Redevance audiovisuelle et publicité : Les médias privés veulent leur part du gâteau

Publié le 02 juin 2021 par Tonton @supprimez

Le Cameroun s’est engagé auprès de la communauté internationale à adopter des lois pour permettre à ses citoyens de jouir du «droit à l’information» et du «droit d’exprimer et diffuser ses opinions». Malheureusement cet engagement n’est pas respecté. Seule la Crtv bénéficie d’un traitement de faveur. Les médias privés sont oubliés dans la précarité, et peuvent porter plainte.

La situation de misère dans laquelle vivent les radios et télévisions privées au Cameroun en ce moment a poussé les patrons à la révolte. Ces patrons ont raison. Car en l’espace de moins de dix ans, ils ont perdu presque tous leurs meilleurs employés qui ont démissionné pour aller gonfler les effectifs de la Cameroun Radio and Télévision (Crtv), la télévision publique, où le traitement salarial et les avantages sont meilleurs que dans le privé.

En plus de bénéficier de la redevance audiovisuelle, la Crtv se taille les grosses parts dans les annonces publicitaires. Un domaine non régulé qui profite uniquement à la chaîne publique, alors que les médias privés ont du mal à payer les salaires et trouver des moyens financiers pour offrir des programmes attrayants.

Il faut que ça change

«La redevance audiovisuelle avait été adoptée à l’époque où il y avait uniquement la télévision publique. C’est payé par tous les fonctionnaires. Mais aujourd’hui que la Crtv est en compétition avec d’autres médias privés, il faut repenser cette redevance audiovisuelle. Elle ne peut plus être l’exclusivité de la Crtv. Dans ce cas, il y a deux options. Soit on laisse la redevance audiovisuelle à la Crtv et on lui retire la publicité pour donner aux chaînes privées. Soit on distribue la redevance à toutes les chaînes de télé. Voilà encore un autre problème qui fait entorse à la loi», affirme Cyrille Bojiko, le Directeur général de la radio et télévision privée Balafon, qui émet à Douala, la capitale économique.

Comme lui, plusieurs directeurs de médias privés souhaitent que l’Etat trouve une solution concernant la régulation de la redevance audiovisuelle, ainsi que de la publicité dans un environnement concurrentiel, où de nombreuses stations de radios et de télévisions ont vu le jour depuis la libéralisation du secteur de l’audiovisuel.

Pour Rodrigue Tongue, rédacteur en chef délégué de la télévision privée Canal2 international, au Cameroun, il n’y a aucune réglementation pour réguler ou limiter la publicité à la télévision et à la radio publique. La Crtv peut faire de la publicité même pendant toute la journée sans soulever d’objections. «Pourtant on devrait mettre sur pied des quotas, comme ça se fait dans tous les pays développés. En France par exemple, la publicité est limitée dans la télévision publique. Il y a des heures où la publicité est encouragée dans les médias privés, en soirée, aux heures de prime time. Et c’est une réorganisation qui a été faite. Au Cameroun, on a besoin de faire aussi une réforme de ce secteur», explique-t-il.

Pour Ananie Rabier Bindzi journaliste à Canal2, les textes qui régulent la redevance audiovisuelle et la publicité sont vieux. «À l’époque la redevance audiovisuelle s’appelait la taxe Crtv. D’autres journalistes l’appellent la perfusion, parce qu’elle rajoute d’un coup plus de 100 000 fcfa sur le salaire de chaque journaliste. De nos jours, il y a des nouvelles télévisions privées. Il faut trouver une nouvelle formule», indique le journaliste Anani.

A la télévision privée Equinoxe, les dirigeants pensent que les médias privés ont progressivement pris une place importante dans la société au point de remettre en question le professionnalisme et l’objectivité des médias d’Etat. Et il serait tout à fait normal que l’Etat respecte ses engagements, ceux d’apporter un soutien à tous les médias, et non seulement à la Crtv.

Les autres chaînes de télévision comme Dbs, Stv, Ltm et autres vont dans le même sens. Surtout qu’elles n’arrivent pas à décrocher de grosses annonces publicitaires, qui vont toujours à la chaîne publique.

Le ministère de la communication indique qu’il faudra engager des discussions avec les patrons de médias privés pour trouver un équilibre. Mais que la loi sur le sujet devrait être adoptée à l’assemblée nationale.

Les engagements internationaux non respectés

L’Etat a signé et ratifié des traités sur le plan international, c’est-à-dire des engagements qui ont plus de poids que la constitution et qu’il doit donc respecter. En clair, le Cameroun s’est engagé auprès de la communauté internationale à adopter des lois pour permettre et à ses citoyens de jouir du «droit à l’information» et du «droit d’exprimer et diffuser ses opinions».

L’article 9 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples précise que «tout le monde a droit à l’information». L’application de cette loi est rendue obligatoire par l’article 1 de cette même charte qui stipule que «les Etats membres de l’organisation de l’Union Africaine, parties à la présente charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés annoncés dans cette charte et s’engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer».

L’article 2 de la charte qui est aussi une autre mesure de contrainte de l’Etat à respecter le droit à l’information, précise que «toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion d’origine nationale ou sociale ou de toute autre situation».

L’Etat a également l’obligation de prendre des mesures pour que ses citoyens jouissent de la «liberté de rechercher, de recevoir, et de répandre des informations et des idées de toute espèce sans considération de frontières, ou sous une forme orale, écrite, imprimée, artistique ou par tout autre moyen de son choix».

l’Etat est obligé de respecter les exigences de cet article en vue des dispositions de l’article2 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui stipule que «Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur».

Seule la Crtv Bénéficie de ces dispositions alors que les médias privés font le même travail d’information. Si l’Etat ne leur donne pas satisfaction, les patrons de presse peuvent saisir la justice pour contraindre l’Etat de respecter leurs droits en se fondant sur les textes cités. Un combat que les patrons de médias privées sont d’ailleurs prêt à mener, puisqu’ils préparent une rencontre avec le ministre de la ministre de la communication sur cette question dans les prochains jours.

Hugo Tatchuam