Chant d’ouï-dire
Voici qu’ils s’amenuisent et je veux les atteindre avant leur départ
Non que je sache ce que je pourrais leur dire quand j’y serai
Leurs chants ondoyant sous un ciel temporaire
Tandis que je m’approche comme je le fais maintenant
Bien que je n’arrive nulle part auprès d’où qu’ils soient
Tourbillonnant dans la poussière fleurissante rêvant qu’ils ne sont pas
Voici qu’ils s’amenuisent et je veux les atteindre avant leur départ
Tout comme je voudrais m’atteindre avant qu’aussi je départe
En fleur supplémentaire glissant vers le limon
Quelles sont ces notes de musique ruisselant dans un ciel flamboyant
Sont-elles spectres s’élevant devant moi
Ou halètements de poussières longeant un lac couvert d’algues
Voici qu’ils s’amenuisent et je veux les atteindre avant que leurs noms ne s’estompent
Avant qu’ils soient fantômes mourant entre algues roses et voyelles en ruines
Non que je sache ce que signifient leurs chants
Contant le dard du gigantesque torrent humain
Tournoyant au-dessus de l’embrasée histoire de vies qui se perdent
Effilant des branchages de fumées, feuilles rouges et jaunes chutantes
Voici qu’ils s’amenuisent et je veux les atteindre
Avant que mon nom rejoigne le leur en des noces de plastique
Avant qu’un fossoyeur aux yeux bleus ne me poudre le nez
Ou que je sois pulvérisé par le pistolet à eau d’insectes malencontreux
Tous secrets escamotés jamais rincés sous les rebords salis
La grande histoire effaçant les traces de son rien de neuf
Source : John Yau : Bijoux in The Dark, Letter Machine 2018. Traduit de l’anglais américain par Jean-René Lassalle.
Hearsay Song
They are dying out and I want to reach them before they are gone
Not that I know what I would say to them when I get there
Their songs rippling beneath temporary sky
As I approach, as I am doing now
Even though I am nowhere near wherever they are
Swirling in blossoming dust and dreaming they are not
They are dying out and I want to reach them before they are gone
Just as I want to reach myself before I too am gone
Another blossom sliding into slime
What notes do I hear drenched in fiery sky
Are these ghosts rising up before me
Or gasps of dust near a lake covered by algae
They are dying out and I want to reach them before their names vanish
Before they become ghosts dying in pink algae and ruined vowels
Not that I know what their songs say
Telling sting of monstrous human torrent
Wheeling above burning story of lost lives
Tapering branches of smoke, red and yellow leaves falling
They are dying out and I want to reach them
Before my name joins theirs in plastic matrimony
Before a blue-eyed undertaker powders my nose
Or I turn to powder in squirt gun of unprofitable insects
Secrets folded away never rinsed in scum corner
History erasing traces of its nothing new
Source : John Yau : Bijoux in The Dark, Letter Machine 2018.
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Robert Desnos écrit
Quel étrange son a descendu glissant la longueur de la rampe jusqu’où la pomme transparente rêvait ?
Je ne connais pas la réponse à cette question ni à la précédente, ni à celles encore avant. Un porte-clé sans clé est tout ce que je sens sous mon oreiller. Alors comment retrouverai-je mon chemin jusqu’à la voiture de nuit du Saskatchewan ?
Je le pousse encore du coude mais déjà il s’est endormi à la table. Et, comme si sa tête avait été ôtée par des bandits manchots et placée dans une corbeille en cuivre bordée de plantes en pot, il a commencé à parler dans l’enregistreur détrempé :
Si votre horoscope mentionne des ciseaux, scorpions, souvenirs en album, vous devrez poster une annonce recherchant une femme qui puisse vous prouver que son nom à elle est Robert Desnos. Elle me ressemblera et parlera comme moi, mais la poésie qu’elle écrit n’appartiendra ni à elle ni à moi.
SVP recopiez ce que j’ai dit, y compris la partie commençant avec « SVP recopiez… »
Source : John Yau dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008. Traduit de l’anglais américain par Jean-René Lassalle.
Robert Desnos writes
What strange sound glided the length of the bannister down to where the transparent
apple was dreaming?
I don’t know the answer to that question or the one before, or the ones before that. A key chain without keys is all that I feel beneath my pillow. Now how will I ever find my way back to the Saskatchewan night car?
I nudge him again, but he has already fallen asleep at the table. And, as if his head has been removed by one-armed bandits and placed in a copper basket lined with potted plants, he has started speaking into the waterlogged tape recorder:
If your horoscope mentions scissors, scorpions, or scrapbooks, you should post an ad for a woman who can prove to you her name is Robert Desnos. She will look like me and she will sound like me, but the poetry she writes will be neither hers nor mine.
Please copy what I have said, including the part that begins, “please copy . . .”
Source : John Yau dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008.
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Poème sans promesse
Je vous écris depuis la chambre de mon ex-femme où j’ai dessiné par pochoirs, sur papier et au plafond, d’intriqués graphiques stellaires des chemins que prennent les fourmis-soldats modernes pour atteindre les lèvres qui attendent au bout de leur long voyage. Il n’y a aucun message rouge dans les ballons qui flottent au-dessus des têtes, plus rien de la délicate friandise léguée par la première rencontre. Quelqu’un m’a dit qu’une chair déjà tendre le devient plus encore sous les âpres hélices du second soleil.
Je vous écris depuis la chambre de mon ex-femme, cette pièce où des envols d’oiseaux sont revenus sur les perchoirs de leurs caves monosyllabiques.
La poussière retombe sur les paupières de ceux qui doivent encore émerger de l’ombre. Des étincelles bleues cisèlent les angles où le ciel s’effondre, et de noirs nuages emplissent le tableau crayeux d’enfants endormis.
Je vous écris depuis la chambre que mon ex-femme conserve dans sa chambre, la Bibliothèque des Exceptions Inusitées, le Livre des Exemptions Grinçantes, le Registre des Occasions Manquées, ondes d’une suie archéologique qui se diffuse à travers l’écran.
Je vous écris depuis le wagon-lit temporairement démantelé dans la chambre de mon ex-femme. Chers Nuages Érodés, Cher Principe de Correspondance, Cher Essieu, Enzyme et Cendre, Cher Exemple d’Excellence,
êtes-vous Frigg ou Freya ? Serpent-cerceau ou boîte à barreaux ?
Gente tortue en cotte-hardie, pourquoi pouffer ainsi ?
Cher Bourreau de Harbin, pourquoi me suis-je éveillé dans la chambre de mon ex-femme ?
Chère ex-femme, j’ai appris à accepter les faibles plaisirs que procure le fait d’être appelé
Le Bourreau de Harbin.
Source : John Yau : Ing Grish, Saturnalia 2005. Traduit de l’anglais américain par Jean-René Lassalle.
Unpromising Poem
I am writing to you from the bedroom of my ex-wife, where I have been stenciling diagrams on sheets and ceiling, intricate star charts of the paths modern soldier ants take to reach the lips waiting at the end of their long journey. There are no red messages in the balloons floating overhead, no tasty tidbits left from the first meeting. I have been told that the soft meat gets softer in the harsh helixes of the second sun.
I am writing to you from the bedroom of my ex-wife, the room in which flocks of birds have returned to the shelves of their one-syllable caves.
Dust settles on the eyelids of those who have yet to emerge from the shadows. Blue sparks etch the edges where the sky falls away, and black clouds fill the chalkboards with sleeping children.
I am writing to you from the bedroom my ex-wife keeps in her bedroom, the Library of Unusual Exceptions, Book of Gaudy Exemptions, Ledger of Lost Opportunities, wavelengths of archaeological soot drifting through the screen.
I am writing to you from the sleeping car temporarily disabled in the bedroom of my ex-wife. Dear Corraded Clouds, Dear Correspondence Principle, Dear Axle, Enzyme, and Ash, Dear Example of Excellence,
are you Frigg or Freya? Hoop Snake or Hoosegow?
O turtle in a kirtle, why must you chortle so?
Dear Hangman of Harbin, why did I wake in the bedroom of my ex-wife?
Dear ex-wife, I have learned to accept the small pleasures that come with being called
the Hangman of Harbin.
Source : John Yau : Ing Grish, Saturnalia 2005.
Bibliographie sélective :
Broken Off by the Music, Burning Deck 1981
Forbidden Entries, Black Sparrow 1992
Borrowed Love Poems, Penguin 2002
Ing Grish, Saturnalia 2005 (avec l’artiste Thomas Nozkowski)
Paradiso Diaspora, Penguin 2006
Exhibits, Letter Machine 2010
Further Adventures in Monochrome, Copper Canyon 2012
Egyptian Sonnets, Rain Taxi, 2012
Bijoux in the Dark, Letter Machine 2018
Traduction en français:
9 poèmes de John Yau sont traduits en français dans l’anthologie 21+1 Poètes américains d'aujourd'hui , éditée par Claude Royet-Journoud en collaboration avec Emmanuel Hocquard, édition Delta, université de Montpellier, 1986
Les Etats-Unis de Jasper Johns, L’Echoppe 2003, traduit par Jeanne Bouniort (un petit essai rare à base d’entretiens éclairant ce peintre discret)
Sitographie :
○Ecouter John Yau lisant Hearsay Song traduit ici dans Poezibao
○Long entretien avec John Yau en 2018
○Mini-portrait vidéo de John Yau dans son appartement plein de piles de livres et d’œuvres d’art, parlant des monochromes d’Yves Klein et de cuisine basque, ou se promenant dans New York avec sa petite-fille et son chien
Traductions et dossier de Jean-René Lassalle