où les choses ont toute la réalité dont elles portent le pouvoir,
je me demande à moi-même tout doucement
pourquoi j’ai moi aussi la faiblesse d’attribuer
aux choses de la beauté.
De la beauté, une fleur par hasard en aurait-elle ?
Un fruit, aurait-il par hasard de la beauté ?
Non : ils ont couleur et forme
et existence tout simplement.
La beauté est le nom de quelque chose qui n’existe pas
et que je donne aux choses en échange du plaisir qu’elles me donnent.
Cela ne signifie rien.
Pourquoi dis-je donc des choses : elles sont belles ?
Oui, même moi, qui ne vis que de vivre,
invisibles, viennent me rejoindre les mensonges des hommes
devant les choses,
devant les choses qui se contentent d’exister.
Qu’il est difficile d’être soi et de ne voir que le visible !
*
Às vezes, em dias de luz perfeita e exacta,
Em que as coisas têm toda a realidade que podem ter,
Pergunto a mim próprio devagar
Porque sequer atribuo eu
Beleza às coisas.
Uma flor acaso tem beleza?
Tem beleza acaso um fruto?
Não: têm cor e forma
E existência apenas.
A beleza é o nome de qualquer coisa que não existe
Que eu dou às coisas em troca do agrado que me dão.
Não significa nada.
Então porque digo eu das coisas: são belas?
Sim, mesmo a mim, que vivo só de viver,
Invisíveis, vêm ter comigo as mentiras dos homens
Perante as coisas,
Perante as coisas que simplesmente existem.
Que difícil ser próprio e não ver senão o visível!
11-3-1914
***
Fernando Pessoa (1888-1935) – Le gardeur de troupeau et les autres poèmes d’Alberto Caeiro (Gallimard, 1960) – Traduit du portugais par Armand Guibert.