Cameroun – Violences : Enfants abusés et sans défense

Publié le 04 juin 2021 par Tonton @supprimez

Très souvent commises par leurs proches, ces adolescents victimes d’abus en sortent traumatisés et même malades.

Violée, isolée, bastonnée et même privée de nourriture pendant des jours, Alicia, 12 ans et élève en classe de Cm1, a subi toutes sortes d’abus sur mineurs. Victime de violences sexuelles à l’âge de 8 ans par son beau-père, la jeune adolescente s’est enfuie du domicile familial pour se réfugier dans un orphelinat. Encore traumatisée par ce qu’elle y a vécu, elle raconte : « tout a commencé lorsque j’avais 8 ans. Enfant précoce, mes seins faisaient déjà leur apparition. Mon beau-père a alors commencé à se comporter bizarrement avec moi. Il me demandait de lui caresser les parties intimes, en échange de quelques friandises ». Lorsque la jeune fille s’y opposait, elle était alors bastonnée puis enfermée dans sa chambre, tout ceci sous le regard indifférent de sa mère. « Il pouvait m’enfermer pendant deux jours, en me privant d’eau et de nourriture. Les fois où ma mère a intervenu, il l’a copieusement bastonnée, au point de lui casser la mâchoire », raconte Alicia toute triste. Tout comme elle, Eloys a été victime d’attouchements sexuels par sa cousine alors qu’il n’était âgé que de 7 ans. Il témoigne : « j’étais en vacances chez ma tante. Chaque soir, ma cousine de 12ans mon ainée avec qui je dormais me caressait le pénis et l’introduisait sans sa bouche. Elle me mettait aussi ses seins dans ma bouche ».

Violences psychologiques

Emeraude, 9 ans et élève en classe de 5e au lycée de Nkoleton, avait dû changer d’établissement scolaire à cause de la pression morale qu’elle subissait de la part de ses camarades de classe. « A la pause, il y avait un groupe de filles qui venait réclamer mon goûter. Lorsque je refusais, elles me l’arrachaient et me menaçaient de me battre à la fin des cours », raconte-t-elle. Face à cela, Emeraude a développé une peur bleue pour l’école et fuyait désormais les cours. « Tous les matins quand le chauffeur me déposait devant le portail de l’école, je faisais demi-tour et j’allais me balader. J’avais très peur de croiser à nouveau ces camarades de classe », révèle la jeune fille.

Hassane quant à lui, est traumatisé depuis sa tendre enfance à cause des scènes de violences dont il était victime dans sa famille. Handicapé visuel, il a perdu l’œil gauche à cause d’un coup qu’il a reçu lors d’une violente dispute entre ses parents. « Ce soir-là, mon père est rentré ivre et s’est mis à battre ma mère. J’ai voulu m’interposer et j’ai reçu un plat cassable en plein visage. Ça m’a blessé et je n’ai plus jamais retrouvé la vue avec l’œil gauche. Je devais avoir 5 ou 6 ans, et j’étais souvent témoin de pareilles scènes », se souvient-il tristement.

Quand les orphelinats s’y mettent

S’il nous vient à l’esprit de penser que les enfants orphelins ou abandonnés qui ont été victimes d’abus ou violences seraient mieux encadrés dans des orphelinats, la réalité en est toute autre. Jean-Pierre, enseignant dans un internat de la capitale témoigne : « ces enfants sont privés de nourriture lorsqu’ils commettent une bêtise. Pire encore, ils ne reçoivent pas trois repas par jour, mais un seul. Et, ce n’est pas par manque de provisions, mais tout simplement parce que la promotrice garde tout pour sa famille et elle. Cet orphelinat est très sollicité pour les dons. Mais les propriétaires s’en accaparent et n’en font pas bénéficier aux orphelins». En 20 ans de service dans cet orphelinat, Jean-Pierre dit avoir voulu démissionner plusieurs fois. Mais son amour pour ces enfants défavorables l’a fait rester. « Il m’est difficile de me détacher d’eux. Il y a des matins où quand j’arrive en classe, ils me disent qu’ils n’ont rien mangé la veille. Et ceux qui se plaignent à haute voix se font molester par l’encadreur », affirme-t-il, le visage fermé. « Ici, la seule punition des enfants c’est le fouet. Il arrive parfois que l’encadreur les tape jusqu’au sang. Pire, ces enfants ne bénéficient d’aucune prise en charge médicale », ajoute Irène, une voisine.

Dans un autre orphelinat situé au quartier Nlongkak, le constat est le même. Franck, pensionnaire de cet orphelinat se plaint : « depuis hier je n’ai mangé qu’un paquet de biscuit. Ce matin on nous a dit qu’il n’y a pas de nourriture et qu’on doit serrer le ventre ». Pourtant, Maïramou, ménagère et maitresse d’internat, révèle que : « nous avons reçu des dons le weekend dernier. Mais mardi, comme à l’accoutumée, madame a envoyé un mini car récupérer toutes les provisions pour les envoyer dans son village ».

Complices de ces abus

Très souvent alertés, les proches de ces victimes ne souhaitent pas aller plus loin, craignant que l’affaire ne s’ébruite. C’est le cas de Grâce, la maman d’Eloys qui, lorsqu’elle a été alertée par son fils sur les attouchements dont il était victime, elle a saisi la police afin que l’affaire soit jugée par les autorités compétentes. Malheureusement, elle s’est réfractée suite à la pression familiale. Elle confie : « les miens m’ont dit que le linge sale se lave en famille, et qu’il ne serait pas bon pour nous que des inconnus soient au courant d’une pareille histoire. J’ai préféré retirer ma plainte et régler le problème en interne ». Alicia quant à elle, souligne que sa mère n’a jamais intervenu lorsque son beau-père abusait d’elle, à cause de son rang social. Pour la jeune adolescente, sa mère ne pouvait rien faire face aux pulsions sexuelles de son mari. Issue d’une famille extrêmement pauvre, la maman d’Alicia a été forcée d’épouser un homme modeste, alors qu’elle était âgée de 18 ans. « Ma mère me racontait que si je refusais de me livrer à son mari, il nous jettera à la porte et mes grands-parents allaient nous répudier. Elle a préféré que je quitte la maison, plutôt que d’exposer le problème au grand jour », affirme-t-elle amèrement.

Murielle Tchoutat