Daté Atavito Barnabé-Akayi est un poète Béninois qui est une voix incontournable dans son pays et en Afrique francophone. Il nous propose une critique de Morts, debout! de la québécoise Nora Atalla...En décembre 2012, par le biais du poète Fernando d’Almeida, Président d’honneur du Festi7, Festival de Poésie des 7 Collines de Yaoundé, j’ai été invité à partager ma création poétique et je rencontrai la poète québécoise Nora Atalla et sa poésie qui grandit, depuis. Depuis l’année passée où paraît son poème-ruban aux Ecrits des Forges (Québec), l’humanité ploie sous le faix d’une pandémie meurtrière (la Covid-19) qui bouleverse totalement les modes de vie dans tous les domaines. Avant, le monde entier voyait le souffle de George Floyd s’échapper sous le genou oppresseur de Derek Chauvin. La poète interroge dans une démarche philosophico-esthétique et tout intérieure notre rapport à la vie mais surtout à la mort, notre sort ultime. Un poème eschatologique, si on peut le dire. Autrement, elle semble indiquer l’humanité comme responsable de toutes les calamités qui l’assaillent les unes après les autres, sans répit ; en remontant vers les variantes souffrances de la gent féminine. En faisant fi de la parenté possible avec le refrain de l’Hymne National de mon pays, le Bénin, le titre (Morts, debout !) construit comme un impérativisme donne à voir, par l’apostrophe, un appel pour réveiller les morts, les absents, ceux qui ne sont plus, peut-être même l’Afrique endormie, infantilisée, la planète Terre malade. Un mot d’ordre (l’interjection « debout !») pour la résurrection à une époque où le confinement se rapproche d’une cessation de vie, les maisons devenues des caveaux, les hôpitaux de véritables mouroirs. Le poème, telle une épopée tragique, se déploie en une prosopopée, une allégorie ténébreuse dans sa géométrisation asyndétique convoquant des thèmes centraux : la mort, le désespoir, l’espoir ténu d’une humanité restaurée. Autant de thèmes qui dessinent en filigrane la figure d’Abiku.
La mort
Ce thème est donné dès le titre du poème ; et, au fil de la lecture, il se propage en perte, en désolation, en infini désespoir. La mort est évoquée sous ses multiples formes (la maladie, le racisme, la guerre, la pauvreté, les catastrophes écologiques, l’immigration…) et colore le poème de sa noirceur, de son horreur en lui attribuant une tonalité fantastique. enfin libres nous sortirons du sable les têtes décapitées (p.19) Cette mort, étendant partout son royaume telle une épidémie, interdit toute positivité, restreint la liberté si elle ne l’a pas encore occise ; et, comme la rouille érode l’humanité, elle détruit toute manifestation d’amour devenue futile dans un monde affaibli par la maladie, la violence, l’instabilité. La vie subit une dévalorisation agressive sous l’emprise mortifiante qui conduit à une lente déshumanisation abolissant toute idée de compassion, toute notion d’empathie.Dans le registre de la Mort Le mauvais sort t’a inscrite ô tendresse (p.47)La mort exige le deuil de ceux qui sont morts mais la poète orchestre un déni et lance ce poème-thrène qui dit la douleur et la souffrance des survivants et leurs efforts pour « sauver les moribonds » (p.15) car la mort corrompt tout ainsi que le laisse voir la sémantique funèbre (« l’absence n’épargne ni le cœur ni l’ironie » p.13). Le cercle vicieux des hécatombes dans les traditions anciennes réclame purification des âmes, rituel d’exorcisme pour rétablir l’harmonie que la présence permanente de la mort trouble. Ainsi s’appréhende le projet de la poète : un rituel pour éloigner la mort en s’opposant à elle par ce cri de révolte poignant qui rappelle le combat d’Abiku pour la vie.
La figure d’Abiku
Abiku incarne, on le sait maintenant, le combat de la vie contre la mort représentative de tous les aspects négatifs de l’existence. Il est la lumière qui jaillit des ténèbres pour diffuser la chaleur de la vie. Aussi la figure d’Abiku concentre-t-elle l’espoir inébranlable du retour à la stabilité après le cycle sombre des pertes, des fausses couches. On avait rêvé Mais toutes les naissances avaient faussé les couches (p.30) Ainsi que le Christ, la poète détient alors le pouvoir de ressusciter les morts. Les figures du Christ et de la poète se confondent dans celle d’Abiku qu’ils incarnent. De ce fait, ils détiennent le secret de la vie, de la lumière qui semble quotidiennement fuir l’environnement terrestre.Abiku ramène aussi à l’enfance, à l’innocence, à la pureté mais également à la souffrance des avortements, des infanticides (« comment survivre à l’homicide de l’enfance », p.38). L’enfance, projection du futur, subit les violences du siècle, sans protection. C’est pourquoi la poète lance cette mise en garde collective pour préserver la femme, reléguée en arrière (alors même que des dirigeantes comme Angela Merkel se sont illustrées de la plus noble manière) mais aussi et surtout l’enfance.
Si nos ventres portent toute la foudre du passé si nos cœurs renoncent à la source salvatrice si jamais nous refusons la rédemptionnos enfants naîtront tâchés du sang des taureaux leurs membres auront la couleur du gouffre les lombrics ramperont jusqu’à leurs yeuxil n’y aura pour eux ni sel ni piment (p.56)Seule la pédagogie peut tracer aux enfants le chemin de la lumière, infuser les valeurs pour restaurer une humanité sans malaise.