste. La photo devenait presque une coquetterie que la modernité nous réclamait encore.
Donc sur le plan photographique, il ne s’agissait pas pour moi de faire effet de brillante technicité… Rester simple s’imposait. Lumière naturelle, de face, sans artifice. Des fonds presque neutres.
Ce que tu photographies ici, est – ce plus un type social qu’une personnalité mise à nu par l’objectif ? Classerais – tu ce projet dans le documentarisme social ou l’anthropologie visuelle ?
Je ne crois pas avoir voulu photographier un type social. J’ai juste photographié des personnalités et je n’ai surtout pas voulu les mettre à nu ! J’ai photographié ce qu’elles ont bien voulu me montrer. Cet ensemble photographique est juste humain… ce sont des témoignages d’instants qui veulent dire : ces êtres humains sont là (ou ont été là, à mesure que le temps avance). Ce qui réunit ces personnes, c’est l’espace géographique du nord-ouest de la montagne Pelée.
Quand je rajoute un paysage au portrait on peut y voir un côté un peu plus documentariste dans le sens où le duo portrait/paysage vient nous dire qu’il y a une relation entre l’individu et l’environnement. Il serait peut-être plus habile de parler de narration. Ces photographies sont la représentation d’une narration.
Crois – tu que le photographe puisse saisir l’identité d’un être en un unique instant ? L’objectif du projet est – il d’amener le regardeur à réfléchir sur l’information transmise plus que de le subjuguer par la beauté plastique du cliché ?
De mon point-de-vue il serait ridicule et prétentieux que de vouloir saisir l’identité d’un être humain ! Ça me semble tout à fait impossible à moins d’avoir le génie et la démence du héros de Süskind ! Un être humain est toujours riche, multiple et vaste, donc insaisissable… Oui le but serait effectivement d’amener le regardeur à ressentir quelque chose ou à réfléchir selon sa propre personnalité. Certains ressentent, d’autres réfléchissent… Quant à la beauté plastique, c’est sans doute un consensus culturel, inopérant pour certains et rassurant pour d’autres. Qu’est-ce qu’une belle photo ? Ce serait difficile à définir. J’avoue que sans savoir ce que c’est, c’est ce que je cherche à faire…
Toi qui es féru d’histoire de l’art comme le montre ta série Contes de nuit numeoniriques, vas-tu parfois au-delà de l’identité et de la ressemblance par une mise en abyme avec l’histoire de l’art et l’histoire de la photographie ?
Pas dans cette série. Il n’y a pas dans cette série de référence à l’histoire de l’art. Peut-être sans le savoir, dans la mesure où il y a dans ma tête des relais inconscients vers certaines images. On peut toujours en lisant une image la renvoyer à une autre qui l’a précédée, mais ce n’était pas du tout prémédité ! Je pourrais me flatter et voir une référence à Botticeli dans les cocotiers de l’anse à Voile. Mais en réalité je n’y avais pas pensé jusqu’a maintenant !
Peux tu définir ce concept de Paysage-Portrait ?
C’est une idée qui me vient souvent à l’esprit. Les lieux, les paysages, ont une histoire humaine et les humains ont un lien avec certains lieux. L’idée était de les rassembler côte à côte. Cette série était une bonne opportunité… Chaque personne photographiée a un lien avec le paysage présenté à ses côtés. C’est un des lieux qu’elle fréquente ou a fréquenté dans sa vie. Le plus souvent nous avons réalisé le portrait alors que nous étions au bourg de Grand’Rivière ou du Prêcheur. Au cours des interviews la personne évoquait un ou plusieurs lieux. Il nous a suffit de photographier ce lieu ou de retrouver la photo que nous avions pu faire avant l’entretien lors des travaux sur le paysage.
En dehors de cette démarche pratique, il y a eu au cours de l’histoire quantité de liens entre représentations de paysage et portraits. Le paysage est un lieu de narration des hommes. C’est le décor de la pièce de théâtre. C’est un complément d’information sur la personne représentée. Ce peut être très réaliste ou très abstrait. Je crois me souvenir que le paysage qui sert d’écrin à Mona Lisa est une invention, mais on peut y lire toutes sortes d’informations…
Tu développes des séries personnelles comme Alma Mater mais tu réponds aussi souvent à des commandes comme cette dernière, est-ce que cela modifie ton processus de travail et comment ?
En fait au départ cette série n’est pas une commande. Je me suis greffé spontanément à l’équipe de recherche qui m’a amicalement adopté (merci à eux).
J’aime le travail de commande, c’est très motivant. La contrainte ne me semble pas un obstacle à la création photographique, au contraire. Mais il y a commande et commande… La plupart de mes clients ne me demande pas de faire de l’art et en plus on a rarement le temps. La commande « artistique » donne un cadre dans lequel on peut chercher.
Quand je réalise une série personnelle j’essaie de recréer les conditions d’une commande, c’est-à-dire de définir un cadre et de chercher la représentation de mes émotions à l’intérieur de ce cadre. Le plus important est sans doute de trouver la motivation. Dans le cas d’une commande je vais cherche à exprimer des émotions moins personnelles ou bien à être plus subtil.
En fait je crois qu’il y a un effort d’adaptation pour chaque travail ou chaque série… Dans le cas de Paysages Habités je me suis adapté d’une part au rythme des entretiens et d’autre part aux marches dans les contreforts de la montagne… Et il y a aussi la météo ! Un facteur essentiel que les photographes n’oublient pas ! Le processus de travail est polymorphe, il s’adapte…
Propos recueillis par Dominique Brebion
1)Patrick Süskind, Le Parfum
A voir
Exposition hors les murs gratuite
Tous les jours à compter du 4 juin 2021
Esplanade du Mémorial de la catastrophe de
1902 | Musée Frank A. Perret