Théorie du ruissellement : l’économie pour les ignorants

Publié le 06 juin 2021 par Magazinenagg

 La théorie du ruissellement est un homme de paille utilisé par ceux qui ne connaissent pas grand-chose à l’économie libérale.

J’ai toujours eu du mal avec la théorie du ruissellement et ses réfutations, que j’entends poindre par-ci par-là, pour condamner l’économie libérale. Le lecteur s’en souviendra. Par théorie du ruissellement, on entend vulgairement que les riches créent des richesses qui ruisselleront jusqu’aux pauvres.

Outre le fait que les trois quarts de ceux qui s’imaginent réfuter l’économie libérale, grâce à une magistrale vidéo YouTube de 10 minutes rédigée et produite par un sociologue en déperdition, n’ont jamais vu une courbe d’offre et de demande, d’autres choses me gênent.

En onze années d’étude et presque autant de lectures diverses et variées dans le domaine du champ économique, je n’ai jamais eu la chance de lire une édification de ladite théorie. Pire encore, écrivant moi-même depuis également pas moins de sept années, je n’ai jamais fait mention de ladite théorie.

DES THÉORIES DU RUISSELLEMENT ?

Effectivement, certaines théories analogues au dit ruissellement peuvent sembler exister.

La théorie du déversement d’Alfred Sauvy

Selon cette théorie, les secteurs qui connaissent un choc technologique libèrent un certain niveau de ressources dont ils n’ont plus besoin du fait de techniques de production plus efficientes. Ces ressources se dirigent donc vers la satisfaction de besoins des consommateurs jusqu’alors insatisfaits. On la retrouve également formulée chez Frédéric Bastiat, dans sa défense des machines et du libre-échange.

La théorie du détour de production de Böhm-Bawerk

L’allongement de la période de production et l’introduction de toujours plus de biens d’ordre supérieur (ou consommation intermédiaire : vous ne pouvez pas consommer directement un pneu, mais il vous permet de créer un bien que vous pourrez directement consommer) raconte une histoire similaire.

Grâce à un allongement de la période de production, les processus de production permettent de produire davantage de biens de consommation (ou biens d’ordre inférieur). C’est un phénomène qu’on pourrait qualifier de complexification de la structure du capital, comme qualifié par Ludwig Lachmann. Cette extension des processus de production par l’usage de nouveaux biens d’ordre supérieur engendre et accroît le phénomène de division du travail lequel est une conséquence du progrès économique, et non une cause, comme l’a soulevé Carl Menger.

La courbe de Laffer

Cette règle énonce que toute augmentation des impôts entraîne une augmentation moins que proportionnelle des recettes fiscales du fait du découragement de l’activité, jusqu’à un niveau où un taux d’imposition finit par faire diminuer le niveau total des recettes fiscales. Donc dans cette perspective, la diminution des hauts taux d’impôts entraînerait une augmentation nette des recettes fiscales.

Mais cela n’a rien à voir avec un quelconque ruissellement. Toute action humaine est irrévocablement caractérisée par l’utilité marginale décroissante, et l’arbitrage travail/loisir se fera d’autant plus vers le loisir si les taux d’impôts sont élevés. De plus, la spoliation fiscale finit résolument par ralentir la formation de capital, qui constitue le fonds des salaires d’un pays, et nuit au niveau de tous.

C’est un exposé rapide, et les théories mériteraient davantage que ces quelques lignes. Cependant, elles sont ici à titre illustratif et montrent une chose : la théorie du ruissellement est un homme de paille utilisé par ceux qui ne connaissent pas grand-chose à l’économie libérale.

POURQUOI CETTE ATTAQUE PERPÉTUELLE ENVERS CETTE FAUSSE THÉORIE ?

Peut-être qu’une des sources majeures de cette croyance est que la plupart voient l’économie comme un gâteau fixe à se partager, en partant du principe que le montant de nos ressources est limité. C’est ce qu’Israel Kirzner nomme la « perspective de la tarte fixe » (given-pie perspective).

Or, d’une part, la nature des évaluations des processus économiques est nécessairement subjective, puisqu’ils ont pour but de satisfaire la préférence des consommateurs. Et d’autre part, comme l’a rappelé Israel Kirzner, la tarte ne trouve pas sa légitimité dans son partage, mais dans sa découverte, c’est-à-dire par la découverte d’opportunités de profits inexploités, du fait des erreurs, de la dispersion de la connaissance et l’incertitude radicale du monde réel.

Cette création ex nihilo de la tarte par la perception d’opportunités permet en même temps de mieux satisfaire les consommateurs, ce qui est le but de tout processus productif.

De plus, les gens sont dérangés par cette théorie car elle sous-entend une vérité fondamentale : pour comprendre l’économie, il ne faut pas s’intéresser seulement aux actions individuelles et à la bonne volonté des décideurs, mais aussi aux conséquences involontaires qu’elles engendrent, aux ordres qu’elles forment par leur récurrence.

Cette théorie remet donc en cause trois croyances des masses en même temps que trois croyances politiques :

  • L’atavisme, qui repose sur la croyance que la justice repose sur une notion arbitraire du mérite et d’un ensemble de fins hérité alors que le processus de marché récompense simplement les plus à même de satisfaire les consommateurs et donc de valoriser les ressources économiques, et donc ceux qui savent s’épargner des charges inutiles.
  • L’hubris, qui consiste à croire que tout ordre humain peut facilement être érigé par un cerveau humain qui aurait accès à toute la connaissance donnée du monde.
  • L’animisme (nommé animistic fallacy par Thomas Sowell) qui consiste à croire que tout ce qui arrive suite à une décision est désiré. Les chefs de tribus pensaient par exemple que la foudre était une manifestation de la colère des dieux. Cette croyance trouve son parallèle dans les phénomènes sociaux. Cependant, l’une des principales répercussions d’un monde dans lequel tout individu est radicalement ignorant des processus qui le constituent est que nos actions ont souvent des répercussions inattendues qui engendrent des ensembles de réactions, positives ou négatives.

C’est pour cela que, comme Hayek l’a rappelé, les intellectuels sont naturellement portés vers le socialisme, ou du moins, vers toute philosophie qui leur accordera une place de choix dans l’édification de l’ordre social.