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Cameroun – 55 morts à la falaise de Dschang : Des familles toujours dans l’attente des corps

Publié le 10 juin 2021 par Tonton @supprimez

Les familles ignorent le sort réservé aux dépouilles non identifiées après l’hécatombe de la falaise de Dschang.

Où est passée l’assistance publique aux accidentés ? Quid des assurances ? Les victimes se résignent, cinq mois après l’accident de circulation le plus mortel de l’histoire des Transports routiers au Cameroun. Malgré son état physique qui suscite la pitié, Michel Djiotsap a une voix. Une voix tonnante et fluide, dont il abuse dans la manifestation de sa joie de vivre. La joie d’être encore vivant, de parler et même de faire des projets alors que la plupart de ceux avec qui il faisait le voyage cette nuit du 7 janvier 2021, ont depuis longtemps rejoint l’au-delà. « Je suis l’un des élus de Dieu. A vrai dire, j’attends de connaître la mission pour laquelle le Seigneur m’a retenue en vie. Il va m’illuminer », assure-t-il, un brin fataliste. « Ça ne va pas très bien », tempère aussitôt le quadragénaire, qui a eu des brûlures à la tête, aux bras et au dos, à la jambe et au pied droit et dont certaines en cours de cicatrisation sont encore bien visibles. Sorti de l’Hôpital régional de Bafoussam contre l’avis médical, il s’est réfugié dans son village, Bafou dans la Menoua, où il trompe le temps en nourrissant ses porcs. Il explique qu’après 50 jours d’hospitalisation, le « personnel aimable » de cet hôpital dit de référence ne lui offrait plus rien. « En dehors du pansement, la plupart des médicaments qu’on prescrivait devaient être achetés en officine.

Du coup, je n’ai pas trop trouvé utile de continuer à rester là. La prise en charge annoncée par le gouvernement ne concernait que les remèdes vendus à la pharmacie de l’hôpital », explique celui qui se considère comme un revenant. Il explique en effet que, évacués à six dans cet hôpital, seul lui et le chauffeur du bus, sont sortis vivants de l’épreuve. Les deux évacués à l’Hôpital général de Douala sont morts ainsi que deux autres patients maintenus à Bafoussam. « Je n’ai retrouvé ma sensibilité qu’à 60% environ mais je ne voyais plus ce que je foutais là-bas, dès lors que je dépendais à 90% de l’extérieur », se défend-t-il. Ainsi, supposé être pris en charge par l’Etat, ces soins lui ont coûté presque 400.000F, alors qu’il est devenu inactif. « Depuis que je suis sorti, j’ai encore fait 30 pansements, à raison de 3.500F la séance », précise-t-il. Des moyens difficiles à rassembler pour ce conducteur d’engin de chantier, propriétaire d’un garage spécialisé au lieu-dit Johnny Baleng, à Dschang, avant l’accident. Aujourd’hui couvert de traces de brûlures, il ne peut plus exercer. Pourtant, il a une famille à nourrir. Une épouse, six enfants et surtout sa petite fille, qui lui a beaucoup manqué. « Pendant que j’étais à l’hôpital, le Ministre de la Santé et celui des Transports sont venus me voir pour prendre des nouvelles sur la manière dont nous étions soignés. Ils avaient demandé qu’on ne jette pas les factures payées. Depuis qu’ils sont partis, seul un psychologue est venu du ministère nous rencontrer pour discuter. En partant, il a laissé un numéro par lequel je peux l’appeler mais je ne sais pas de quoi on va discuter. Je ne l’ai donc jamais fait », témoigne-t-il. Pas de trace de la Protection civile, encore moins des assurances. Mais la peur de mourir du coronavirus. Même les médias les auraient oubliés, depuis qu’ils ne peuvent plus faire des témoignages à sensation.

Précarité financière

Situation quasi-identique pour Pierre René Kana, qui lui aussi vit replié chez lui, à Dschang. Le chauffeur du bus dont les passagers ont été carbonisés dans l’accident, bénéficie, pour prendre soin de ses deux femmes et douze enfants, de son salaire d’employé maintenu à l’agence Menoua voyages. Il le lui est versé, à temps normal, depuis qu’il est devenu impotent. Contrairement à l’autre survivant, ce sont les médecins qui lui ont demandé de retourner à la maison, car le mal des côtes dont il souffre est la conséquence des fractures qu’on a soignées. « J’ai un rendez-vous à l’hôpital dans deux mois. Les résultats des examens diront s’il m’est possible de reprendre le travail », indique l’homme de 52 ans. Contrairement à son compagnon d’infortune, il avait, en tant que conducteur averti, souscrit une assurance personnelle. « J’ai confié le dossier à un expert en contentieux. Il a dit que ça avance, c’est en cours de traitement », assure-t-il. Il ne sait rien de ce que la compagnie de transport qui l’emploie et son assureur éventuel font de leur côté. Pour le reste, il n’a reçu le soutien de personne, depuis qu’il est sorti de l’hôpital. « Même pas un coup de téléphone des autorités », nous confie l’homme, qui se félicite d’être en vie, malgré la situation vécue cette nuit de braise.
L’on se souvient qu’au petit matin du 7 janvier 2021, la collision entre une camionnette transportant du carburant de contrebande et un bus de l’agence Menoua voyages parti de Douala pour Dschang, sur la falaise de Santchou, avait fait 55 morts et 28 blessés. Sur les 23 blessés conduits à l’Hôpital de district de Dschang, seuls six patients dans un état critique avaient été transférés à l’Hôpital régional de Bafoussam tandis que les autres avaient retrouvé leurs domiciles. Après plusieurs tours à Dschang pour l’identification des cadavres et un probable retrait des corps pour inhumation, les familles des victimes sont tombées dans le découragement. Plus grave, l’information ne circule pas. « Cette phase reste du domaine des forces de maintien de l’ordre, en collaboration avec les autorités de santé. Le travail a été fait de ce côté-là. Nous n’osons ici dévoiler tout ce qui est fait de ce côté. Je voudrais qu’on reste concentré sur ce que nous avons à faire : la prévention et la sécurité routières », nous a confié Moussa Nfendoun, le Délégué régional des Transports pour l’Ouest (lire interview ci-contre).

Rites funéraires

A l’hôpital de district de Dschang, où une partie des restes mortuaires était gardée (et l’autre à la morgue de Penka-Michel), nous avons appris qu’il y a longtemps qu’une équipe envoyée par le Gouverneur de la Région avait fait le transfert. L’identification annoncée des dépouilles aurait dépassé la technologie disponible. Seuls cinq corps ont pu être identifiés et remis aux familles concernées pour inhumation. Et en fonction des coutumes, des parents de victimes étaient venus avec des tradipraticiens faire des rites d’exorcisme, avant de faire le « deuil de malchance ». Certains avaient affirmé avoir identifié des corps, à travers des incantations. Mais on ne les a pas crus. « Cela ne servira plus à rien pour moi, surtout qu’on ne reconnaît plus vraiment personne. Je ne vois pas en quoi ce serait utile que je ramasse des squelettes quelconques pour venir encombrer ma concession. J’ai déjà fait le deuil de mes enfants », nous a confié dans ce sillage un chef de famille mécontent mais néanmoins inquiet du comportement des pouvoirs publics.

Faute d’avoir pu rencontrer le Gouverneur pour savoir ce qui a été fait des restes mortuaires, nous avons élargi la brèche ouverte par le responsable local des Transports. « Le travail a été fait de ce côté-là. Nous n’osons ici dévoiler tout ce qui est fait de ce côté », a-t-il assuré. De sources dignes de foi, elles seraient déjà discrètement enterrées dans une fosse commune. Pendant que les victimes et les ayant-droits des morts attendent une éventuelle indemnisation et que l’accident de la route le plus meurtrier du pays entre progressivement dans le ciel de l’oubli.
Franklin Kamtche

« L’assureur devrait spontanément contacter les victimes »

Me André Marie Tassa. Défenseur engagé des droits de l’homme, l’avocat au barreau du Cameroun explique le mécanisme de prise en charge des accidents par les compagnies d’assurance.

Que prévoit la loi, au sujet des indemnisations des victimes, après un accident de la circulation ?

Le code Cima prévoit que lorsqu’il y a un accident de la circulation et qu’il y a eu constatation, immédiatement, la compagnie d’assurance qui garantit la responsabilité de l’agence de voyages impliquée dans l’accident doit spontanément entrer en relation avec les victimes. Très souvent, surtout lorsqu’il s’agit des accidents ayant connu un fort retentissement médiatique comme celui auquel vous faites allusion, la compagnie d’assurance va vers les victimes, pour les prendre en charge immédiatement, afin que les familles ne soient pas en train de courir de droite à gauche, de se battre pour faire certaines dépenses. Habituellement, elles délivrent au niveau des hôpitaux des bons de prise en charge et ceux-ci les soignent à leurs frais.

Dans le cas précis de l’hécatombe de la falaise de Dschang, avez-vous l’impression que les familles des 55 victimes calcinées seront indemnisées ? Si oui, dans quel délai ?

Lorsqu’il y a des morts, les compagnies concernées devraient également prendre attache avec les familles des personnes décédées. Il faut cependant un procès-verbal d’enquête car les compagnies d’assurances peuvent manquer d’interlocuteur. Elles peuvent ne pas connaitre les membres de familles à contacter. Dans ce cas, seul le procès-verbal de la gendarmerie ou de la police indiquera celui à qui il faut s’adresser. C’est plus simple pour les blessés car on va à l’hôpital où on donne le bon de prise en charge. Par contre, lorsqu’il y a des décédés, il faut chercher pour savoir la bonne personne à contacter : un ascendant, un descendant, un collatéral ? C’est avec celui-là qu’on peut discuter sur les charges funéraires comme l’achat du cercueil ou les autres dispositions nécessaires pour la gestion de la sépulture. C’est dans l’intérêt de la compagnie d’assurance de prendre ces dispositions, lorsque c’est encore chaud, que d’attendre les décisions de justice.

Nous savons que de très nombreux véhicules circulent sans assurance ou de fausses polices. En cas de dommage sur un tiers, que faire ?

Quand un accident advient et qu’on constate que le véhicule impliqué n’était pas assuré, l’auteur de l’homicide volontaire ou des blessures volontaires, résultat dudit accident, doit réparer le préjudice. Dans ces cas, l’on est obligé d’attendre une décision de justice qui condamne. Il arrive dans la pratique que ce qu’on appelle les premiers soins soient pris en charge par un auteur d’infraction compatissant. C’est le cas s’il a assisté immédiatement les victimes ou s’est rendu dans les familles pour s’excuser, palabrer, etc.

Quel conseil donneriez-vous à ces sinistrés ?

Je leur recommande de voir au niveau de l’enquête quelle est la compagnie d’assurance impliquée dans l’accident, et de se rapprocher d’elle. S’il y a un assureur, je suis sûr que la compagnie ne voudra pas attendre l’issue d’une procédure judiciaire pour pouvoir prendre soin des victimes. Surtout qu’il s’agit d’un accident qui a fait beaucoup de bruit du fait du nombre exceptionnellement élevé de morts et de l’agitation des pouvoirs publics.

« Les indices sont toujours en cours d’analyse par les forces de l’ordre »

Moussa Nfendoun. Le Délégué régional du ministère des Transports pour la Région de l’Ouest parle de l’enquête ouverte et des mesures prises dans son secteur de compétence pour réduire les accidents de la circulation et leurs effets.

Après l’hécatombe de la falaise de Dschang en janvier dernier, vos services ont multiplié des démarches pour prévenir et lutter contre les accidents sur les axes routiers dans la région de l’Ouest. Quels en sont les résultats ?

Suite aux accidents de la circulation que l’Ouest a connu en début d’année, le Ministre des Transports a effectué une importante visite dans la région, à l’effet de sensibiliser tous les acteurs sur la nécessité de mettre toutes les forces en commun, en vue d’éradiquer ou bien de réduire à sa plus simple expression les accidents de la circulation. Pendant son séjour, il a écouté tous les acteurs. Il a d’ailleurs pris des mesures fortes notamment la dotation de la région de l’Ouest de deux radars semi-portatifs de dernière génération, capables de fonctionner de jour comme de nuit mais également plusieurs kits électroniques à utiliser par les équipes de prévention et de sécurité routières. L’une des mesures fortes également, avait été le déploiement dans la région de l’Ouest, pour plusieurs jours, de l’engin d’enlèvement d’obstacles, qui en quelques jours a balayé la région et a permis de dégager tous les engins mal garés, également au niveau de la falaise de Dschang et principalement au lieu du drame. Les radars ont été effectivement déployés. Les équipes ont été formées. Les radars sont en permanence sur les axes routiers de la région de l’Ouest, à l’effet d’abord de sensibiliser et de familiariser les usagers de la route de l’Ouest à cet important outil de travail. Mais également de lutter de façon significative contre l’excès de vitesse qui est la principale cause des accidents de la circulation.

A côté de cela, la Délégation régionale des Transports a pris une mesure de proximité à travers les agences de voyages, où chaque jour, nous déployons des équipes à l’effet de vérifier les bus, les conducteurs et tout l’environnement du voyage avant le déplacement du bus. Cette opération nous a permis de programmer plusieurs voyages dans les agences de voyages et c’est une opération qui se poursuit encore plus en profondeur avec le lancement de la campagne de prévention et de sécurité routière que le ministre a effectué en date du 5 juin dernier et ce, jusqu’au mois de septembre. Il faut dire que dans le cadre de cette dernière activité qui est la vaste campagne de sensibilisation et de sécurité routière spéciale lancée par le Ministre des Transports, la Délégation régionale entend faire un lancement régional dans la ville de Dschang, le mercredi 9 juin 2021. Après ce lancement, toutes les équipes seront sur le terrain tant au niveau départemental que de la région en vue de lutter contre les accidents de circulation.

Qu’en est-il des sanctions infligées aux contrevenants ?

Plusieurs sanctions ont été infligées dès la survenue des différents accidents, grâce aux dénonciations et les rapports de nos équipes de prévention et de sécurité routière. Le Ministre a procédé à la suspension de quelques agences dont Charter voyages, qui effectuait de la surcharge et l’excès de vitesse. D’autre part, le Ministre a pris en fin de semaine dernière une décision qui suspend le permis de conduire de plusieurs chauffeurs qui se sont illustrés par des comportements malsains sur nos axes. Ce sont tous ces efforts conjugués qui sont faits dans la région de l’Ouest pour que cessent les accidents de la circulation.

Au cours de vos différentes interventions, quelles sont les infractions qui reviennent de manière récurrente ?

A l’occasion des descentes sur le terrain, les principales infractions sont le défaut de permis de conduire, l’excès de vitesse, la surcharge ou bien la conduite avec une catégorie de permis de conduire inappropriée pour ce qui est du type du véhicule.
Revenons sur le cas de l’hécatombe de la falaise de Dschang qui avait occasionné la mort de 55 personnes calcinées. Une enquête avait été annoncée.

Où en est-on avec cette procédure qui se veut préliminaire plus de quatre mois après ?

Les éléments de l’enquête restent attendus. Elle est d’ailleurs encore en cours. Je tiens à rappeler que l’enquête prescrite par les autorités compétentes est du domaine des forces de maintien de l’ordre. Il faut dire que nous nous limitons à la sensibilisation et aux griefs qui sont/étaient portés. On pouvait parler de la négligence du chauffeur, de l’excès de vitesse, du système de freinage de l’autre véhicule défectueux mais ce sont là des pistes de réflexion qui sont toujours en cours d’analyses par les forces de maintien de l’ordre. Et ces éléments nous permettent également de sensibiliser sur le terrain pour que plus jamais, nous n’ayons encore de telles situations.

Est-ce à dire que c’est après le rapport de l’enquête qu’on pourra avoir d’éventuelles sanctions à l’encontre des acteurs du drame ?

Ce n’est pas après les résultats de l’enquête qu’il y aura des sanctions. Le constat a déjà été fait par le Ministre et en temps opportun, il prendra la sanction administrative sans préjudice de celle pénale qui pourrait découler. Il faut d’ailleurs noter qu’à chaque fois qu’il y a accident, le Ministre d’après les premiers éléments, prend des mesures conservatoires, à la fois de prévention et de sanction administrative. On peut suspendre le permis de conduire de quelqu’un et on attend que la justice fasse son travail. Dans le cadre de l’accident de la falaise, le chauffeur n’avait pas été sanctionné ; par contre celui d’Avenir avait été sanctionné avec suspension de permis de conduire. Pour dire vrai, à la falaise de Dschang en janvier, le chauffeur n’était pas en surcharge, ni en excès de vitesse. C’est quelqu’un qui est venu « entrer sur lui ». Il l’a d’ailleurs évité autant que faire se peut. Il ne revenait pas de le sanctionner. Le transporteur du carburant n’a pas été sanctionné. Nous attendons encore les conclusions de l’enquête, qui est encore en cours.

Après les accidents, on attend de voir l’assurance prendre en charge les victimes. Qu’est-ce qui a été fait dans ce sens pour cette hécatombe ?

Il faut rappeler pour revenir à la sanction que le Ministre avait déjà en son temps, procédé à la suspension du permis de conduire du chauffeur de l’une des agences qui étaient incriminés dans les accidents de circulation. Maintenant, pour revenir aux assurances, il faut dire qu’elles font leur travail. Nous avons eu vent du travail que les assurances opéraient dans ce domaine, pour ce qui est de l’accident suscité. Mais comme je l’ai dit tantôt, ce sont des domaines connexes aux transports. Notre rôle reste la sensibilisation et la lutte contre ces accidents de la circulation.

En cette veille des vacances scolaires, quel message aux usagers de la région de l’Ouest ?

Le message reste celui de la vigilance et de la prudence sur nos axes routiers. Nous appelons tous les usagers de la route à être vigilants et à être suffisamment prudents en cette période de vacances scolaires mais également, nous leur demandons de rester modérés au volant, pour que la route comme le Ministre des Transports l’a dit, réitérant une phrase du chef de l’Etat, pour que la route reste un objet de plaisir et non de mort.

Après le drame de Dschang, on n’avait pas pu identifier tous les corps calcinés. Où en est-on avec le processus lié à leurs obsèques ?

Cette phase reste du domaine des forces de maintien de l’ordre, en collaboration avec les autorités de santé. Le travail a été fait de ce côté-là. Nous n’osons ici dévoiler tout ce qui est fait de ce côté. Je voudrais qu’on reste concentré sur ce que nous avons à faire : la prévention et la sécurité routières.


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