Oui, bien sûr, il fallait aider les salariés, les indépendants, les entreprises… dès lors que les Etats avaient pris la décision d’immobiliser la société pour cause de pandémie. Mais cet arrêt forcé doublé d’une manne incontrôlée risque d’avoir des effets collatéraux pires que la pandémie.
Le cercle vicieux : endettement, inflation, impôts
Maintenant, il va falloir réduire les aides et couper le cordon du respirateur artificiel sous lequel vivent de nombreuses entreprises, et cela depuis le début de la pandémie. Les procédures collectives sont tombées à un étiage anormalement bas. Les bourses se sont envolées sans considération des lendemains qui ne chantent pas toujours et qui pourraient connaître une correction impromptue. La BCE s’inquiète des faillites à venir alors que l’endettement serait passé de 220% de leurs fonds propres fin 2019 à 270% fin 2020 pour les 10% des entreprises les plus endettées. D’autant que dans le même temps, la rentabilité des banques s’est réduite et la dette des Etats européens a été portée de 86% du PIB en 2019 à 100% en 2020, sans s’inquiéter du remboursement que chacun voudrait remiser aux oubliettes.
Les signes d’inflation aux Etats-Unis rappellent pourtant les dangers que génère toute intervention excessive des Etats. Les prix américains ont bondi de 4,2% sur un an en avril. L’administration Trump avait fait un effort déjà très important en faveur des ménages, qui avait permis d’asseoir la reprise aux Etats-Unis. Les plans successifs de Joe Biden se sont perdus en surenchère et au total ce sont près de 6 000 milliards de dollars qui seraient engagés. Cet argent surabondant est sans doute une cause, sinon la cause, de la renaissance de l’inflation alors que de nombreux secteurs industriels sont freiné par la pénurie de composants et par une hausse de leurs prix, après d’une part la désorganisation créée par la pandémie et d’autre part la réduction des échanges mondiaux.
Certes, rien ne dit que cette inflation persistera. Elle est peut-être un dérèglement passager qui s’estompera quand disparaîtront les goulets d’étranglement des matières premières et les hausses du pétrole. En Europe le phénomène est moindre même si l’Allemagne a connu une quatrième hausse mensuelle continue de ses prix avec un taux d’inflation annuel de 2% en avril. Mais les dépenses budgétaires massives des Etats vont sans doute conduire à des hausses d’impôts, peut-être significatives, surtout si l’inflation provoque des hausses des taux d’intérêts qui pèseront lourdement sur les Etats surendettés. D’ailleurs d’ores et déjà, Biden veut faire payer son plan de relance aux entreprises et aux riches. Cette hausse massive de la fiscalité risque de peser sur l’investissement qui avait beaucoup augmenté sous le mandat de Trump. L’Europe aussi a programmé à bas bruit une hausse de 0,6% de ses prélèvements sur le revenu national brut des Etats, que chaque pays doit lui reverser jusqu’en 2058 pour rembourser les prêts et subventions de son plan de relance de 806 milliards d’euros. Elle prévoit en outre de pouvoir lever des impôts européens sur le plastique, sur les entreprises numériques, sur les transactions financières… Elle profite ainsi de la pandémie pour centraliser et se renforcer en empiétant sur la souveraineté fiscale des Etats et en violation du principe de subsidiarité qui a présidé à sa fondation.
L’Etat déboussole le marché
En France, les petites entreprises sont inquiètes. Plus de la moitié des TPE-PME, 53%, craignent pour leur pérennité selon une enquête réalisée par la CPME et 22% des patrons contactés à cette occasion disent avoir des difficultés à payer leur loyer. Ils sont près de 58% à avoir demandé la prolongation de leur PGE tandis que les prix de revient de leurs produits grimpent sans qu’ils soit toujours possible de répercuter ces hausses dans les prix de vente. Le gouvernement français veut instaurer à titre provisoire une procédure rapide, simplifiée et discrète pour permettre aux petites entreprises de moins de 20 salariés ayant moins de 3 millions d’euros de passif déclaré de renégocier en trois mois l’ensemble de leurs dettes avec un étalement de remboursement jusqu’à dix ans. Cela reportera sans doute des dépôts de bilan, mais en créera d’autres chez tous les créanciers impayés !
Face à ces prémisses de possibles fièvres plus graves, les banques centrales s’interrogent pour savoir si elles ne doivent pas réduire, plus ou moins rapidement, leurs politiques de quantitative easing, c’est-à-dire de rachat massif d’instruments de crédits qui permettent en particulier aux Etats de mener des politiques d’emprunt facile et à taux bas. Mais il leur sera difficile d’arrêter la machine emballée du crédit à crédit sans prendre le risque de mettre en péril les Etats drogués au poison de l’argent facile.
Cette intervention croissante de la puissance publique dans la vie économique peut coûter cher pour de médiocres effets. Mais le plus dangereux est sans doute moins son coût, même s’il est aussi nuisible que peu efficace, que la déstabilisation à laquelle elle contribue. Cette ingérence publique rend artificiels les prix et fait perdre ses repères au marché. Elle introduit de l’aléa dans la propriété, dans les contrats, dans la valeur de l’argent et dans les relations financières entre prêteurs et emprunteurs… Puis quand la puissance publique aura déboussolé le marché, elle pourra dénoncer son mauvais fonctionnement pour justifier d’accroître encore le rôle des Etats dans un cercle vicieux qui mène toujours à la pauvreté.