Assemblages et Ripopées pourrait aussi bien être comparé à un tissu tout en reflets soyeux et délicats, un brin râpeux de temps en temps, si l’on convient que le fil de chaîne est constitué par une énonciation qui n’a rien à envier aux aînés Rabelais ou Montaigne quand le fil de trame serre dans les plis du poème tissé, ici Mallarmé ou Nietzsche, là Klemperer, Aristote ou « autre illuminateur d’intelligence » que sont Homère, Claudel, Goethe, etc., ou bien encore tel traité de physique des fluides ou quelque parole conclusive prononcée par certain Stéphane Bourret, et empruntée à quelque site internet consacré au vin – le poème « Assemblage » révèle, en partie, les différents pourcentages des mélanges pour la cuvée de celui qui se nomme « Dubost » dans son poème mais omet quelques références parmi celles citées – la liste vient à la fin. Et si « un vin fatigué est un poète qui a trop bu », « boire ou ne pas boire la question ne se pose pas » : un lecteur qui boit ces cuvées assemblées n’est jamais fatigué. Car si le vin peut parfois anesthésier lorsqu’il est par trop consommé lors d’une « épilénie », le poème de Jean-Pascal Dubost vivifie tout le corps au sens de rendre vivant puisqu’il attise ou anime les sens et l’esprit qui se voient augmentés de leurs capacités. Une forme de réalité augmentée version Dubost.
« Une Ripopée », pourtant « bas mélange de restes vinâtres », « ripopée » venant de « ri(bote) et d’(é)popée, sans que ça soye tip top, sûrement pas hip hop », bénéficie du même engouement. Car là aussi, le tissu a été confectionné avec « la couture de modernes et d’anciens, avec switching et mixing ». Merveille se poursuit dans cette courte deuxième partie, tout comme la première fluide, musicale, rythmée, enlevée, un brin philosophique et amoureuse mais de langue, pour preuve ces quelques mots : « la mort que tous fuyons en accourant d’un vif pas vers elle, elle, concrète qu’on craint ». C’est avec un récurrent « Cher Ronsard » que débutent hymne, dithyrambe, tombeau, épipalinodie, folastrie, épigramme, tous tissus de ripopée.
Dans Nerfs, quelque chose bascule et le poète est directement « relié au poème par les nerfs ». Tout s’affole, et son langage, et jusqu’à l’écoulement du temps dont on ne peut savoir s’il s’écoule trop vite ou si les analepses correspondent à un désir de narration. Ce qui se passe alors affecte tout : « l’énervement tend la prose », le poème fuit, le réveil radiophonique est trop brusque « dans un brouillas mini brouillage syntaxique du monde par ce fait jusqu’au centre-ville dans la turlutaine cacophonique matinale des bouchons dans les oreilles qui t’ouvrent les yeux ». Alors renouvelant la métaphore pour dire le jour présent, usant des accumulations, des effets sonores du langage, de la résonance, le poète tente de sortir de l’universel mauvais langage « de l’informe système démocracra d’élire délirant » qui va jusqu’à faire que le mot « branle sur l’axe syntagmatique sur quoi s’ouvre le magasin d’abus que ce le considérant le cerveau se met en réserverie ».
La dernière section, intitulée Dame, avertit dès le poème « Liminaire » qu’il a été nécessaire de « franchir la barrière des empêchements (littéraires, essentiellement) pour faire œuvre (poétique) d’émotion amoureuse à l’égard du mot “dame” ». Et le poète de s’en remettre à Flaubert dans ces mots empruntés à une lettre adressée à Louise Collet datée du 15 juillet 1853 : « La vie ! la vie ! bander, tout est là. C’est pour cela que j’aime tant le lyrisme. » Comme son aîné, il semble qu’il prenne ainsi le contrepied de Baudelaire pour qui « la brute seule bande bien » car « plus l’homme cultive les arts moins il bande ». Mais tout au contraire, il va user du terme « bandaison » pour suggérer « de tension et de plaisir » dans sa « physique amoureuse » et parvenir au poème érectile. Selon « [son] gros et rural métier, médiéval et seizième », le poète dénonce les « très feintes amours de Poëtes ». Le ton change quelque peu sans doute pour y mieux revenir puisque « trinquons », conclut un des poèmes, car « ça bande comme un cerf de mots dans les vieilles branches historiques » et « c’est le sillon de la femme que diable qui rend l’homme prosaïque et couillon ». C’est donc à son sillon d’Orphée sans le déluge de la dame, à son verbe gouleyant que s’en remet Jean-Pascal Dubost, et ce pour le plus grand plaisir du lecteur.
Régis Lefort
Jean-Pascal Dubost, Assemblages & Ripopées, Éditions Tarabuste, 2021, 14€.