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(Note de lecture), Bernard Noël, Bernard Moninot, Un toucher aérien, par Alexis Pelletier

Par Florence Trocmé


CVT_Un-toucher-aerien_5479L’histoire de l’ouvrage est présentée, de manière très précise, par Renaud Ego, dans la préface. Quand commence ce qu’il faut maintenant appeler le premier confinement en France (annoncé le 16 mars et en vigueur dès le lendemain), Bernard Moninot qui voit son exposition Ensecrètement à la Galerie Fournier se fermer quelques jours après son vernissage, se trouve dans son atelier de Château-Chalon, où il a commencé à dessiner à l’encre de Chine, « sur un papier Arches de 41 x 31 cm », un arbre par jour, d’après un « stock de photos collectées depuis des années, au cours de nombreuses promenades », comme il l’a confié à Christian Rosset (article sur le site de la revue Diacritik, en date du 21 janvier 2021, sous le titre « Constellation d’hiver 1). Si les quatre premiers dessins ne sont pas datés, le 5e date du 15 mars et d’une façon presque quotidienne, ils s’échelonnent jusqu’au 10 mai 2021. (Pour être précis, pas de dessin aux dates suivantes : 16, 20, 25, 31 mars, 4, 7, 17 avril et 9 mai et deux dessins les 30 mars, 6 et 18 avril, et 5 mai). Très vite Bernard Noël a été destinataire privilégié de ces dessins. Il écrit un premier texte pour l’arbre n°12 du 23 mars. Et reviendra sur les 11 premiers dessins après le 11 mars. Un toucher aérien est donc un projet qui a traversé le premier confinement. Et il constitue le dernier livre de poèmes publiés par Bernard Noël. Celui-ci, dans un mail du 21 décembre dernier s’interrogeait à son sujet : « Ce livre avec Moninot, est-ce un livre ? Il s’est fait inconsciemment, ce qui ne m’était jamais arrivé ! » Cette improvisation, cependant, suit un mouvement qui retrace une bonne partie des lignes de force de l’écriture de Bernard Noël. Les 13 premiers textes s’interrogent sur le voir et, si je peux dire, sur les mots de ce voir. « Voir, c’est distinguer une forme. / La nommer fait appel à notre mémoire / et bien vite à notre pensée. » (Arbre n°12). Ce sont les premiers mots de Bernard Noël dans ce livre et l’on doit constater ici qu’ils sont disposés comme des vers et qu’ils reformulent les interrogations de l’auteur sur la place du voir, dans les liens qui se créent du corps à l’espace, avec ou sans mots. Puis avec l’Arbre n°25, un dialogue se construit, dont Renaud Ego dit justement qu’il reconnaît aux encres de Moninot, « une qualité de transparence ou de conduction ». Et ce dialogue avec l’arbre de se poursuivre, avec des variantes qui font presque penser à des références à La Comédie intime. On passe par le vous du pluriel et celui de politesse. Et l’adresse, à la fois distanciée et précise, affine le regard que les lectrices et lecteurs portent sur les encres de Moninot, sur les mots des poèmes et plus durablement encore sur la manière de regarder les arbres autour de soi : « Vous m’avez tellement l’air d’une petite bande en train de profiter du ciel bleu et du printemps que j’en oublie votre condition d’individus bien plantés et qui ne bougent pas. » (Arbre n°39). Il y a, dans l’écriture de Bernard Noël, une légèreté qui me paraît l’exacte réponse à la virtuosité des encres de Moninot et toucher aérien permet aux mots de désigner sans détour « l’absence d’autre choix que vivre ou mourir. » (Arbre n°8). Toute l’œuvre de Bernard Noël me semble avoir dit cette absence. Évidemment, alors, le dernier texte, pour l’arbre n°11 (dessin daté du 23 mars 2020), sonne, ainsi qu’on le lira ci-dessous, comme un adieu discret et toujours inachevé à l’écriture.
Alexis Pelletier
Bernard Noël, Bernard Moninot, Un toucher aérien. Préface de Renaud Ego, ARTGO & Cie, 2020, 30€
Arbre n°11
Un arbre peut-il être en deuil ? Pas de raison qu’il le soit de ses feuilles, qui repoussent régulièrement. Alors pourquoi ma question ? Parce qu’une grande tristesse émane de tes branches, de leurs croisements, de leur attitude : quelque chose, en effet, de mortuaire. Il se peut que ce soit moi qui projette ce sentiment, mais tu l’as provoqué par la manière dont tu mets dans l’espace une sorte d’élan funèbre. Ne me dis pas qu’un arbre n’est pas sentimental comme un humain, je sais bien que ma race est capable de toutes les violences mais elle est aussi, et comme proportionnellement, sensible à toutes les émotions et prête à les partager. J’aimerais un sourire, que tu ne peux mimer, alors un petit geste d’adieu et que, tendrement, il parcoure l’espace vers mon visage, sans fin…


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