En novembre 2019, le Gouvernement camerounais a rendu public sa Stratégie Nationale de Développement (SND) qui devrait couvrir la période 2020-2030.
Cette stratégie qui se veut être le cadre de référence de transformation structurelle de l’économie et de développement inclusif, a pour entre autres objectifs de faire du Cameroun un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et de jeter les bases de l’atteinte du stade de pays industrialisé à l’horizon 2035.
Pour atteindre ces objectifs, le Gouvernement entend mettre en place les conditions permettant de porter le taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) à plus de 8% en moyenne entre 2020 et 2030. Un tel engagement peut paraître osé et trop ambitieux, mais à défaut d’en avoir toutes les vertus, le Cameroun en a les moyens.
Certes, moins de deux ans après le début de sa mise en œuvre, il serait prématuré de porter un jugement pertinent sur les chances d’atteinte des objectifs contenus dans la SND 2020-2030, mais le moins que l’on puisse dire c’est que le départ est poussif, laborieux et si rien n’est fait, le Cameroun pourrait inexorablement dévier de la trajectoire qu’il s’est fixé. Il est indéniable que la crise sanitaire mondiale a eu un effet dévastateur sur l’économie mais également un effet amplificateur de nos propres errements notamment la guerre entretenue dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Les principaux indicateurs de l’année 2020 sont édifiants même si toutes les agences d’analyse de conjoncture prévoient une amélioration en 2021. En 2020, le taux de croissance du PIB a été négatif se situant à -2,8% (FMI), le solde budgétaire et le solde courant de la balance de paiement étaient respectivement de -4% et -5,5%. Ces deux déficits (dits jumeaux) sont la manifestation de déséquilibres à la fois internes et vis-à-vis de l’extérieur. La dette bien qu’encore soutenable (43,7% selon les derniers calculs de l’Institut National de la Statistique -INS), reste un sujet de préoccupation au regard de la qualité et des effets multiplicateurs limités pour ne pas dire négatifs de certains de ces investissements publics auxquels cette dette est consacrée. L’illustration parfaite est la multiplication des complexes sportifs dont certains sont financés par des emprunts au taux commercial. Pour paraphraser Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne : « Il n’y a de bonne dette publique que s’il y a des investissements publics rentables ». 15 ans après avoir bénéficié d’une substantielle annulation de la dette publique suite au franchissement du point d’achèvement de l’initiative PPTE, il y a lieu de redouter que l’on revienne au point de départ.
« Il n’y a de bonne dette publique que s’il y a des investissements publics rentables »
Pour éviter ce qui pourrait s’apparenter à une sortie de route et rester sur la trajectoire des objectifs de la SND, de nombreux défis sont à relever dont trois nous paraissent fondamentaux : (i) améliorer la productivité totale des facteurs de production, (ii) redynamiser le secteur industriel notamment l’industrie manufacturière créatrice de valeur ajoutée et, (iii) promouvoir une politique volontariste d’émergence et de soutien des champions nationaux.
Ce troisième défi est d’autant plus fondamental qu’il est l’apanage de tous les pays qui se sont hissés au rang de locomotive de l’économie mondiale. Les récentes mesures prises par le nouveau Président américain Joe Biden sont édifiantes à cet effet. L’une des premières décisions prises dès l’effectivité de son mandat en janvier 2021 a été un décret donnant la priorité aux entreprises et aux produits américains dans les marchés passés avec l’État fédéral en vue de relancer la production nationale et préserver les emplois. Bien plus, lors de son tout premier discours devant le congrès le 28 avril 2021, il a réitéré son ferme engagement à promouvoir les entreprises américaines sans que cela ne contreviennent aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). En France, on se souvient de la farouche opposition du Gouvernement au rachat de la chaîne de supermarché Carrefour par le Canadien Couche-Tard en janvier 2021. Raison invoquée par le Ministre Français de l’Economie Bruno Le Maire : « Carrefour est un chaînon essentiel de la souveraineté et de la sécurité alimentaire des Français… ».
« Dans le secteur des BTP, le Cameroun dispose de vrais champions »
Au Cameroun, la promotion et le soutien des champions nationaux, par ailleurs explicitement mentionnés dans la SND, ne devrait pas être une simple déclaration d’intention. Certes des prestataires véreux et leurs comparses dans la chaîne de la commande publique ont jeté le discrédit sur les entreprises nationales particulièrement dans le secteur du Bâtiment et Travaux Publics (BTP), mais le discernement devrait être fait entre les complices de la redistribution de la rente publique et les bâtisseurs qui s’inscrivent dans la lignée d’un certain Daniel Awah Nangah, promoteur de la défunte Nangah Company Ltd. Pour ceux de notre génération qui pourraient s’en souvenir, la construction l’immeuble Nangah devenu immeuble Elf et abritant aujourd’hui le siège de Orange Cameroun sur le boulevard de la liberté à Douala, la cité de la SONARA à Limbé, l’Aéroport international de Douala, l’Ecole Nationale d’Agriculture de Dschang ancêtre de l’université de la même ville, le premier stade omnisport de Bafoussam dont le chantier avait été abandonné pour des raisons diverses, sont à l’actif de cette entreprise nationale dont la qualité des prestations n’avait rien à envier à ses concurrents étrangers. Dans ce secteur des BTP, le Cameroun dispose encore aujourd’hui de vrais champions dont Routd’Af, Buns et bien d’autres qui ne demandent qu’à être éprouvés mais dont le malheur est de ne pas bénéficier de l’accompagnement financier de leurs concurrents chinois ou français.
Dans le secteur agroalimentaire, la transformation des produits du cru participe de la voie du salut. Dans le sillage de SIC-Cacao qui broie 56.000 tonnes de cacao, l’émergence de Fapam Industry (17.000 tonnes), Neo Industry qui vise un objectif de 66.000 tonnes ou encore Atlantic Cocoa (60.000 tonnes), sont entre autres de potentiels champions nationaux qui méritent soutien sans toutefois être complaisant sur leur compétitivité. Dans ce secteur, l’essentiel des 250.000 tonnes de cacao que produit le Cameroun pourrait être transformé localement pour créer de la valeur ajoutée donc des emplois.
Dans ce même secteur, qui se souvient encore que dans les années 80, les plants qui ont permis à la Malaisie de devenir premier producteur mondial d’huile de palme sont venus du Cameroun ? Unilever, alors propriétaire de la PAMOL, avait implanté à Mundemba (département du Ndian) son plus important centre de recherche sur l’huile de palme en Afrique. Depuis le départ (qui aurait pu être évité) de la multinationale anglo-néerlandaise, la PAMOL a commencé sa descente aux enfers, rencontrant sur sa route la crise anglophone.
Que dire de l’industrie sylvicole totalement en friche. Bien que le Cameroun ait adopté une panoplie de textes (1993, 1994, 1999) interdisant l’exportation des grumes, l’application desdits textes est restée lettre morte. Il faut espérer que la décision prise par les pays de l’Afrique Centrale le 18 septembre 2020 d’interdire l’exportation du bois brut à partir du 1er janvier 2022 permettra l’émergence d’une véritable industrie locale du bois.
« Transformer localement 60% de la production de cacao pour créer de la valeur ajoutée donc des emplois »
Pour ce qui est du secteur des TIC et du numérique dont l’impact sur la productivité et la compétitivité de l’ensemble de l’économie constitue l’un des enjeux du millénaire, il y a lieu de regretter la mort lente mais hélas programmée de la Silicon Mountain de Buea qui était en passe de devenir une Silicon Valley sous les tropiques, un technopôle d’excellence en Afrique. Victime collatérale de l’ignoble guerre dans le NOSO, ce qui reste du Cameroon Silicon Montain mériterait d’être sauvé et revitalisé.
Le diagnostic des faiblesses ou de l’entrave à l’éclosion des PME-PMI camerounaises est connu. De volumineux et multiples rapports ont été faits sur le sujet notamment le dernier en date qu’est le Livre Blanc du GICAM. Promouvoir et accompagner les champions nationaux passe également par l’éradication des obstacles rabachés comme un rengaine et la mise en œuvre effective des thérapies maintes fois énoncées. L’un de ces obstacles est la frilosité des banques qui contribuent à la mauvaise allocation de l’épargne nationale en mettant plus l’accent sur des garanties réalisables que sur la qualité des projets. De nombreuses PME naissent et meurent du simple fait d’insuffisance de Fonds de Roulement c’est-à-dire leur capacité à financer leurs actifs circulants (inputs de production) avec leurs capitaux propres ou des financements à long terme. La création de la Banque des PME avait été annoncée comme une réponse à ce lancinant problème, mais c’était sans compter avec l’inexpertise de ses dirigeants issus d’un moule non compatible avec leurs responsabilités.
Dans une récente réflexion, nous avons plaidé pour une profonde réforme de la Société nationale d’investissement (SNI). Le Cameroun pourrait bien s’inspirer de l’exemple du Maroc qui a créé sa Société nationale d’investissement (SNI) en 1966. Elle est un fonds souverain, un holding d’investissement non coté, focalisé sur le pilotage stratégique de ses participations avec pour objectif de faire émerger des champions nationaux.