Du storytelling pour faire de l’urbanisme

Publié le 03 juin 2021 par Dangelsteph

Et si... le storytelling pouvait contribuer à faire progresser les projets urbains vers davantage de pertinence, d'adéquation aux besoins des habitants des villes ?

Ben oui. On voit souvent le storytelling comme une technique de communication. Autrement dit : quelque chose de non essentiel, pour employer le terme consacré. Et bien, c'est très loin de se limiter à cela. C'est en réalité un outil de créativité au même titre que d'autres techniques. On a parfois tendance à l'intégrer dans une démarche en tant que sous-ensemble (dans le design thinking par exemple). Mais il a tout à fait le potentiel pour se suffire à lui-même ou être associé à parts égales avec une autre technique, au service d'un objectif.

Cet article m'a été inspiré par les travaux de chercheurs de la Federal unversity of Rio de Janeiro et de l'Institute for Systems and Computer Engineering, Technology and Science (INESC TEC) au Brésil. Il ont communiqué leurs résultats dans le cadre d'une conférence en mai 2021 (aucune idée du titre de cette conférence et du lieu dans lequel elle s'est tenue, par contre). Au moment où j'écris cet article, c'est donc tout frais.

Le mythe du digital :

On s'est dit qu'on allait faire du digital et que voilà, c'était bon, tout bien top moumoute.

C'est sûr que c'était déjà mieux que des décisions prises tout en haut et communiquées tout en bas, à ceux qui auraient à les subir et à s'en accomoder. Pendant longtemps, on décidait comment allait se développer la ville, on planifiait l'urbanisme entre "sachants".

Ensuite, les critiques ont commencé à émerger, contre ces pratiques qui ne donnaient la parole à personne. On a donc voulu faire du "participatif", avec différentes méthodes analogiques (réunions, enquêtes...). Et puis, on s'est aperçu que, petit à petit, la participatif s'essoufflait... faute de participants. Enfin, il y a toujours des gens qui viennent, mais ils ne sont souvent pas du tout représentatifs et viennent surtout pour exprimer des récriminations. Pas toujours en rapport avec le sujet de l'événement participatif. Sans oublier les biais liés à la méthode de facilitation utilisée pour la consultation du public.

On a donc ajouté d'autres cordes à l'arc du participatif : digitales sur les réseaux sociaux voire des plateformes de consultation ad hoc en ligne. Voire du crowdsourcing en ligne. Succès mitigé au final, si on ne prend en compte que le digital. Le digital seul ne peut pas faire de miracles. C'est comme la BD il y a quelques années : devant son succès, beaucoup d'entreprises ont dit "chiche, on va faire une BD sur nous et ça va le faire !"... Que tu crois, mon gars ! Ou bien, "on va faire une chaîne YouTube, les vidéos ça marche du tonnerre !".

Et bien non, ça ne marche pas. L'outil est une chose, le contenu en est une autre. C'est comme au cinéma : on peut faire autant d'effets spéciaux qu'on veut, si le scénario est nul, le film est nul.

Ce qui marche : crowdsourcing +... storytelling !

Petit rappel : ce n'est pas moi, en tant que consultant en storytelling, qui place ma soupe à toutes les sauces. Je me base sur les travaux des chercheurs brésiliens.

Ce qui fonctionne, dans la planification urbaine, l'urbanisme, c'est l'intelligence collective. La vraie. Pas celle qui consiste à consulter les gens alors que tout est déjà décidé (on sait déjà ce qu'on va faire, en fait).

Mais même cela, consulter réellement les gens, ça ne suffit pas. Il faut voir et aller plus loin : faire du crowd storytelling. Imaginer avec les gens l'histoire qu'ils ont envie de vivre. Crowdsoucing + storytelling donc. Un genre de storytelling sociétal.

Ce n'est pas de la fiction. Cela a même déjà été pratiqué. Je me souviens que ma collègue storyteller néo-zélandaise Mary-Alice Arthur avait fait ce travail à l'échelle de son pays. Petit pays, la Nouvelle Zélande, mais si c'est possible à l'échelle d'une nation, pour une ville, même grande, aucun souci.

Tout le monde peut raconter l'histoire qu'il a envie de vivre. Tout le monde ne possède pas tous les talents, par contre, pour exprimer en dessinant (ou par n'importe quel autre moyen créatif) la ville de ses rêves.

Les usages possibles du combo crowdsourcing - storytelling :

    Des possibilités d'utilisation très diversifiées : mobilités dans l'espace urbain, choix budgétaires (même un tableur Excel peut raconter une histoire), identification de problèmes (et là, c'est le rôle du storytelling analytique, dont nous parlons, avec Jean-Marc Blancherie, depuis le premier livre que nous avons écrit ensemble sur le storytelling en 2009), choix architecturaux, paysagers...

Au final, dans ce type de démarche, c'est autant les habitants qui parlent de leur ville que la ville qui leur parle à travers eux. Souvenez-vous que dans le storytelling, nous sommes rarement nous-mêmes les véritables héros des histoires que nous racontons, y compris quand nous parlons de nous !

Les composantes de cette histoire urbaine :

    Un espace : on se souvient que dans toute bonne histoire, il y a un ingrédient clé, le contexte. Et bien l'espace, dans le storytelling de l'urbanisme, a bien entendu à voir avec le contexte, mais il est aussi un personnage de l'histoire, peut, selon les récits, être le problème à résoudre, ou, pratiquement tout le temps en fait, faire partie des actions menées pour résoudre le problème posé. Il est partout, donc.
    La vie : pas besoin d'en dire long, la vie c'est du storytelling, c'est l'action qui se déroule dans l'histoire, avec ses avancées, ses retournements, points de basculement...
    Des langages : si une histoire se raconte, il lui faut bien sûr s'exprimer dans une certaine langue, utiliser un certain langage. Ou des langages, tant la ville peut être plurielle et que sa personnalité et celle de ses habitants peut être multi-dimensionnelle. Cela participe à la fois de la poésie et de la dynamique de l'histoire.

Une histoire ou des histoires urbaines ?

Je n'aurais peut-être pas dû parler des composantes d'une histoire urbaine. Car, évidemment, cela donne à croire qu'il n'y aurait qu'une seule histoire. Ce n'est pas le cas. Certes, à la fin, il y a une méta-histoire, un méta-storytelling, mais seulement à la fin. Et il est le fruit d'une multitude d'histoires. Le travail le plus intéressant dans une démarche de storytelling urbain (à but d'urbanisme) est sans doute la phase de connexion des histoires des habitants entre elles. C'est une clusterisation riche d'enseignements. Et qui, donc, au terme du processus, débouche sur une histoire chapeau ou parapluie (utilisez l'image qui vous parle le plus !).

Et le digital dans tout ça ?

Oui, le digital a un rôle à jouer dans ce processus de crowdsourcing - storytelling. Mais uniquement en association avec ces deux techniques : que ce soit pour générer des histoires (sur un blog, les réseaux sociaux, une plateforme spécialement créée -on aime bien, souvent, dans le monde des collectivités locales, réinventer ce qui existe déjà :) ou pour les clusteriser (avec des outils comme Klaxoon, Padlet...).

Ce ne sont pas les outils digitaux qui manquent et il serait inutile d'en dresser une liste définitive tant ce secteur est mouvant.

Le modèle opérationnel proposé par les chercheurs brésiliens :

Dans le modèle de crowdsourcing - storytelling proposé par les chercheurs brésiliens, il y a plusieurs rôles différents :

- le commanditaire

- les citoyens

- des curateurs (facilitateurs)

Une première phase, de divergence, débute par une planification du processus par un curateur qui crée des tâches à réaliser. S'ensuit une phase de création d'histoires qui se déroule entre les curateurs et les citoyens.

L'étape suivante du processus est de nature convergente, avec un vote sur les histoires et un achèvement du projet consécutif.

Rien de fou dans la méthodologie, du simple et de l'efficace, facile à mettre en place quelle que soit la taille de la ville qui voudrait l'utiliser.

C'est ce que nous aimons faire chez Storytelling France : montrer que le storytelling, ce n'est pas compliqué, c'est tout le contraire d'une usine à gaz, c'est simple et efficace.