Pendant la pandémie, nombreux sont les professeurs d’université qui ont abandonné les traditionnels manuels de cours au profit de documents numériques ou de dispositifs multimédias.
En tant que professeur de linguistique, j’ai comparé communications électroniques et textes imprimés sous l’angle des apprentissages. Le degré de compréhension des informations est-il le même selon qu’on les lit sur papier ou sur écran ? Et l’écoute ou le visionnage de contenus sont-ils aussi efficaces que la lecture de textes pour aborder un sujet ?
À ces deux questions la réponse est en général « non », ce qui s’explique par tout un ensemble de facteurs dont une moindre concentration, un état d’esprit porté au divertissement et la tendance à faire plusieurs choses à la fois quand on est sur le web.
En ce qui concerne les textes d’au moins quelques centaines de mots, la lecture en est plus efficace sur papier que sur écran, dans la majorité des cas. Un constat qui s’appuie sur une foule de recherches.
Les bénéfices de l’imprimé sont tout particulièrement évidents quand on passe de tâches simples – comme identifier l’idée principale d’un texte – à des tâches qui nécessitent une abstraction mentale – comme en tirer des conclusions. La lecture sur papier augmente aussi la probabilité de se souvenir de détails – comme la couleur des cheveux d’un personnage – et de se rappeler à quelle étape de l’histoire tel ou tel événement s’est produit.
De nombreuses études montrent que les élèves pensent souvent qu’ils obtiendront de meilleurs scores à un test de compréhension s’ils lisent le texte en version numérique. Or il s’avère que leur réussite est supérieure lorsqu’ils en ont lu une version imprimée.
Les spécialistes de l’éducation doivent bien tenir compte du fait que la méthode utilisée pour des tests standardisés influence les résultats. Ainsi, des études menées auprès de lycéens norvégiens et de collégiens américains font état de résultats encore supérieurs quand les tests sont administrés sur papier. Dans l’étude américaine, les effets des tests numériques étaient plus marqués chez les élèves ayant de faibles résultats en lecture, les élèves apprenant l’anglais et les élèves inscrits dans des dispositifs spécialisés.
Avec mes collègues, nous avons abordé la question sous un autre angle. Plutôt que de faire lire un texte aux étudiants puis de leur soumettre un test, nous leur avons demandé comment ils percevaient globalement leurs apprentissages selon qu’ils utilisaient des supports de lecture imprimés ou numériques. Les lycéens et les étudiants ont massivement jugé que la lecture sur papier était plus propice à la concentration, à l’apprentissage et à la mémorisation que la lecture numérique.
Les divergences entre les deux catégories de résultats sont en partie liées aux propriétés physiques du papier. Avec ce support, on a littéralement le texte entre les mains et une géographie visuelle de pages bien distinctes se dessine. La plupart des gens associent le souvenir de ce qu’ils ont lu à l’endroit où cela se trouvait dans le livre ou sur la page.
Mais l’état d’esprit dans lequel on se situe, et « l’hypothèse de la superficialité », comme l’appellent les chercheurs, sont tout aussi importants.
Avec la montée de la classe inversée – où les étudiants écoutent ou visionnent le contenu du cours avant de venir en classe – et l’augmentation du nombre de podcasts audio et de vidéos disponibles en ligne, de nombreux devoirs incluant des lectures ont été remplacés par l’écoute ou le visionnage de document. Un phénomène qui s’est accéléré pendant la pandémie avec l’enseignement à distance.
Dans une enquête auprès de professeurs norvégiens et américains en 2019, ma collègue de l’université de Stavanger Anne Mangen et moi-même avons constaté que 32 % des enseignants américains remplaçaient les textes par des documents vidéo et que 15 % faisaient de même avec des documents audio. Les chiffres étaient un peu plus bas en Norvège. Mais dans les deux pays, 40 % des participants qui avaient modifié leurs exigences au cours des cinq à dix dernières années ont déclaré donner moins de lectures obligatoires.
L’une des principales raisons du passage à l’audio et à la vidéo est que les étudiants refusent de faire ces lectures. Même si le problème est loin d’être nouveau ; une étude de 2015 auprès de 18000 étudiants montrait que seulement 21 % d’entre eux réalisaient vraiment les lectures demandées.
L’audio et la vidéo peuvent sembler plus attrayants que le texte, et les professeurs ont donc de plus en plus recours à ces médias, par exemple en recommandant d’écouter une conférence TED plutôt que de lire un article du même auteur.
Les psychologues ont montré que lorsque les adultes lisent des articles d’actualité ou des textes de fiction, ils s’en souviennent mieux que s’ils avaient accès au même contenu par voie audio.
Des résultats similaires ont été obtenus lors d’enquêtes auprès d’étudiants. Un travail de recherche confirme d’ailleurs qu’ils ont l’esprit plus vagabond en consultant des contenus audio qu’en lisant.
Avec des élèves plus jeunes, le constat est équivalent, à une nuance près. Une étude menée à Chypre a montré que les rapports entre les capacités d’écoute et de lecture s’inversent à mesure que les enfants progressent en lecture. Si, en primaire, les élèves avaient mieux compris ce qu’ils avaient écouté, c’était le contraire au collège.
Les recherches sur l’apprentissage à partir de vidéos font écho à ce que l’on observe avec l’audio. Ainsi, des chercheurs espagnols ont établi que les élèves en fin de primaire ou début de collège retenaient beaucoup mieux les informations lues que ceux qui avaient regardé des vidéos. L’hypothèse formulée par les auteurs est que les étudiants suivent les vidéos de manière plus superficielle parce qu’ils associent ce média au divertissement et non à l’école.
La recherche dans son ensemble a montré que les médias numériques sont associés à des caractéristiques et des pratiques qui peuvent limiter l’apprentissage. Cela inclut la tentation multitâche, l’absence de point de référence physique fixe, un usage moindre des annotations et une fréquence moins importante de révision de ce qui a été lu, vu ou entendu.
Les textes numériques, les podcasts et les vidéos ont tous un rôle éducatif à jouer, en particulier lorsqu’ils donnent accès à des ressources qui ne sont pas accessibles en format imprimé. Toutefois, pour maximiser les apprentissages selon la concentration et la réflexion nécessaires, les éducateurs et les parents ne devraient pas faire comme si tous les médias se valaient – même s’ils comportent les mêmes informations en définitive.
Il semblerait que nous apercevions enfin le bout du tunnel, la lumière de l’autre côté qui luit et qui nous fait espérer que la fin de la pandémie est proche.
LES BRÈVES